L’industrie du tabac derrière le ramassage des mégots en France

21 juillet 2021

Par: Comité national contre le tabagisme

Dernière mise à jour : 6 août 2024

Temps de lecture : 8 minutes

L’industrie du tabac derrière le ramassage des mégots en France

La Ministre de la Transition écologique a annoncé le 8 juillet l’instauration d’une contribution des entreprises du tabac au ramassage des mégots, ainsi que la création d’un éco-organisme dédié à cette mission, mais tenu par les cigarettiers. Une application du principe « pollueur-payeur » qui risque d’être fortement édulcorée.

Chaque année, on évalue à 4 300 milliards le nombre de mégots jetés dans la nature et dans les villes, occasionnant l’une des premières sources de déchets au niveau mondial. Deux milliards de mégots sont estimés être jetés dans la seule ville de Paris, soit 350 tonnes par an. En Europe, le Royaume-Uni et la ville de Bruxelles ont déjà appliqué le principe « pollueur-payeur » en taxant les producteurs de tabac au nom des déchets générés par leur industrie, notamment sur le plan des mégots jetés au sol. Ce principe, connu sous le nom de « responsabilité élargie des producteurs » (REP), s’étend à présent en France aux déchets issus des produits de tabac.

La Ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, a ainsi annoncé le 8 juillet la prochaine mise en place de mesures destinées à résorber la pollution persistante des mégots, qui mettent douze ans à se dégrader en milieu naturel. Des mesures qui s’inscrivent dans le cadre de la loi anti-gaspillage de 2020 et dans le prolongement d’une directive européenne de juin 2019.

Des mesures présentées comme contraignantes, avec objectifs chiffrés

Parmi ces mesures, une participation financière des industriels du tabac va être instaurée, afin d’alimenter un ou plusieurs éco-organismes. Ces derniers seront chargés de collecter et de traiter les mégots présents dans l’espace public, de proposer de nouveaux modèles efficaces de collecte et d’organiser des actions de sensibilisation. Un échéancier de réduction du volume de mégots leur sera imposé, prévoyant qu’il soit réduit de 20% lors de la première année d’agrément de l’organisme, de 35% dans un délai de cinq ans et de 40% dans les six ans[1]. La Ministre estimait que la contribution des industriels du tabac devrait s’élever à 80 millions d’euros par an, sans en préciser l’échéance. « Les fournisseurs peuvent se le permettre », a-t-elle considéré[2]. Un barème de ces contributions, estimé de 0,05 € à 2 € par habitant selon la taille des communes, reste cependant à fixer.

Au nombre des autres missions de ces éco-organismes, figurent des études sur les comportements des consommateurs jetant leurs mégots, sur de nouveaux circuits de collecte et sur le recyclage des mégots en matériaux, sachant que ce dernier point est assez contraignant et actuellement très peu rentable. On compte aussi les actions préconisées à l’origine par les cigarettiers : campagnes de prévention incitant à ne pas jeter les mégots et distribution gratuite de cendriers de poche par le réseau des buralistes.

Trois ans de tractations avec les industriels

Les modalités d’action de cette annonce avaient été fixées en février 2021 par un arrêté ministériel après plusieurs années de tractations. Dès juin 2018, la Secrétaire d’Etat auprès du Ministre de la Transition écologique et solidaire, Brune Poirson, avait déclaré son intention de réduire la présence des mégots dans l’environnement et avait rencontré les réticences des industriels du tabac à verser une contribution financière.

Habituée aux négociations avec les pouvoirs publics, l’industrie du tabac a déployé plusieurs parades pour limiter la portée de l’arrêté prononcé en février, tenter de diviser par deux les objectifs de réduction des mégots et revoir sensiblement à la baisse les tarifs d’indemnisation par habitant[3]. Le calcul des contributions dépendra par exemple de la capacité des collectivités territoriales à pouvoir fournir des éléments chiffrés de leurs coûts de ramassage des mégots d’ici fin août 2021, afin d’établir le coût répercuté aux cigarettiers. Les industriels ont aussi fortement orienté les missions de prévention confiées à l’éco-organisme en charge de cette régulation.

L’entreprise pressentie pour assurer la fonction d’éco-organisme est Alcome, créée en décembre 2020 par les industriels du tabac et spécialisée dans la collecte, le traitement et l’élimination de déchets non dangereux[4]. Son président, Jérome Duffieux, dirige aussi plusieurs autres sociétés, dont la SAS Traditab, qu’il a fondé en 2007 et qui réalise ses activités dans le commerce de gros et le stockage de produits à base de tabac[5].

