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Alternatives sans combustion – Le discours trompeur de Philip Morris sur la réduction des risques

18 janvier 2023

Par: Comité national contre le tabagisme

Dernière mise à jour : 6 août 2024

Temps de lecture : 27 minutes

Alternatives sans combustion – Le discours trompeur de Philip Morris sur la réduction des risques

À mesure que les risques du tabagisme, actif comme passif, sur la santé ont été mieux documentés et connus, que l’acceptabilité sociale du tabagisme a diminué et que de nombreuses mesures de lutte antitabac ont été mises en œuvre à travers le monde, le marché des cigarettes - sur lequel les fabricants de tabac réalisent la majeure partie de leurs bénéfices - a commencé à décliner. Pour gagner de nouveaux marchés et dans une optique de reconquête et d’amélioration de leur image, les fabricants de tabac ont mis sur le marché divers nouveaux produits à base de tabac et de nicotine, comme le tabac à chauffer et les cigarettes électroniques, qu'ils ont développés et commercialisés, à l'instar de Philip Morris et ses "alternatives sans combustion".

On compte 1,3 milliard de consommateurs de tabac dans le monde. Le tabac est le plus souvent consommé sous la forme de cigarettes manufacturées, mais il existe d’autres produits comme le tabac à rouler, le tabac pour pipe à eau, différents produits du tabac sans fumée, les cigares, les cigarillos, le tabac pour pipe, les bidis et les kreteks. Même si le nombre de consommateurs de tabac dans le monde reste élevé, il a tendance à baisser. En 2000, environ un tiers (32,7 %) de la population mondiale (les deux sexes confondus), âgée de 15 ans et plus consommaient du tabac. En 2020, ce taux est tombé à moins d’un quart (22,3 %) de la population mondiale.

La fin des années 1990 et le début des années 2000 marquent un tournant dans la lutte contre le tabagisme qui a connu un nombre conséquent de victoires et d’avancées pour envisager d’endiguer l’épidémie tabagique. D’abord, lorsqu’en 1998, six millions de documents secrets, représentant plus de 35 millions de pages, ont été rendus publics, mettant ainsi à jour tout ce que neuf compagnies de tabac savaient sur la dangerosité de leurs produits, quand elles l’ont su et tout ce qu’elles ont fait pour le dissimuler. En outre, ces compagnies étaient accusées d’avoir accru les effets de la nicotine dans les cigarettes tout en niant que la nicotine était addictive. Enfin, elles étaient accusées d’avoir délibérément cherché à attirer de nouveaux fumeurs parmi les enfants mineurs au travers de campagnes de marketing. Cela a contribué à ternir de manière durable l’image de l’industrie du tabac.

Ensuite, grâce à l’adoption en 2003 de la Convention-cadre pour la lutte antitabac (CCLAT) de l’Organisation mondiale de la santé, ratifiée à ce jour par 182 Parties dont l’Union Européenne et tous ses Etats membres, une réponse juridiquement contraignante et globale existe pour la réduction de la demande et de l’offre de produits du tabac. Les interdictions de la publicité, de fumer dans les endroits fermés comptent parmi les mesures phares. La sortie du tabac devient ainsi une réalité dans certains pays et un objectif pour beaucoup d’autres.

Il s’ensuit une baisse de la consommation et des ventes de tabac comme l’illustre le graphique ci-dessous et cette évolution a poussé l'industrie du tabac à prévoir la fin du marché des cigarettes d'ici 2040 en s’adaptant pour continuer à vendre des nouveaux produits à forte marge bénéficiaire et massivement consommés en s'appuyant sur l'addiction à la nicotine.

Bien qu'ils soient souvent présentés comme « nouveaux », les fabricants de tabac mettent sur le marché des produits conçus il y a souvent plusieurs décennies. Les investissements actuellement déployés par les fabricants pour ces produits ne doivent cependant pas occulter le fait que le cœur de l'activité autour des cigarettes classiques reste inchangé. Les produits plus récents ne représentent qu'une part minoritaire des revenus, par rapport aux produits traditionnels.

