Tabac chauffé : aucune preuve claire d’un bénéfice pour les fumeurs
7 mai 2025
Par: Comité national contre le tabagisme
Dernière mise à jour : 5 mai 2025
Temps de lecture : 8 minutes
Une nouvelle synthèse indépendante menée par l’Université de Bath met en doute l’efficacité des produits du tabac chauffé comme alternative bénéfique à la cigarette. Les résultats montrent des effets nocifs persistants, même chez les fumeurs ayant complètement substitué la cigarette à ces produits, et révèlent une absence de données solides pour appuyer les allégations de l’industrie du tabac sur leur caractère à « risque réduit »[1].
Les chercheurs ont examiné 49 essais cliniques portant sur les produits du tabac chauffé, dont une majorité étaient financés ou menés par l’industrie du tabac. Seulement une minorité d’entre eux étaient indépendants. L’analyse s’est concentrée sur les biomarqueurs de potentiels effets nocifs, permettant d’évaluer l’impact de l’exposition aux substances toxiques présentes dans les émissions des produits du tabac chauffé. Les essais analysés présentaient pour la plupart un risque élevé de biais. Ils étaient de courte durée, conduits en conditions de laboratoire, et peu représentatifs d’un usage réel par le consommateur. Peu de comparaisons étaient faites avec des dispositifs validés pour le sevrage tabagique ou avec des situations de sevrage complet.
Des résultats contrastés et une absence de bénéfice démontré pour les fumeurs
L’analyse systématique menée par l’Université de Bath, à partir des essais cliniques portant sur les produits du tabac chauffé met en évidence l’absence de bénéfices sanitaires clairs et durables pour les fumeurs, y compris pour ceux ayant complètement remplacé la cigarette par ces dispositifs. Les résultats montrent que l’usage des produits du tabac chauffé entraîne des effets négatifs aussi bien chez les consommateurs ayant arrêté de fumer des cigarettes que chez les usagers ayant une co-consommation de cigarettes classiques et de heets de tabac chauffé. Ceci contredit directement les allégations de « risque réduit » portées par les fabricants.
Une des dimensions les plus étudiées concerne l’effet de ces produits sur la pression artérielle. Dans des environnements contrôlés (essais cliniques confinés), certaines études suggèrent une réduction modeste des niveaux de pression artérielle systolique et diastolique après une utilisation à court terme des produits du tabac chauffé, comparativement à la cigarette classique. Toutefois, ces résultats ne sont pas reproductibles dans des conditions de vie réelle. Dans les études menées en ambulatoire, c’est-à-dire en dehors d’un cadre clinique, les effets sur la pression artérielle apparaissent très hétérogènes : certaines données indiquent une augmentation des marqueurs de risque, d’autres une réduction, et plusieurs n’observent aucun changement significatif. Cette variabilité importante, conjuguée à la faible durée des essais analysés, rend toute interprétation globale très incertaine.
De façon plus large, les chercheurs soulignent que les études disponibles ne permettent pas d’établir une hiérarchie claire du risque entre les produits du tabac chauffé, les cigarettes électroniques et l’arrêt complet du tabac. Peu de données comparent directement les produits du tabac chauffé aux dispositifs validés pour le sevrage ou à une abstinence durable, ce qui empêche d’évaluer leur intérêt en matière de réduction des risques à l’échelle de la population. En outre, les effets bénéfiques observés dans certains paramètres biologiques sont souvent transitoires, incohérents d’un essai à l’autre, et rarement statistiquement significatifs.
Par ailleurs, plusieurs événements indésirables graves sont rapportés dans la littérature médicale, renforçant les préoccupations sur la sécurité de ces produits. Il s’agit notamment d’intoxications aiguës à la nicotine, de cas de pneumonies rares, et d’incidents liés à l’ingestion accidentelle des composants métalliques des dispositifs par des enfants. Ces données cliniques, bien que dispersées, soulignent que les risques liés aux produits du tabac chauffé ne peuvent être considérés comme négligeables, et qu’ils concernent à la fois les utilisateurs réguliers et des populations vulnérables.
