Les stratégies de l’industrie du tabac pour contourner l’interdiction du menthol aux États-Unis

Alors que les interdictions locales de produits à la nicotine au menthol gagnent du terrain aux États-Unis et qu'une interdiction se profile au niveau fédéral, des chercheurs du Roswell Park Comprehensive Cancer Center et de l'Université de Californie du Sud (USC)[1]-[2] étudient les efforts déployés par l'industrie du tabac pour contourner l'interdiction du menthol promulguée en Californie en décembre 2022. Ces procédés pourraient indiquer comment les fabricants de tabac contourneraient l'interdiction nationale du tabac mentholé proposée par la Food & Drug Administration (FDA), attendue en automne 2023.

En avril 2021, la Food and Drug Administration (FDA) a décidé d’interdire les cigarettes mentholées et les cigares aromatisés. Il s’agissait de la première étape d’un long processus réglementaire pour retirer du marché les produits concernés.

L'ajout de menthol au tabac réduit l'âpreté de la fumée, facilitant l’entrée dans le tabagisme des adolescents et des jeunes adultes. Par ailleurs, il est établi que le menthol interagit avec la nicotine pour intensifier les propriétés addictives du tabac, il devient plus difficile pour les fumeurs de menthol d'arrêter.

La promotion de cigarettes rafraîchissantes contenant des agents synthétiques

Des chercheurs ont effectué une étude terrain dans une dizaine de lieux de vente en Californie. Il apparaît que lorsque les cigarettes mentholées ont été interdites dans cet Etat en 2022, de nouveaux produits contenant des agents synthétiques rafraichissants et explicitement étiquetés comme « non mentholés » ont alors été fortement promus chez les détaillants de tabac auprès des anciens fumeurs de menthol. Ces cigarettes « rafraîchissantes », des marques Newport, Camel, Kool ou encore Maverick, ont un emballage proche de celui des cigarettes mentholées traditionnelles. Les couleurs de ces emballages comme le vert vif et le bleu sont typiquement associées à la commercialisation de divers types de produits mentholés. Les analyses en laboratoire de ces produits ont en outre montré que plusieurs agents synthétisants refroidissants avaient été retrouvés dans les marques de cigarettes, majoritairement dans les filtres.

Les descripteurs de marque adoptés par les fabricants sur ces produits faisaient également référence au menthol. On trouvait notamment les termes « frais » et « croustillants » à côté du descriptif « sans menthol ». Des slogans tels que « le non-menthol pour les fumeurs de menthol » et « une intensité fraîche faite juste pour vous » étaient mises en avant pour décrire les produits sur les lieux de vente.

Les détaillants proposaient des prix réduits sur ces cigarettes rafraîchissantes et, dans certains cas, les réductions pouvaient être combinées à des coupons ou des promotions supplémentaires proposés par le biais d'applications de téléphonie mobile.

La nécessité d’avoir une interdiction complète pour éviter les contournements par l'industrie

Pour les chercheurs, le suivi de l'expérience californienne doit alerter la FDA sur les potentiels contournements de la loi par l’industrie du tabac et ils appellent à la mise en place de réglementations plus strictes et plus complètes. De futures analyses des constituants et de la composition des produits, ainsi qu'une surveillance plus poussée de la commercialisation et de l'utilisation des cigarettes rafraîchissantes sont également mentionnées comme essentielles par ces chercheurs.

Ces pratiques ainsi pointées par ces chercheurs ne sont pas sans précédents. Ainsi lors de l’élaboration de la dernière directive européenne sur les produits du tabac, l’industrie du tabac s’était fortement opposée à la mesure d’interdiction du menthol. Bien qu'elle ne soit pas parvenue à empêcher l’adoption de cette mesure, elle avait obtenu un délai additionnel de quatre années avant la mise en œuvre de celle-ci et une limitation du champ de l’interdit aux seules cigarettes et au tabac à rouler. En outre, au moment de l’entrée en vigueur de la disposition, les fabricants ont interprété le texte de l’interdiction du menthol non pas en tant qu’ingrédient mais uniquement en tant qu’ « arôme caractérisant ». Ils ont ainsi mis sur le marché de nouvelles cigarettes contenant des résidus de menthol et ils ont également eu recours à des descriptifs rappelant le menthol comme « Fresh ». Japan Tobacco International a particulièrement mis en avant ses Camel « fresh ». À la faveur de cette mesure d’interdiction du menthol, les fabricants de tabac ont enfin essayé de promouvoir leurs autres produits du tabac et de la nicotine mentholés exemptés de l’interdiction : cigarillos, cigarettes électroniques, tabac chauffé. Pour ce dernier les mini-cigarettes « heets » de tabac chauffé au menthol (et tous les autres arômes) devraient néanmoins être interdites dès novembre 2023.

Consulter le dossier « Interdiction du menthol : un an après, où en est-on ? »

Mots-clés : Menthol, États-Unis, contournement, industrie du tabac, FDA, directive européenne, faille réglementaire

AE