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Philip Morris International (PMI) a été l’entreprise leader dans cette évolution du marché mais a été rapidement suivi par les autres fabricants. Le fabricant a élaboré tout un récit relatif à la « transformation sans fumée » depuis plus d'une décennie, associé au lancement de son produit phare de tabac chauffé IQOS. En 2021, les « alternatives » au tabac représentaient environ 29 % de ses revenus nets totaux, sur la base des données publiées en mai 2022[1], les produits dits « sans fumée » de l'entreprise sont désormais disponibles dans plus de 70 pays dans le monde.

Le portefeuille varié « d’alternatives » à la cigarette de Philip Morris

En mai 2021, PMI a acquis le fabricant danois de snus AG Snus[6], qui fabrique des produits à base de feuilles de tabac et des sachets de nicotine. Cette acquisition n'a pas fait l'objet d'une large publicité mais indique surtout le phénomène de concentration du secteur au cours de ces décennies afin d'accroître la valeur pour les gros fabricants et dominer le marché en oligopole. En mai 2022, Philip Morris International a lancé une offre publique d’achat du fabricant de tabac et de produits à base de nicotine Swedish Match (SWMA.ST). En novembre 2022, PMI avait complètement absorbé la compagnie suédoise dans le cadre d'une opération de 16 milliards de dollars, lui permettant de réduire sa dépendance vis-à-vis des cigarettes. Ce rachat est la cinquième acquisition importante de PMI depuis le début de 2021, après ceux de Fertin Pharma, OtiTopic et Vectura, qui ont marqué sa volonté d’implantation dans le secteur des produits médicaux et du « bien-être ». Cette acquisition confirmerait les objectifs de diversification de Philip Morris et est censée donner davantage de poids à son discours basé sur la réduction des risques. L’optique est d’apparaître de plus en plus comme une « entreprise de santé », en lien avec sa stratégie destinée à redorer son image.

Bien que ses concurrents aient investi dans les sachets de nicotine, PMI a manifesté son intérêt pour ces produits seulement à la fin 2019 en développant et commercialisant des sachets sous la marque « Shiro », déclarant qu’il s’agissait d’une « catégorie émergente de produits qu’ils examinent »[7].

En 2016, PMI a commencé à commercialiser son nouveau produit de tabac chauffé IQOS sous l'accroche « cela change tout »[8]. Parallèlement, PMI a commencé à revendiquer sa transformation et un engagement en faveur d’un avenir « sans fumée ». IQOS pour « I Quit Ordinary Smoking », utilise des mini-cigarettes (appelées HEETS) -contenant un filtre et du tabac- à insérer dans un petit appareil qui chauffe le tabac à température de 330°C (contre 600 °C à 900 °C pour les cigarettes conventionnelles) et libère un aérosol de tabac à inhaler grâce à une lame chauffante contrôlée électroniquement. Il n'y a donc pas de combustion complète, mais un phénomène de pyrolyse (combustion partielle). La durée moyenne d’utilisation du dispositif lors d’un usage normal est de 6 minutes ou 14 bouffées, soit une durée similaire à la consommation d’une cigarette classique. Le dispositif s’éteint automatiquement après 6 minutes d’utilisation. Après chaque utilisation, la cigarette est retirée du dispositif, et celui-ci doit être rechargé.

Le premier appareil est apparu en 2014 au Japon et en Italie. Progressivement, PMI a introduit IQOS dans de nouveaux marchés et le produit est aujourd’hui présent dans 70 pays. Il a été mis sur le marché français en mai 2017. D’abord commercialisé dans deux régions pilotes (l’Île-de-France et la région Provence Alpes Côte d’Azur), il a ensuite été déployé dans toute la France. IQOS est le produit du tabac chauffé le plus largement disponible, avec de loin la plus grande part du marché du tabac chauffé dans le monde. En France, il est le seul tabac chauffé disponible à ce jour. British American Tobacco a déposé sa marque (NeoStick pour la Glo) auprès de l’ANSES en 2021.

