La 6-méthyl-nicotine : Une molécule de synthèse présente dans les produits du vapotage et sachets oraux
31 mars 2025
Par: Comité national contre le tabagisme
Dernière mise à jour : 31 mars 2025
Temps de lecture : 15 minutes
La 6-méthyl-nicotine (6-MN), également appelée Métatine, est un nouvel analogue de la nicotine récemment identifié dans certains produits de vapotage et sachets de nicotine. Cette molécule de synthèse, modifiée chimiquement par l’ajout d’un groupe méthyle, pourrait avoir des effets encore plus puissants et addictifs que la nicotine traditionnelle. Son apparition suscite des inquiétudes parmi les experts en santé publique, qui redoutent un nouveau moyen pour l’industrie du tabac et du vapotage de contourner les réglementations existantes et d’attirer de nouveaux consommateurs, notamment parmi les jeunes.
Une molécule de synthèse pensée par l’industrie du tabac
La 6-méthyl-nicotine (6-MN) est un analogue synthétique de la nicotine, caractérisé par l'ajout d'un groupe méthyle en position 6 de l'anneau pyridine de la molécule de nicotine[1]. Cette modification chimique a été explorée par l'industrie du tabac dès les années 1970 et 1980, dans le but de développer des composés alternatifs susceptibles d'accroître la dépendance des consommateurs[2].
Plus récemment, la 6-MN a fait son apparition sur le marché des produits de vapotage et des sachets oraux, notamment aux États-Unis et en Europe. En 2023, des produits tels que les dispositifs de cigarette électronique Spree Bar[3] ont été commercialisés, contenant de la 6-MN sous le nom de marque Metatine. Ces produits ont été présentés comme exemptés de la réglementation de la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis, en raison de la structure chimique distincte de la 6-MN par rapport à la nicotine traditionnelle.
Parallèlement, des sachets oraux contenant de la 6-MN, commercialisés sous des marques telles que MG et Hippotine ou Aroma King, ont été identifiés en Europe et aux États-Unis en 2024. Ces produits, disponibles en plusieurs saveurs, contiennent des concentrations de 6-MN allant de 8 à 25 mg par sachet, dépassant ainsi les teneurs en nicotine de nombreux sachets de nicotine traditionnels.
Figure 1 - Capture d'écran du site étatsunien Happyhippo.com
Un potentiel addictif et toxique encore mal évalué
Des études précliniques ont montré que la 6-MN possède une affinité pour les récepteurs nicotiniques qui pourrait être jusqu'à 3,3 fois supérieure à celle de la nicotine[4]-[5], ce qui soulève des préoccupations quant à une addictivité et une toxicité accrues. En mai 2024, la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis a émis une alerte concernant l'utilisation de substances synthétiques, telles que la 6-méthyl nicotine, dans certaines cigarettes électroniques, indiquant qu’elle pourrait être plus puissante et addictive que la nicotine traditionnelle[6].
Son effet sur la production de dopamine, un neurotransmetteur impliqué dans le circuit de la récompense, pourrait être plus intense, ce qui renforcerait son potentiel addictif. Une recherche récente a révélé que la 6-MN induit une augmentation de la production d’espèces réactives de l’oxygène dans les cellules pulmonaires, favorisant l’inflammation et les dommages cellulaires[7].
L’un des principaux dangers de cette nouvelle molécule réside dans l’absence d’études sur ses effets à long terme. Contrairement à la nicotine, dont les conséquences sur la santé sont mieux documentées, la toxicité chronique de la 6-MN reste méconnue, ce qui soulève des interrogations sur son innocuité et les risques qu’elle pourrait engendrer.
Une stratégie de contournement des réglementations sur la nicotine
L’apparition de la 6-méthyl-nicotine sur le marché ne semble pas anodine. Cette molécule est principalement retrouvée dans les cigarettes électroniques jetables et les sachets de nicotine, des produits de plus en plus populaires auprès des jeunes consommateurs.
Certaines marques, comme Aroma King, mettent en avant l’absence de nicotine dans leurs produits contenant de la 6-MN, alors que cette dernière présente des effets similaires, voire plus puissants. Cette stratégie marketing permet aux fabricants d’éviter les restrictions appliquées aux produits nicotiniques traditionnels, en exploitant un vide réglementaire.
