Un enregistrement témoigne des pratiques de commerce illicite de cigarettes entre le Burkina Faso et le Mali
14 juin 2023
Par: Comité national contre le tabagisme
Dernière mise à jour : 14 juin 2023
Temps de lecture : 5 minutes
L’enregistrement d’une rencontre entre une intermédiaire d’Apollinaire Compaoré, un magnat de la cigarette au Burkina Faso, et le responsable de la compagnie d’Etat du tabac au Mali confirme les pratiques de corruption et de commerce illicite de cigarettes entre ces deux pays.
La Sénégalaise Safy Mokoko Sow, a déclaré exercer depuis une trentaine d’année auprès d’Apollinaire Compaoré, l’un des principaux acteurs du tabac au Burkina Faso, des activités, selon ses termes, de « facilitation » du « transit de cigarettes » par d’autres pays africains.
Au cours du mois d’août 2017, Safy Mokoko Sow a rencontré Issouf Traoré, directeur général de la Société malienne des tabacs et allumettes du Mali (Sonatam), et a enregistré leur échange afin d’en rendre compte à M. Compaoré. Cet enregistrement a pu être récupéré par des journalistes de l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) ; ceux-ci ont vérifié auprès d’un expert en sécurité informatique que l’enregistrement n’a pas été altéré et qu’il peut donc être considéré comme authentique[1].
Une tentative de corruption pour mettre fin aux saisies de cigarettes
Au cours de cet entretien de 90 minutes, Safy Mokoko Sow espérait obtenir d’Issouf Traoré qu’il joue de son influence pour intervenir auprès des douanes afin de faire cesser les saisies de convois illicites de cigarettes de marque American Legend dans le nord du Mali. Elle a proposé à M. Traoré la somme de 100 millions de francs CFA (soit 150 000 euros) afin de gagner son soutien, sans que celui-ci n’accepte cette proposition. M. Traoré n’a pas donné suite aux demandes de Mme Mokoko Sow, en arguant que ces trafics financent des groupes terroristes au Mali.
Face à l’insistance de Mme Mokoko Sow, M. Traoré l’a en retour interrogée pour savoir si ces cigarettes American Legend étaient produites en Grèce et si leur destination était l’Algérie. A défaut de répondre clairement, Mme Mokoko Sow s’est alors vantée des réseaux qu’elle a su tisser en Afrique et a mentionné son intervention pour débloquer une cargaison de cigarettes placée sous séquestre dans le port de Lomé (Togo). Comprenant qu’elle n’obtiendrait rien de M. Traoré, Mme Mokoko Sow a conclu qu’elle en référerait à M. Compaoré.
Les journalistes de l’OCCRP ont confirmé que sept conteneurs de cigarettes American Legend appartenant à la compagnie SOBUREX, détenue par Apollinaire Compaoré, avaient bien été consignés au port de Lomé en octobre 2016, durant plusieurs mois, à une période correspondant à celle évoquée par Mme Mokoko Sow. Les douanes togolaises avaient levé le blocage des conteneurs, sans fournir de réelles explications. La société grecque Karelia, fabricant des cigarettes American Legend et distributeur en Europe pour Philip Morris International (PMI), a de son côté déclaré à l’OCCRP avoir stoppé toute activité avec M. Compaoré depuis plusieurs années.
La SOBUREX d’Apollinaire Compaoré soupçonnée de contrebande
L’OCCRP a également pu se procurer un rapport, non publié, de l’ADIT, un cabinet français d’intelligence stratégique ayant perçu des financements de PMI Impact. Ce rapport établissait que la société SOBUREX de M. Compaoré aurait été impliquée dans la contrebande de milliards de cigarettes, à raison d’un milliard tous les quatre ou cinq mois, et que ces activités illicites ont financé des groupes terroristes. L’ADIT estimait que chaque convoi rapportait à M. Compaoré entre 7 et 18 millions d’euros de profit en contournant les taxes. M. Compaoré a démenti dans Le Monde un reportage de l’OCCRP sur ce sujet[2]. PMI, dont M. Compaoré est un distributeur, a de son côté renvoyé à une précédente déclaration déniant toute connaissance d’un trafic vers les pays voisins de ses produits destinés au Burkina Faso.
Les ramifications internationales des activités de M. Compaoré
Propriétaire de nombreuses entreprises dans les secteurs les plus variés et président du Conseil national du patronat burkinabè (CNPB), Apollinaire Compaoré est l’un des hommes les plus riches du Burkina Faso[3]. Il est aussi notoirement connu pour ses activités de commerce illicite de cigarettes dans plusieurs pays africains. Les cigarettes transitant par le Mali seraient destinées à alimenter le marché parallèle en Afrique du Nord, ainsi qu’en Europe. La Sonatam fait de son côté l’objet d’un partenariat entre British American Tobacco et Imperial Brands, deux multinationales du tabac qui ont également été citées dans des affaires de contrebande et de financement de groupes terroristes au Mali, tout en dénonçant celles de leur concurrent PMI.
Mots-clés : Burkina Faso, Mali, SOBUREX, Apollinaire Compaoré, Sonatam, Issouf Traoré, PMI, BAT, Imperial Brands, commerce illicite, ADIT.
©Génération Sans TabacMF
[1] O’Brien J, Alleged Associate of Burkinabè Cigarette Tycoon Apollinaire Compaoré Caught on Tape Attempting to Bribe Malian Official, OCCRP, publié le 16 mai 2023, consulté le 17 mai 2023.
[2] Au Burkina, le président du patronat se défend de tout « trafic » avec les djihadistes, Le Monde, publié le 23 mars 2021, consulté le 17 mai 2023.
[3] Trafic de cigarettes au Sahel : ce que dit vraiment l’ONU sur Apollinaire Compaoré, Jeune Afrique, publié le 1er septembre 2021, consulté le 17 mai 2023.
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