Un investissement tardif dans les cigarettes électroniques

Comme pour le snus, PMI a été le dernier des cigarettiers internationaux à se lancer sur le marché des cigarettes électroniques[9]. En novembre 2013, PMI a annoncé que l’entreprise allait produire sa propre cigarette électronique et en 2016, une cigarette électronique appelée IQOS Mesh a été développée et étroitement associée, sur le plan du marketing, à la marque de tabac chauffé IQOS. Ce produit a été lancé pour la première fois au Royaume-Uni en 2016, mais n’a pas été diffusé dans d’autres pays.

En 2019, l'entreprise comptait trois marques de cigarettes électroniques dans son portefeuille de produits, dont deux n'étaient vendues qu'au Royaume-Uni et en Irlande, et l'autre uniquement en Espagne et en Israël. La plupart des travaux de recherche et développement avaient été axés sur leurs produits de tabac chauffé, qu'ils avaient « délibérément privilégiés ».[10] Cependant, en 2019, PMI a déclaré qu'ils n'avaient pas été « inactifs » sur les produits du vapotage, investissant massivement dans ces derniers et qu’ils étaient prêts à les introduire à grande échelle[11]. La polémique sur les lésions pulmonaires liées au vapotage aux États-Unis[12] et la pandémie de Covid19 ont retardé le lancement du produit qui a finalement été lancé sous l’appellation VEEV en septembre 2020. Ce produit semble être une version « modifiée » de l’IQOS MESH. Le site de Philip Morris définit la cigarette électroniques VEEV comme « un dispositif qui utilise la technologie de chauffage IQOS MESH - une tige métallique avec de minuscules trous pour chauffer un pod pré-rempli et pré-scellé contenant de la nicotine et des arômes. Cela génère une vapeur contenant de la nicotine ».

Alternatives « sans combustion », l’argument marketing trompeur

Le principal argument de Philip Morris est que l’absence de combustion complète en ferait des produits du tabac moins toxiques que les cigarettes traditionnelles. Pour le fabricant, chauffer le tabac à cette température limiterait la génération et les concentrations de composés toxiques inhalés par l’utilisateur, ainsi, ces produits seraient des produits à risques potentiellement réduits. Sur son site internet, le fabricant indique « IQOS chauffe un mélange de tabac spécialement préparé à une température légèrement inférieure à 350 °C, sans combustion, sans flamme, sans cendres et sans fumée. Cela génère une vapeur contenant de la nicotine qui libère le vrai goût du tabac chauffé ». Cela contraste avec les cigarettes électroniques qui sont presque entièrement un mélange liquide de propylène glycol et de glycérine auxquelles on ajoute de la nicotine dérivée du tabac (ou même de la nicotine synthétique qui n’a plus aucun rapport avec le tabac), mais pas de feuille de tabac.

Le 7 juillet 2020[13], l’agence publique américaine, la Food and Drug Administration, FDA, a considéré le produit IQOS comme un « produit à risque modifié ». L’agence a formellement rejeté l’affirmation selon laquelle l’utilisation de l’appareil réduirait le risque de maladies liées au tabac, pointant l’absence de preuves sur la nocivité réduite à long terme et sur le plan populationnel. Cette décision de la FDA a largement a été reprise et régulièrement déformée par Philip Morris. Il s’ensuit que de nombreux médias à travers le monde présentent la décision de manière erronée[14]. Il est ainsi indiqué que le tabac chauffé du fabricant de la marque IQOS a été approuvé par la FDA ou que le produit est plus « sûr » que les cigarettes traditionnelles. En France, PMF s’est rapidement réjouie de la décision de la FDA dans un communiqué et a affirmé l’existence d’un « consensus scientifique international indépendant » sur la moindre dangerosité de l’IQOS, mais aussi que « la FDA a conclu que l’IQOS est destiné à être bénéfique pour la santé de la population dans son ensemble, tant pour les consommateurs de produits du tabac que [pour] les personnes qui n’en consomment pas actuellement ». En réalité, dans sa décision, la FDA a mis en garde PMI contre ce genre de déclaration, en déclarant que de allégations telles que « Des études scientifiques ont montré que le passage complet des cigarettes conventionnelles au système IQOS peut réduire les risques de maladies liées au tabac » et « Le passage complet au système IQOS présente moins de risques de dommages que le fait de continuer à fumer des cigarettes » ne sont pas fondées[15]. Pour sa part, l’Organisation mondiale de la santé rappelle qu’il n’existe aucune preuve démontrant que le tabac chauffé soit moins nocif que les produits du tabac classiques[16].