Figure 2 - Crédit photo – Comité national contre le tabagisme
Ces produits sont actuellement en vente sur plusieurs sites web avec la mention « 0 mg (effet nicotine à 5%) », tandis que l'emballage des dispositifs affiche "NoNic 20mg effect", induisant une confusion sur leur véritable composition. De plus, les cigarettes électroniques jetables NoNic de Aroma King dépassent systématiquement la limite européenne autorisée de 2 ml pour les e-liquides. Par exemple, le modèle Aroma King NoNic Galaxy 15000 Puffs ou encore le Aroma King NoNic Boom 20 000 disposent respectivement de réservoirs de 18 ml, contournant ainsi les restrictions réglementaires en vigueur.
Ce procédé rappelle les pratiques observées dans l’industrie du tabac, notamment avec les cigarettes mentholées. Interdites dans plusieurs pays dont les pays membres de l’Union Européenne, en raison de leur attractivité accrue pour les jeunes, elles ont été remplacées par des dispositifs alternatifs, comme les capsules aromatiques ou les filtres imprégnés de menthol, permettant de contourner la législation. Plus récemment, dans un effort manifeste de contournement réglementaire, les fabricants Philip Morris et British American Tobacco ont mis sur le marché de nouveaux dispositifs contenant des "sticks" sans tabac, composés de feuilles de thé imprégnées d’arômes et de nicotine. Cette innovation intervient à la suite de la directive européenne interdisant les arômes dans les produits du tabac chauffé. En retirant le tabac de la composition tout en conservant la nicotine et les arômes, ces industriels cherchent non seulement à échapper aux restrictions imposées par la directive, mais également à contourner la fiscalité applicable aux produits du tabac chauffé dans certains pays européens[8].
Aujourd’hui, avec l’intensification des restrictions sur la nicotine, la 6-MN pourrait jouer un rôle similaire en permettant aux fabricants de maintenir leurs ventes sans être soumis aux mêmes réglementations.
Une diffusion préoccupante sur le marché suisse et un vide réglementaire qui favorise la diffusion
En Suisse, plusieurs produits contenant de la 6-méthyl-nicotine ont déjà été identifiés sur le marché, en particulier dans les vapes jetables et les sachets de nicotine sans tabac, alerte AT-Suisse[9]. Ces produits, souvent vendus en ligne ou dans des points de vente spécialisés, sont parfois commercialisés sous des appellations ambiguës, mettant en avant l’absence de nicotine.
Le cadre réglementaire suisse concernant la 6-MN reste incertain. Si la nicotine est soumise à des restrictions spécifiques, notamment en ce qui concerne la vente aux mineurs et l’étiquetage des produits, aucun texte législatif ne pour l’instant explicitement les analogues synthétiques comme la 6-MN. Ce flou juridique, en plus de favoriser son accessibilité, est à l’origine de plusieurs problèmes : d’une part, les consommateurs peuvent être induits en erreur, pensant acheter un produit sans nicotine alors qu’il contient un analogue potentiellement plus addictif ; d’autre part, l’absence de réglementation signifie qu’aucune limite de dosage n’est imposée, ce qui pourrait exposer les consommateurs à des niveaux dangereux de cette substance.
Cette situation rappelle les premières années du marché des cigarettes électroniques, où l’absence de cadre législatif clair avait favorisé une forte augmentation des ventes avant que des mesures de restriction ne soient progressivement mises en place rappelle AT-Suisse dans un récent rapport. Plusieurs associations de santé publique en Suisse alertent sur ce risque et appellent à une mise à jour des réglementations pour inclure la 6-MN et d’autres substances similaires dans le cadre légal existant[10].
Un discours marketing trompeur autour de la 6-MN en France
Depuis décembre 2024, des produits contenant de la 6-méthyl-nicotine (6-MN) sont disponibles en France, notamment dans les bureaux de tabac et sur des sites en ligne tels que NoNic.com. Présentés comme une alternative plus sûre et innovante à la nicotine traditionnelle, ces produits s’appuient sur une communication marketing mettant en avant leur « conformité aux réglementations européennes et leur caractère révolutionnaire ».
NoNic se positionne comme « la seule grande bouffée légale de l’Union européenne », un produit fruit de 12 années de recherche menées par des spécialistes selon des normes rigoureuses.
Les autres arguments marketing des produits NoNic s’appuient largement sur la rhétorique de la réduction des risques. En remplaçant la nicotine par la 6-méthyl-nicotine, NoNic revendique une « réduction de la toxicité tout en maintenant la satisfaction des consommateurs ». Cette approche est présentée comme une avancée majeure dans le domaine du vapotage, une « révolution pour les vapoteurs », en établissant un nouveau standard plus sûr et conforme aux exigences légales. Le site internet Nonic.com met également en avant la dimension écologique de ses produits, en proposant des dispositifs rechargeables dotés d’une batterie innovante, réduisant ainsi leur impact environnemental.
