L’augmentation des taxes sur le tabac, l’alcool et le sucre sauverait des millions de vies
26 septembre 2024
Par: Comité national contre le tabagisme
Dernière mise à jour : 26 septembre 2024
Temps de lecture : 10 minutes
Un rapport[1] met en évidence les avantages sanitaires et financiers d'une augmentation des droits d'accise sur le tabac, l'alcool et les boissons sucrées. Il conclut que l'augmentation du prix de ces produits nocifs pour la santé peut prévenir des millions de décès prématurés et générer des milliards de recettes pour les gouvernements du monde entier, en particulier dans les pays à revenu faible ou intermédiaire.
Le rapport, publié par la Task Force on Fiscal Policy for Health[2], souligne l'urgence pour les gouvernements du monde entier de mettre en œuvre une telle politique fiscale, laquelle demeure sous-utilisée alors qu’elle contribue à améliorer la santé publique.
La consommation de tabac tue 8 millions de personnes dans le monde chaque année, et 10 millions de vies sont perdues chaque année à cause de maladies liées au tabac, à l'alcool et aux boissons sucrées. Ensemble, ces produits nocifs induisent un coût économique évalué à plus de 4 000 milliards de dollars.
Les politiques fiscales en matière de tabac stagnent ou ont régressé depuis 2020
Entre 2000 et 2022, la proportion mondiale d'adultes qui consomment du tabac est passée de 32,7 % à 20,9 %. Toutefois, ce succès relatif sur 30 ans masque une augmentation du nombre total de fumeurs, due en partie à la stratégie de l'industrie consistant à se tourner vers les marchés des pays à faible revenu et à revenu intermédiaire au moment même où ces régions connaissaient une croissance démographique importante. La charge globale des maladies liées au tabac s'est ainsi déplacée des pays à revenu élevé vers les pays à revenu faible ou intermédiaire. En outre, les fabricants de tabac commercialisent agressivement leurs produits auprès des jeunes, en particulier dans les pays à revenu faible et intermédiaire où les populations de jeunes sont importantes et en croissance. Entre 1999 et 2018, la prévalence du tabagisme chez les jeunes (âgés de 13 à 15 ans) est restée la même ou a augmenté dans 60 des 135 pays pour lesquels des données étaient disponibles.
Après des années de progrès modestes, l'action des gouvernements en matière de droits d'accises sur le tabac s'est essoufflée. En 2020, les droits d'accise sur la marque la plus vendue représentaient en moyenne 41,4 % du prix de vente au détail dans les 183 pays où les cigarettes sont taxées. En 2022, ce chiffre était de 42 %, pratiquement inchangé et bien en deçà de la recommandation de l’OMS d'au moins 70 % du prix de vente au détail. Si l'on compare 2022 à 2016, les cigarettes sont même devenues plus abordables dans 41 pays. Les prix sont restés inchangés dans 115 pays et ont été moins abordables dans seulement 32 pays.
Le rapport illustre par ailleurs la situation aux Philippines. Le gouvernement philippin a considérablement augmenté les droits d'accises sur le tabac par le biais de quatre projets de réforme successifs depuis 2012. En conséquence, les prix du tabac ont été multipliés par six et la prévalence du tabagisme a diminué chez les adultes, passant de 30 % (2009) à 20 % (2021), et chez les jeunes, de 18 % (2007) à 10 % (2019). Les recettes des accises sur le tabac sont passées d’1 milliard de dollars en 2012 à 2,9 milliards de dollars en 2022.
L’alcool est financièrement de plus en plus abordable à travers le monde
La consommation d'alcool est une autre cause majeure de décès prématuré et de maladie : 2,6 millions de décès prématurés en 2019, dont plus de 700 000 dus à des blessures. L'alcool a un impact disproportionné sur les jeunes. La plus grande proportion (13 %) des décès imputables à l'alcool en 2019 concernait des personnes âgées de 20 à 39 ans. Au niveau mondial, la consommation d'alcool par adulte (âgé de 15 ans ou plus) est passée d'environ 5,9 litres d'alcool pur en 1990 à 6,5 litres en 2017 et devrait encore augmenter pour atteindre 7,6 litres en 2030.