Philip Morris affirme que chauffer le tabac au lieu de le brûler produit « en moyenne 90 à 95% de moins » de substances toxiques, rendant l’IQOS plus sûr pour les fumeurs et leur entourage. L’entreprise ne cesse de mettre en avant à l’attention des pouvoirs publics et des journalistes ce qu’elle prétend être des « études indépendantes » destinées à démontrer que l’IQOS est plus sain qu’une cigarette classique. Si le dispositif IQOS peut exposer les utilisateurs à des niveaux plus faibles de certaines substances toxiques que les cigarettes, il expose également les utilisateurs à des niveaux plus élevés d'autres substances toxiques. Les études indépendantes[17] et l’examen des données issues des données de Philip Morris soulignent la présence de certains composants toxiques et potentiellement toxiques dans l’aérosol de l’IQOS à des niveaux supérieurs à ceux trouvés dans la fumée de cigarette. C’est notamment le cas du glycidol, dont un rapport indépendant démontre qu’il est 400% plus présent dans l’IQOS que dans les cigarettes classiques, alors que le Centre international de recherche sur le cancer l’a identifié comme étant un cancérigène probable. Selon les chercheurs, ces résultats témoignent de la nécessité de mener des analyses indépendantes de l’aérosol IQOS, notamment pour identifier les composants au potentiel inconnu de toxicité.

Une autre étude publiée dans la revue Tobacco Control[18] a examiné la validité des affirmations du fabricant selon lesquelles cet appareil ne brûle pas le tabac. L’étude décrit la pyrolyse du tabac comme une réaction endothermique qui se produit à des températures comprises entre 200°C et 600°C, au cours de laquelle se forme la majorité des composants volatils et semi-volatils de la fumée de cigarette. Philip Morris déclare que l'aérosol produit par les dispositifs IQOS réduit la quantité de produits chimiques figurant sur la liste des composants nocifs et potentiellement nocifs de la Food and Drug Administration. Cette étude montre cependant une carbonisation après la consommation des HEETS qui confirme la présence de composés organiques volatils, d'hydrocarbures aromatiques polycycliques, de dioxyde de carbone et d'oxyde nitrique. Ceci contredit l'affirmation selon laquelle la pyrolyse du tabac serait marginale dans l'IQOS. En conclusion, bien que l'IQOS fonctionne à des températures inférieures à 350°C, cela n'empêche pas la formation de composants nocifs volatils et semi-volatils de la fumée de tabac, qui ont tendance à avoir des points d'ébullition compris entre 70°C et 300°C.

En septembre dernier, une étude menée par The Bureau of Investigative Journalism[19] a révélé que la quantité de nicotine contenue dans les mini-cigarettes (HEETS) de tabac à chauffer à utiliser avec le dispositif IQOS de Philip Morris est 8 fois supérieure à celle indiquée par le fabricant et que l’usager inhale 2 fois plus de nicotine que signalé par ce dernier. Le Bureau a mandaté Unisanté, un centre universitaire de médecine générale et de santé publique en Suisse, pour réaliser les dosages dont les résultats ont été analysés par Force Technology au Danemark. En moyenne, chaque mini-cigarette de tabac contient 4,1 mg de nicotine. En concordance avec certains documents promotionnels sur son site internet déclinés en plusieurs langues, PMI a affirmé auprès du personnel du Bureau se faisant passer pour des consommateurs, que chaque mini-cigarette (marque HEETS) contenait 0,5 mg de nicotine, ce qui s’avère inexact. Ce chiffre de 0,5 mg a été la réponse apportée par les commerciaux IQOS de 11 pays européens, en entretenant une confusion entre la quantité de nicotine présente dans chaque mini-cigarette et celle inhalée par le fumeur. Un employé du site web suédois de PMI a même affirmé que la quantité de nicotine dans un HEETS était 24 fois inférieure à celle présente dans une cigarette classique.