La marque met en avant une absence de dépendance, en affirmant que la 6-méthyl-nicotine ne possède pas les propriétés addictives de la nicotine traditionnelle. De même, NoNic présente ses produits comme une alternative plus saine, en prétendant que la 6-MN élimine les effets toxiques liés à la nicotine, sans pour autant fournir de données scientifiques solides pour appuyer cette allégation. Cette approche vise à convaincre les consommateurs qu'ils font un choix plus sûr, sans prendre en compte les incertitudes sur les effets à long terme de cette molécule.
Toutefois, ces arguments marketing sont trompeurs et ne reposent sur aucune preuve scientifique solide selon le Comité national contre le tabagisme (CNCT). Ce discours, largement basé sur des stratégies de communication marketing, ne vise en réalité qu’à offrir une nouvelle opportunité commerciale pour l’industrie du tabac et du vapotage. En contournant la réglementation sur la nicotine et en se positionnant comme une alternative soi-disant plus sûre, ces produits permettent aux fabricants de capter de nouveaux consommateurs tout en évitant les restrictions qui pèsent sur la nicotine classique.
Ces produits sont disponibles dans une large gamme de saveurs – plus de 40 arômes différents – et dans des formats permettant jusqu’à 20 000 bouffées, renforçant leur attractivité auprès des consommateurs, notamment les jeunes adultes en quête d’expériences personnalisées. Les mineurs ont un accès aisé à ces sites. Par ailleurs, la plupart des slogans mis en avant sur ces sites sont laudatifs et incitent à la consommation, en insistant sur le plaisir et la sécurité du produit. On retrouve également de nombreuses offres promotionnelles, des remises et des campagnes de fidélisation, rendant ces dispositifs encore plus attractifs, notamment pour les jeunes adultes et les adolescents. Ces stratégies de marketing agressif rappellent celles déjà employées par l’industrie du tabac pour promouvoir les cigarettes électroniques aromatisées.
Ainsi, NoNic ne se contente pas de proposer une alternative à la nicotine, mais ambitionne d’écrire « de nouvelles règles » dans l’industrie du vapotage, en établissant un modèle présenté comme « plus sûr, plus légal et plus innovant ».
Des produits « nonic » promus sur TikTok par des influenceurs en France
L’association AT-Suisse a récemment signalé la présence d’influenceurs français promouvant les sachets oraux « nonic » sur TikTok. Dans plusieurs vidéos, un influenceur suivi par plus de 105 000 abonnés vante ces produits comme étant sans nicotine, non addictifs et non psychoactifs, les présentant comme idéaux à consommer avant un match de football ou un effort physique. Ces contenus promotionnels s’accompagnent de liens marchands directement accessibles depuis son profil, incitant les abonnés à acheter les produits. L’influenceur en question utilise également d’autres canaux pour diffuser ses ventes, notamment via Telegram et Snapchat.
Il présente ces sachets de manière très positive, en les comparant à des produits de consommation courante tels que le café, censés améliorer la concentration et apporter un « coup de boost ». Cette banalisation, associée à une esthétique soignée et à un discours rassurant, contribue à normaliser l’usage de substances potentiellement addictives auprès d’un public souvent jeune et vulnérable.
Une nécessaire réaction des autorités sanitaires
Face aux risques posés par la 6-MN, plusieurs mesures doivent être envisagées pour éviter qu’elle ne s’installe durablement sur le marché selon les associations en santé publique dont le CNCT. Certains experts plaident pour une interdiction immédiate de la commercialisation de cette substance, tant que son innocuité n’aura pas été démontrée scientifiquement. D’autres recommandent un renforcement des réglementations sur la nicotine, afin d’y inclure explicitement les analogues comme la 6-MN et empêcher leur utilisation à des fins de contournement.
Une meilleure transparence sur la composition des produits de vapotage et des sachets de nicotine est également indispensable. Les fabricants devraient être contraints d’indiquer clairement la présence de cette substance et ses effets potentiels. Enfin, une sensibilisation accrue des consommateurs et des décideurs est nécessaire pour éviter que la 6-MN ne devienne un nouvel enjeu de santé publique ignoré par manque d’informations.