On assiste donc ici à une situation problématique, où les cigarettiers sont censés évaluer eux-mêmes les coûts relevant de leur activité commerciale, collecter eux-mêmes les taxes qui en découlent et proposer eux-mêmes des mesures permettant de réduire les dommages dont ils sont à l’origine. Nul doute que les industriels du tabac ne manqueront pas cette occasion de communiquer sur leur contribution, au titre de la responsabilité sociale et environnementale (RSE).

En confiant l’ensemble de ces missions à l’industrie du tabac plutôt qu’à une organisme indépendant, le gouvernement porte ainsi manifestement atteinte à l’article 5.3 de la Convention-Cadre de l’OMS pour la Lutte Anti-tabac (CCLAT), que la France a ratifiée en 2004 et qui prévoit que les politiques antitabac « ne soient pas influencées par les intérêts commerciaux et autres de l’industrie du tabac »[6]. Les directives d’application de cette obligation générale stipulent à cet égard que compte tenu des intérêts inconciliables de l’industrie du tabac et de l’intérêt général, les parties ne devraient avoir d’interaction avec l’industrie du tabac que lorsque cela est nécessaire et en se limitant strictement à ce qui est nécessaire.

Un dispositif qui répond mal aux problèmes posés

Diverses pistes sont envisagées pour réduire le poids du rejet des mégots dans l’environnement. Les industriels du tabac expliquent qu’ils n’y sont pour rien, repoussant ainsi le principe même de la responsabilité élargie des producteurs. Ils rejettent la faute sur l’incivilité des fumeurs, qu’il faudrait éduquer par des campagnes de sensibilisation. Ils proposent volontiers de distribuer des cendriers individuels, sachant que ceux-ci favorisent la consommation de tabac et augmentent donc l’émission de mégots. L’idée d’une taxation supplémentaire ne pourrait selon eux qu’être répercutée sur les fumeurs, sous forme d’augmentation du prix des cigarettes. D’autres points de vue estiment qu’il faut réprimer les fumeurs par de plus fortes amendes ; la lutte contre les déchets sauvages étant elle-même une priorité gouvernementale, l’amende pour l’abandon de tout déchet – dont les mégots – est passée en 2020 de 68 € à 135 € d’amende. A Obernai (Bas-Rhin), le jet d’un mégot au sol peut même coûter jusqu’à 1000 €.

Les associations de santé publique réclament quant à elles des mesures plus efficaces ; il peut s’agir de réduire les déchets à la source, en supprimant par exemple les filtres en acétate de cellulose, une sorte de plastique. La réduction des entrants chimiques dans le processus de fabrication des cigarettes est une autre manière de restreindre les conséquences environnementales de la production de tabac. La taxation des cigarettiers a quant à elle l’avantage de resituer la responsabilité du côté des industriels, pour peu que le coût environnemental soit correctement estimé. La plus simple et la plus économique des options reste bien sûr une réduction sensible du nombre de fumeurs, en encourageant à l’arrêt du tabac. La seule réduction du nombre de cigarettes fumées, par exemple en multipliant les lieux et espaces sans tabac, suffit en soi à réduire le volume global de mégots.

L’ensemble de ces mesures de santé publique permettrait de réduire sensiblement le nombre de mégots rejetés dans l’environnement. En attendant que le problème ne se déplace : la plupart des nouveaux produits proposés aujourd’hui par les industriels sont issus de dispositifs électroniques (vapotage, tabac chauffé/grillé) et sont particulièrement polluants[7].

M.F

©Génération Sans Tabac

[1] Garcin-Berson W, Le Figaro, Comment les cigarettiers vont être mis à contribution contre les mégots. Publié le 8 juillet 2021, (consulté le 9 juillet 2021)

[2] Coumaros C, Le Figaro, Mégots de cigarette: Barbara Pompili présente aujourd'hui son plan antipollution. Publié le 8 juillet 2021, (consulté le 9 juillet 2021)

[3] Collet P, Actu-Environnement, REP mégots : les fabricants de cigarettes acceptent mal leurs nouvelles obligations. Publié le 19 février 2021, (consulté le 9 juillet 2021)

[4] Déchets Infos, REP Mégots, Alcome futur candidat éco-organisme. Publié le 3 février 2021, (consulté le 9 juillet 2021)

[5] BFM Business/Dirigeants, Jérome Duffieux. (Consulté le 9 juillet 2021)

[6] Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac. OMS, 2003, version française, 42 p.

[7] Génération Sans Tabac, Les cigarettes électroniques, un désastre environnemental sans solution. Publié le 3 février 2021, (consulté le 9 juillet 2021)

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