Il est certain que ces quantités élevées de nicotine inhalées avec IQOS sont le résultat d’une stratégie visant à induire l’addiction à la nicotine et à la maintenir sur le long terme. Pour les chercheurs, l’ensemble de ces résultats démontrent que l’IQOS ne peut être considéré comme un outil de réduction des risques, et demandent des études complémentaires et indépendantes pour évaluer précisément la dangerosité du tabac chauffé de Philip Morris.

Une communication similaire pour le dispositif IQOS et la cigarette électronique VEEV

En France, Philip Morris a lancé son nouveau dispositif VEEV au sein des bureaux de tabac et en ligne sur un site internet dédié en juin 2022, soit 5 ans après son dispositif de tabac chauffé IQOS[20]. Pour annoncer le lancement de sa cigarette électronique, Philip Morris a progressivement ôté le terme « tabac » de ses communications lors de la mention de son dispositif IQOS pour le remplacer par « alternatives sans combustion », permettant d’y intégrer sa cigarette électronique. Le fabricant commercialise ainsi ses deux produits sous l’appellation « alternatives sans combustion » dans les lieux de vente. Dans les linéaires des buralistes, les recharges de tabac HEETS, auparavant indiquées par « tabac à chauffer » sont placées aux côtés des pods de recharges VEEV entourées d’un carré blanc « alternatives sans combustion ». Cette nouvelle appellation, en plus d'être illégale en termes de publicité sur le lieu de vente (la réglementation oblige le débitant à une « neutralité » des linéaires), est trompeuse. En effet, comme mentionné précédemment, ces dispositifs induisent une pyrolyse, qui est une combustion partielle. Cet argument marketing est aussi un moyen pour Philip Morris d’améliorer son image auprès de l’opinion et des décideurs publics voire de se présenter comme un acteur engagé en faveur de la santé. De plus, cette communication commune induit le consommateur en erreur qui croit consommer un produit équivalent (tabac à chauffer et cigarette électronique) en termes de risques sur la santé.

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Figure 1 - Stand d'un commercial Philip Morris (débit parisien - novembre 2022) - ©CNCT

Cette communication croisée se retrouve également sur les sites marchands des deux produits du fabricant. Sur le site web d’IQOS France, on trouve de nombreux liens vers des déclarations technologiques faites pour les produits IQOS qui expliquent les progrès et la nouveauté du produit. Le discours scientifique a une place prépondérante dans la communication autour du dispositif IQOS sur le site internet, mettant en avant les nombreuses heures de recherches supposées garantir la fiabilité du produit et ses nombreux « avantages » par rapport au tabagisme classique.

Ces articles contiennent souvent des affirmations imprécises sur la fonction réelle du produit et présentent des images futuristes de la technologie de la lame chauffante. L’ensemble des affirmations font appel au « bon sens » et à l’intelligence du client, faisant le lien entre l'utilisation d'IQOS et le bon choix à faire tout en lui laissant la liberté de choisir la version de l’IQOS, sa gamme de HEETS et de personnaliser son appareil avec des couleurs. Dès la page d’accueil on retrouve la phrase « IQOS 3 DUO – un meilleur choix que la cigarette », sous entendant que l’IQOS est l’unique alternative au tabagisme, occultant l’arrêt complet. Les « avantages » pour la santé sont ensuite détaillés dans de courtes vidéos explicatives.

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Figures 2 et 3- Capture d'écran du site français d'IQOS (Juillet 2022)

 

Ce discours scientifique et le champ lexical de l’innovation sont également présents sur le site web de VEEV qui met en avant le fait que la VEEV « chauffe » le liquide (tout comme l’IQOS chauffe le tabac).