La molécule 6-MN illustre parfaitement la capacité d’adaptation de l’industrie du tabac et de la nicotine aux contextes réglementaires, dans le seul objectif de recruter de nouveaux consommateurs et de préserver ses profits. Sous couvert de réduction des risques, ces acteurs mobilisent de manière trompeuse l’argument scientifique pour rassurer les consommateurs et semer le doute auprès des décideurs politiques quant à la dangerosité réelle de ces produits. Cette stratégie s’appuie sur une offre de produits de plus en plus vaste, dont les arguments marketing sont souvent ambigus, voire mensongers. Le manque de transparence sur la composition de ces produits, combiné à une présentation volontairement rassurante, induit en erreur le consommateur, qui ne sait pas toujours ce qu’il consomme réellement. Une telle approche appelle à une vigilance renforcée de la part de la société civile et des pouvoirs publics, et souligne la nécessité d’un encadrement strict de l’ensemble des produits issus de cette industrie.
Seule une réaction rapide et coordonnée permettra d’empêcher la banalisation de cette molécule et d’assurer que les stratégies de contournement de l’industrie ne compromettent pas les avancées obtenues en matière de lutte contre le tabagisme, explique le CNCT. Interrogé à ce sujet, le professeur Yves Martinet, président du CNCT, «l’apparition de la 6-méthyl-nicotine sur le marché illustre une fois encore la capacité de l’industrie du tabac et de la nicotine à contourner les réglementations pour préserver ses profits, au mépris de la santé publique. En exploitant les failles juridiques, en utilisant des arguments marketing fallacieux et en dissimulant la véritable nature de ces substances, ces acteurs poursuivent une stratégie cynique : recruter de nouveaux consommateurs, notamment parmi les jeunes, tout en échappant aux cadres de régulation. »
AE
[1] Jordt SE, Jabba SV, Silinski P, Berman ML. An electronic cigarette pod system delivering 6-methyl nicotine, a synthetic nicotine analog, marketed in the United States as "PMTA exempt". medRxiv [Preprint]. 2023 Nov 22:2023.11.21.23298778. doi: 10.1101/2023.11.21.23298778. Update in: Tob Control. 2024 Mar 18:tc-2023-058469. doi: 10.1136/tc-2023-058469. PMID: 38045384; PMCID: PMC10690343.
[2] Vagg, Rosemary & Chapman, Simon. (2005). Nicotine analogues: A review of tobacco industry research interests. Addiction (Abingdon, England). 100. 701-12. 10.1111/j.1360-0443.2005.01014.x.
[3] Jordt, Sven Eric; Jabba, Sairam V.; Zettler, Patricia J.; Berman, Micah L. (2024) Spree Bar, a vaping system delivering a synthetic nicotine analogue, marketed in the USA as 'PMTA exempt'. In : Tobacco Control. DOI: 10.1136/tc-2023-058469.
[4] R. J. Bainton, L. T. Tsai, C. M. Singh, M. S. Moore, W. S. Neckameyer, and U. Heberlein, “Dopamine Modulates Acute Responses to Cocaine, Nicotine and Ethanol in Drosophila,” Current Biology 10, no. 4 (2000): 187–194, https://doi.org/10.1016/s0960-9822(00)00336-5.
[5] Jordt SΕ, Jabba SV. Introduction of nicotine analogue-containing oral pouch products in the United States. Tobacco Prevention & Cessation. 2024;10(November):61. doi:10.18332/tpc/195621.
[6] Emma Rumney, Exclusive: Nicotine-like chemicals in U.S. vapes may be more potent than nicotine, FDA says, Reuters, publié le 29 mai 2024, consulté le 21 mars 2025
[7] Felix Effah, Yehao Sun, Alan Friedman, Irfan Rahman, Emerging nicotine analog 6-methyl nicotine increases reactive oxygen species in aerosols and cytotoxicity in human bronchial epithelial cells, Toxicology Letters, Volume 405, 2025, Pages 9-15, ISSN 0378-4274, https://doi.org/10.1016/j.toxlet.2025.01.007.
[8] Génération sans tabac, Les nouvelles « alternatives sans tabac » dans le viseur de certains pays européens, publié le 3 avril 2024, consulté le 21 mars 2025
[9] Luciano Ruggia, Alarme concernant la mise sur le marché de la 6-méthyl-nicotine dans des cigarettes électroniques jetables, AT Suisse, publié le 12 mars 2025, consulté le 21 mars 2025
[10] Appel à interdire la vente de l'analogue chimique de la nicotine, RFJ, publié le 14 mars 2025, consulté le 21 mars 2025
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