Les gouvernements sont moins nombreux à appliquer des droits d'accise sur l'alcool (149) que sur le tabac (183) et la part moyenne des droits d'accise dans les prix de l'alcool n'est que d'environ 17 %, contre 42 % pour les prix du tabac. En conséquence, selon le rapport, l'alcool est devenu plus abordable dans la plupart des pays pour lesquels des données sont disponibles.
Des progrès mitigés sur les taxes pour les boissons sucrées
Les boissons sucrées contribuent à la tendance à la hausse de la consommation de sucre dans le monde, associée à une prévalence accrue de l'obésité, du diabète et des maladies cardiovasculaires. La prévalence de l'obésité est passée d'environ 9 % chez les femmes en 1990 à 19 % en 2022, et de 5 % à 14 % chez les hommes au cours de la même période. Chez les enfants scolarisés, l'obésité est passée de 2 % à 7 % chez les filles et de 2 % à 9 % chez les garçons. En 2022, plus d'un milliard de personnes sont obèses dans le monde. Le coût économique des maladies associées à l'obésité devrait atteindre 4,3 billions de dollars en 2035, soit près de 3 % du PIB mondial.
Contrairement aux taxes sur le tabac et l'alcool, de nombreux pays ont progressé en matière de droits d'accise sur les boissons sucrées. Depuis 2018, des taxes sur les boissons sucrées ont été adoptées dans 41 pays supplémentaires et sont désormais perçues sur ces produits dans 132 pays. Néanmoins, les taxes sur les boissons sucrées restent extrêmement faibles. Au niveau mondial, la part médiane des droits d'accise dans le prix des boissons sucrées n'est que de 3,4 %. Ces chiffres sont bien inférieurs aux 20 % du prix requis comme minimum de perception nécessaire pour susciter un changement de comportement à l’égard de ces produits.
La fiscalité, un outil efficace largement sous-utilisé
Les droits d'accises sont relativement simples à augmenter dans un court laps de temps. Les accises sur le tabac, l'alcool et, de plus en plus, les boissons sucrées sont déjà prélevées dans la plupart des pays et les systèmes d'administration fiscale permettant de collecter ces taxes sont déjà en place.
Pour les auteurs de l’étude, sans une augmentation significative des taxes sur la santé, le fardeau des décès et des maladies non-transmissibles liés à la consommation de ces produits nocifs continuera à peser sur les populations. Les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire ont un besoin pressant de recettes supplémentaires, et les taxes sur la santé sont un moyen relativement simple et efficace de les collecter.
Le fardeau croissant des maladies non transmissibles pèse depuis longtemps sur les systèmes et ressources de santé à travers le monde, une situation largement exacerbée par la pandémie de Covid19. De nombreux pays n'ont pas encore retrouvé leurs capacités à soigner les personnes atteintes de maladies non transmissibles, et encore moins leur niveau de traitements électifs ou de consultations externes.
Ainsi, une augmentation des droits d'accise sur le tabac, l'alcool et les boissons sucrées suffisante pour entraîner une hausse des prix de 20 % générerait 2,2 billions de dollars sur cinq ans, dont environ deux tiers (1,3 billion de dollars) seraient mobilisés dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Une augmentation des taxes sur la santé suffisante pour générer une hausse des prix de 50 % générerait environ 3,7 billions de dollars de recettes supplémentaires sur cinq ans.
Rien que pour le tabac, en augmentant les prix de 20 %, les taxes sur le tabac contribueraient à hauteur de 488 milliards de dollars supplémentaires sur 5 ans aux recettes publiques. Elles réduiraient la consommation d'environ 10 %. En augmentant les prix du tabac de 50%, les taxes généreraient des recettes supplémentaires de 1 000 milliards de dollars sur cinq ans et réduiraient la consommation de tabac de près de 25%. Plus de 100 millions de personnes arrêteraient ainsi de fumer, dont près de 85 millions dans les pays à faible revenu.