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Figure 4 - Capture d'écran du site français de VEEV (Juillet 2022)

En ce qui concerne les HEETS de tabac chauffé (IQOS), il existe actuellement 7 saveurs disponibles en France (la saveur Teak ci-dessus n’est pas en vente). Les descriptions de ces saveurs ainsi que leurs noms sont volontairement évasives et évitent les catégories de saveurs traditionnelles en utilisant généralement des couleurs avec des descripteurs tels menthol, agrumes, noix, fruits secs, vanille, cacao et herbes.

Les recharges pour la cigarette électronique VEEV se déclinent elles aussi en 7 saveurs, n’indiquant jamais le goût réel sur les emballages. On retrouve les arômes « Classic Amber » « Classic blond (tabac) », classic mint, mint touch (mentholé), ruby touch, red touch, mauve touch (fruité)). Les deux types de recharges sont emballés dans un packaging épuré, blanc, renvoyant au niveau de la symbolique à une dimension scientifique quasi-médicale et soulignant la netteté du produit.

Ces éléments viennent constamment en appui de la communication de Philip Morris pour donner l’impression que ces alternatives seraient plus sûres voire plus saines.

Dans sa communication auprès des buralistes, qui sont les principaux prescripteurs des produits de Philip Morris en France, le fabricant a récemment distribué un livret « Nos alternatives sans combustion à la cigarette pour accélérer votre transformation » en apposant les logos IQOS et VEEV côte à côte. Le fabricant présente ses deux alternatives aux cigarettes traditionnelles et les place au même niveau « Contrairement à la cigarette, IQOS et VEEV chauffent avec précision le tabac ou un e-liquide, il n’y a donc pas de combustion ni de fumée ». Le fabricant invite les buralistes à entretenir un discours similaire sur le vapotage et le tabac chauffé à l’attention des fumeurs désirant arrêter le tabagisme traditionnel, ou à l’égard de tout client potentiel qu’il soit ou non consommateur de tabac, occultant les risques différents pour ces deux produits.

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Figures 5 et 6 - Saveurs disponibles pour l'IQOS et la VEEV

Une volonté d’entretenir la confusion entre le vapotage et le tabac chauffé

Les produits du tabac chauffé et les cigarettes électroniques sont souvent confondus dans le grand public et dans les médias. Cette confusion est délibérément recherchée et entretenue par Philip Morris. La communication de Philip Morris affirme que l'IQOS et le VEEV « réduisent de 95% en moyenne les composants nocifs générés par rapport à la fumée de cigarette », ce qui implique que les produits de vapotage et le tabac chauffé ont des profils de risque très similaires. Ces associations soigneusement choisies entre la VEEV et l'IQOS indiquent que les produits sont interchangeables et peuvent se consommer de manière simultanée. Une stratégie similaire a été relevée en Nouvelle-Zélande[21] lorsque Philip Morris a commercialisé son dispositif IQOS et VEEV sur un site internet unique et proposait des « kits découverte » associant le dispositif de tabac à chauffer IQOS et la cigarette électronique VEEV.

 

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Figure 6 - Kit de découverte en promotion pour le dispositif IQOS et la VEEV en promotion sur le site néo-zélandais

 

Cette confusion fait partie de la stratégie de reconquête du cigarettier, engagée au cours de ces dernières années. Celui-ci se positionne dans sa communication en faveur d’un « monde sans fumée » à travers les nouveaux produits du tabac et de la nicotine. L’industrie du tabac utilise les produits du vapotage comme un brise-glace pour la promotion d’autres produits du tabac, notamment le tabac chauffé. Dans le cas présent, Philip Morris utilise sa cigarette électronique VEEV pour communiquer autour de son dispositif IQOS. L’objectif est d’obtenir une réglementation plus souple pour ce dernier, notamment en termes de fiscalité (voir figure 7).

Figure 7 - Diapos d’une présentation interne de PMI datant de 2014 intitulée « Reduced Risk Briefing ». L’objectif est de « profiter de la dynamique de taxation des cigarettes électroniques pour préconiser de nouvelles catégories pertinentes » (l’IQOS se trouvant parmi ces produits[22].