En définitive, les auteurs concluent que les données disponibles sont trop restreintes, trop limitées dans le temps, et trop souvent biaisées par des financements industriels pour permettre d’affirmer que les produits du tabac chauffé présentent un avantage sanitaire net pour les fumeurs. Les bénéfices attendus, au regard des campagnes marketing de l’industrie, ne sont ni prouvés ni cohérents. Dans ce contexte, la prudence reste de mise rappellent les auteurs de l’étude.
Des stratégies marketing en contradiction avec les objectifs de santé publique
Bien que l’industrie du tabac affirme que les produits du tabac chauffé sont destinés exclusivement aux fumeurs adultes désireux d’arrêter de fumer, les données recueillies par les chercheurs révèlent une tout autre réalité. Plusieurs études ont mis en évidence une prévalence significative de l’usage des produits du tabac chauffé chez les jeunes, y compris chez des adolescents n’ayant jamais fumé de cigarettes. À l’échelle mondiale, les adolescents sont aujourd’hui plus de deux fois davantage susceptibles que les adultes d’avoir expérimenté ou adopté un produit du tabac chauffé. Cette tendance ne peut être interprétée comme un effet secondaire involontaire, mais bien comme le résultat de stratégies commerciales ciblées, documentées dans de nombreux contextes.
Des investigations indépendantes montrent que Philip Morris International (PMI) a largement recours à des canaux de communication populaires auprès des jeunes : partenariats avec des influenceurs, parrainage d’événements culturels et sportifs, marketing en ligne et design produit attractif inspiré des codes de la high-tech. De plus, des documents internes ayant fuité démontrent que le développement des produits du tabac chauffé n’a jamais eu pour objectif principal de remplacer les cigarettes, mais bien conquérir de nouveaux segments de marché avec des produits à forte marge bénéficiaire tout en maintenant les ventes de cigarettes classiques dans les zones où les réglementations sont plus faibles.
La stratégie de PMI au Japon, pays pilote pour le lancement de l’IQOS, illustre cette stratégie. Dans un contexte où les cigarettes électroniques sont interdites, PMI a déployé une approche agressive, incluant le financement indirect d’études scientifiques, la mobilisation de consultants en communication pour nouer des liens avec le monde académique, et des tentatives répétées d’influencer les décideurs. Le plan d’action interne de la filiale japonaise évoque explicitement la volonté d’accélérer l’acquisition et la conversion de nouveaux utilisateurs, en particulier parmi les jeunes générations, consolidant ainsi une dépendance à long terme à la nicotine[2]-[3].
En outre, les affirmations de l’entreprise selon lesquelles les produits du tabac chauffé seraient une aide au sevrage manquent cruellement de fondement scientifique. Si PMI revendique que plus de 23 millions de personnes auraient « arrêté de fumer grâce à IQOS », les données indépendantes indiquent que la majorité des utilisateurs continuent en réalité à consommer d’autres produits nicotiniques, souvent en parallèle. Cette consommation multiple ou concomitante accroît les risques pour la santé et contredit le discours officiel sur la « réduction des risques ». Dans certains pays, PMI nie même que les produits du tabac chauffé soient destinés à l’arrêt du tabac, adaptant son argumentaire aux législations locales et semant volontairement la confusion.
Ces pratiques témoignent d’une stratégie globale visant à normaliser l’usage du tabac sous une forme nouvelle, à éroder les politiques de prévention, et à affaiblir les réglementations existantes. Dans ce contexte, les chercheurs et experts de la santé publique appellent les autorités de santé publique à rester particulièrement vigilantes face aux discours promus par l’industrie et à refuser toute légitimité sanitaire à des produits dont les risques sont mal évalués, et les bénéfices, non démontrés.
AE
[1] Communiqué de presse, New Analysis Shows No Clear Evidence That Heated Tobacco Products Are a Better Alternative to Cigarettes or That They Help Smokers Quit, STOP, publié le 30 avril 2025, consulté le jour-même
[2] Génération sans tabac, Tabac chauffé : un document interne révèle l’offensive de Philip Morris au Japon, publié le 1er juillet 2024, consulté le 30 avril 2025
[3] Génération sans tabac, Japon : Des universitaires financés secrètement par Philip Morris pour promouvoir l’IQOS, publié le 9 juillet 2024, consulté le 30 avril 2025
Comité national contre le tabagisme |