Globalement, en augmentant les taxes de manière à accroître les prix réels (prix déflatés) de 50 %, sur une période de 50 ans, la baisse de la consommation permettrait d'éviter 50 millions de décès prématurés. Les taxes sur le tabac permettraient d'éviter plus de la moitié de ces décès (27,2 millions), les taxes sur l'alcool 21,9 millions et les taxes sur les boissons sucrées 2,2 millions.
L’incidence des déterminants commerciaux de la santé sur la santé publique
Les déterminants commerciaux de la santé désignent la manière dont les acteurs du secteur commercial, leurs produits et leurs pratiques influent sur la santé. Certaines de ces industries : tabac, alcool, agroalimentaire ou encore énergies fossiles déploient de nombreuses stratégies pour entraver la mise en œuvre des politiques relatives aux maladies non transmissibles (cancers, maladies respiratoires et cardiovasculaires, diabète, etc.) causées par leurs produits.
Le principal obstacle à l'augmentation des taxes sur la santé est d’ailleurs l'opposition de ces industries. Lorsque des taxes sur la santé sont proposées, les industries commencent par nier les risques qu’induisent la consommation de leurs produits, puis elles entretiennent le doute, détournent l'attention des décideurs vers d’autres sujet ; , elles diffusent de la désinformation ou encore créent des organisations de façade qui portent leur message, enfin, sous le couvert de la responsabilité sociale des entreprises (RSE), elles empêchent l’adoption de politiques fiscales mettant en cause leurs intérêts. Lorsque les taxes sur la santé passent par le processus législatif ou réglementaire, les industries exercent des pressions auprès des pouvoirs publiques pour influencer les propositions afin de les rendre moins efficaces et proposent des textes édulcorés. Enfin, lorsque les taxes sur la santé sont promulguées, l'industrie cherche à retarder ou à annuler les politiques par des recours en justice.
Les gouvernements doivent se protéger des tentatives d’ingérence de ces industries. Les auteurs du rapport de la task force sur la politique fiscale en matière de santé appellent les gouvernements à adopter une législation et des politiques visant à limiter l'influence des entreprises qui fabriquent et commercialisent des produits nocifs pour la santé, en particulier auprès des jeunes. Pour le tabac, l'article 5.3 de la Convention-cadre de la lutte antitabac de l’OMS vise à protéger les politiques de santé publique contre l'influence de l'industrie du tabac. Les directives d’application de cette obligation générale du traité recommandent notamment de limiter les interactions avec cette industrie à ce qui est strictement nécessaire et de garantir une transparence de ces relations lorsqu’elles existent. Tout partenariat non contraignant doit être rejeté. Aucun avantage particulier ne doit être accordé à cette industrie, se traduisant par exemple par une interdiction des dons de la part de ce secteur et l’exclusion de celui-ci de toute la finance publique et la finance dite responsable. Enfin, des mesures doivent être prises pour éviter les conflits d'intérêts. Cette approche pourrait être appliquée à la lutte contre toutes les maladies non transmissibles (MNT) et aux industries associées.
AE
[1] Task Force on Fiscal Policy for Health (2024). Health Taxes to Save Lives: Health Taxes: A Compelling
for the Crises of Today. Chairs: Michael R. Bloomberg, Lawrence H. Summers, and Mia Amor Mottley. New York: Bloomberg Philanthropies.
[2] Coprésidé par le philanthrope Mike Bloomberg, le Premier ministre de la Barbade Mia Amor Mottley et l'économiste Larry Summers, le groupe de travail s'est réuni en 2018 pour se pencher sur les maladies non transmissibles et comprend des experts en politique fiscale, en développement et en santé.
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