 

En juin 2022, selon un sondage Ifop commandité par Philip Morris France, une majorité de Français aimerait que les alternatives sans combustion à la cigarette soient davantage connues et reconnues, notamment par les politiques de santé publique. La présidente de Philip Morris France, Jeanne Pollès déplore que de nombreux fumeurs ne reçoivent pas d'informations exactes sur les « alternatives sans combustion », en particulier le tabac à chauffer de PMI, « d’autant plus qu’ils sont près de 60 % à considérer que les alternatives devraient être un levier à part entière des politiques de santé publique, à l’image de ce qui est fait dans de nombreux pays en Europe et dans le monde ».

À travers ce sondage, Philip Morris cherche en premier lieu à assouplir la réglementation en vigueur du tabac à chauffer et à infléchir un marché devenu déclinant des produits du tabac traditionnels en raison des politiques publiques de réduction de la consommation. De plus, encourager les utilisateurs de produits de vapotage qui ne fument pas à utiliser des IQOS et à passer de la VEEV à l'IQOS semble contredire le propre modèle de réduction des risques de PMI. Autre élément qui contredit les allégations de réduction de risque du fabricant : le prix de vente des recharges de vapotage est plus élevé de 50 centimes par paquet que ses recharges HEETS (8,00€ contre 7,50€) alors que les avantages potentiels pour la santé des produits du vapotage sont largement considérés comme plus importants. Cette stratégie montre que Philip Morris souhaite en réalité orienter le consommateur vers le tabac chauffé où le fabricant peut réaliser ses marges et sécurise davantage ses marchés.

Alors qu’en France, Philip Morris semble, pour le moment, distinguer ses deux alternatives par des marques différentes « IQOS » et « VEEV », tel n’est pas le cas dans d’autres pays où la VEEV est commercialisée sous l’appellation « IQOS », sous entendant simplement que le tabac chauffé appartient à la même catégorie que la cigarette électronique.

Figure 8 – Capture d’écran d’un revendeur grec sur Instagram

 

En mai 2019, André Calantzopoulos, directeur de Philip Morris International indiquait dans une interview que Philip Morris prévoyait de déployer la vente de cigarettes électroniques à l’échelle internationale en 2020, sous la marque de son produit de tabac chauffé IQOS.

PMI affirme avoir introduit le système IQOS, afin de réduire les ventes de cigarettes traditionnelles et l’entreprise déclare vouloir mettre à disposition des produits qui seraient moins toxiques. Dans cette perspective d’enrayer l’épidémie tabagique, les pays cibles devraient être ceux où les ventes de cigarettes augmentent. Or, IQOS a été lancé dans les pays où les ventes de cigarettes sont en baisse et dans les pays à revenu élevé qui ont mis en place de solides mesures de lutte antitabac, notamment en Europe. L'une des raisons pour lesquelles PMI cible ces marchés est que les consommateurs disposent de plus de revenus et sont plus disposés à commencer à utiliser le système IQOS étant donné son coût initial non négligeable.

La réalité est donc que Philip Morris conçoit l’ensemble de ses produits du tabac et à la nicotine comme autant de guichets d’entrée possibles dans l’addiction à la nicotine et comme des moyens permettant d’éviter l’arrêt du tabac chez les consommateurs actuels. Cette approche couplée à une approche marketing orientant vers ses produits à plus forte marge bénéficiaire lui permet de maintenir voire de développer ses marchés pour l’avenir. La stratégie « sans combustion » de PMI semble être une reproduction de l'approche de l'industrie du tabac en matière de tabac sans fumée. Des documents de l'industrie avaient d’ailleurs révélé que les produits sans fumée étaient considérés comme un moyen de créer une nouvelle forme de consommation de tabac parmi ceux qui ne souhaitaient plus commencer à fumer et « faire de nouveaux profits plutôt que de cannibaliser les profits existants des cigarettes »[23]. Avec cette panoplie de produits, si la cigarette classique venait à être interdite au cours des prochaines décennies, le fabricant espère avoir le temps d’imposer son produit phare de tabac chauffé et les marges bénéficiaires associées.

Mots-clés : Philip Morris, alternatives sans combustion, réduction des risques, tabac à chauffer, vapotage, cigarette électronique, IQOS, VEEV, marketing

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AE


[1] Données 2022 de Philip Morris France[2] Newer Nicotine and Tobacco Products, Tobacco Tactics, mise à jour le 4 mars 2022, accessed 22 juillet 2022.[3] S. Peeters, A. Gilmore, Transnational tobacco company interests in smokeless tobacco in Europe: Analysis of internal industry documents and contemporary industry materials, PLoS Medicine, 2013,10(9):1001506[4] Swedish Match, Interim Report: January-March 2010, Swedish Match website[5] Swedish Match, Swedish Match and Philip Morris International to dissolve smokeless joint venture, 16 juillet 2015[6] AG Snus Aktieselskab sold to Phillip Morris International, Mazanti Andersen, 7 mai 2021, consulté le 22 juillet 2022[7] A. Calantzopoulos, M. King, Morgan Stanley Global Consumer & Retail Conference Webcast, Philip Morris International, 3 décembre 2019[8] Heated Tobacco Products: Philip Morris International, Tobacco Tactics, mise à jour le 4 mars 2022, consulté le 22 juillet 2022[9] E-cigarettes: Philip Morris International, Tobacco Tactics, mise à jour le 29 juillet 2021, consulté le 22 juillet 2022.[10] Philip Morris International, Investor Information April 2019, PMI website[11] Ibid[12] Ayers JW, Leas EC, Dredze M, et alDid Philip Morris International use the e-cigarette, or vaping, product use associated lung injury (EVALI) outbreak to market IQOS heated tobacco?Tobacco Control Published Online First: 16 April 2021. doi: 10.1136/tobaccocontrol-2021-056661[13] Communiqué de presse, FDA Authorizes Marketing of IQOS Tobacco Heating System with ‘Reduced Exposure’ Information, site de la FDA, publié le 7 juillet 2020, consulté le 22 juillet 2022[14] Génération sans tabac, Stratégies de commercialisation d’IQOS avant et après l’octroi du statut « produit à risque modifié » par la FDA américaine, publié le 28 octobre 2021, consulté le 22 juillet 2022[15] FDA Scientific Review of Modified Risk Tobacco Product Application (MRTPA) Under Section 911(d) of the FD&C Act -Technical Project Lead.30 juin 2020. https://www.fda.gov/media/139796/download[16] CNCT, IQOS : L’offensive trompeuse et illégale de Philip Morris France, publié le 24 août 2020, consulté le 22 juillet 2022[17] El-Kaassamani M, Yen M, Talih S, et al, Analysis of mainstream emissions, secondhand emissions and the environmental impact of IQOS waste: a systematic review on IQOS that accounts for data source, Tobacco Control Published Online First: 13 May 2022. doi: 10.1136/tobaccocontrol-2021-056986[18] Davis B, Williams M, Talbot P iQOS: evidence of pyrolysis and release of a toxicant from plastic Tobacco Control 2019;28:34-41.[19] Laura Margottini , Matthew Chapman, Philip Morris misleading the public about nicotine in heated tobacco, The Bureau of Investigative Journalism, publié le 28 août 2022, consulté le 25 octobre 2022[20] Keren Lentschner, Philip Morris s’invite sur le marché de la vape, Le Figaro, publié le 19 juin 2022, consulté le 22 juillet 2022[21] Robertson L, Hoek J, Silver K PMI New Zealand conflates IQOS heated tobacco products with electronic nicotine delivery systems Tobacco Control Published Online First: 19 November 2021. doi: 10.1136/tobaccocontrol-2021-056964[22] PMI. Reduced Risk Briefing. 2014. https://www.documentcloud.org/app?q=%22Reduced%20Risk%20Products%22[23] Matthew Chapman, Big Tobacco Targets Youth With $1.4 Billion Marketing Campaign, The Defender, 15 mars 2021, consulté le 22 juillet 2022Comité national contre le tabagisme |

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