Canada : Les créanciers approuvent la proposition d’accord de 32,5 milliards de dollars avec les fabricants de tabac
14 décembre 2024
Par: Comité national contre le tabagisme
Dernière mise à jour : 13 décembre 2024
Temps de lecture : 5 minutes
La proposition d'accord qui verrait trois géants du tabac payer des milliards aux provinces et territoires, ainsi qu'aux fumeurs du Canada, a été approuvée par les créanciers des sociétés ce jeudi 12 décembre. La proposition de règlement global de 32,5 milliards de dollars canadiens entre les sociétés JTI-Macdonald Corp., Rothmans, Benson & Hedges et Imperial Tobacco Canada Ltd. et leurs créanciers a été annoncée en octobre dernier après cinq ans de négociations.
Avant de pouvoir être mis en œuvre, le plan doit obtenir l'approbation du tribunal. Une audience est prévue à la fin du mois de janvier. Les avocats de JTI-Macdonald avaient déposé une requête pour signifier que leur client n'approuvait pas le plan. Selon eux, leur client ne pouvait l'accepter en l’état en raison de problèmes ultimes non résolus. Le fabricant a été débouté de sa demande la semaine dernière devant un tribunal de Toronto.
Tenir l’industrie du tabac pour responsable
L'accord proposé prévoit 24 milliards de dollars pour les provinces et les territoires, 4 milliards pour des dizaines de milliers de fumeurs québécois et leurs héritiers, et plus de 2,5 milliards pour les fumeurs des autres provinces et territoires. Il prévoit également plus d'un milliard de dollars pour une fondation destinée à aider les personnes touchées par les maladies liées au tabac. En 2015, un tribunal québécois avait ordonné aux trois entreprises de payer environ 15 milliards de dollars dans le cadre de deux recours collectifs. Ces derniers impliquaient des fumeurs de la province qui étaient tombés dans l’addiction tabagique entre 1950 et 1998, étaient devenus dépendants et avaient développées des maladies attribuables au tabagisme. Outre ces fumeurs les recours comptaient les héritiers de ce fumeurs décédés[1].
Quatre ans plus tard, cette décision historique avait été confirmée par la cour d'appel de la province. Les entreprises avaient alors demandé la protection contre les créanciers en Ontario afin de négocier un accord global avec leurs créanciers.
Cette affaire est due en grande partie aux réformes du système judiciaire mises en œuvre au Québec facilitant l’ « accès à la justice » pour les consommateurs. Pour les experts antitabac, ces réformes pourraient contribuer à une plus grande mise en œuvre de l’une des dispositions de la convention-cadre de l'OMS : l'article 19 consacré à la responsabilité de l’industrie du tabac. La mise en cause de l’industrie du tabac dans le cadre d’actions en justice constitue une modalité de référence particulièrement efficace et est susceptible d’enseignements pour d’autres problématiques d’intérêt général où le poids des lobbies catégoriels sont majeurs. La notion de responsabilité juridique s’entend ici dans le sens du pollueur payeur dans une acception large que ce soit pour les dommages passés mais aussi présents.[2].
Un accord historique mais insuffisant pour les défenseurs antitabac
La Société canadienne du cancer, partie prenante dans cette affaire, a déclaré qu'elle espérait que la proposition serait modifiée avant d'être approuvée par le tribunal fin janvier. Rob Cunningham, l'avocat de l'organisation, a déclaré que le plan devrait inclure des mesures de réduction du tabagisme et la publication de documents confidentiels de l'industrie, à l'instar de ce qui a été réalisé aux États-Unis il y a plusieurs décennies. « Il s'agit d'une occasion unique de mieux contrôler l'industrie du tabac et de réduire le tabagisme. Nous n'aurons plus jamais cette chance », a-t-il déclaré[3].
La fondation financée par l'accord proposé devrait également voir son mandat élargi pour inclure la prévention des maladies liées au tabac et les efforts de sensibilisation du public pour aider les gens à arrêter de fumer, a déclaré Manuel Arango, vice-président en charge des affaires publiques au sein l'association Heart & Stroke.
Les associations de santé dénoncent également l’absence et le mutisme du gouvernement fédéral et du ministère de la santé pendant toutes les années de négociations : « tout ministre compétent devrait savoir que la prévention des maladies représente la priorité, puisqu'il s'agit d'une approche qui évite la souffrance et la mort, en plus des coûts de santé », écrivent-ils dans un communiqué conjoint[4].
Pour Flory Doucas, codirectrice de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, le montant de l’accord est loin d’être suffisant pour compenser l’ensemble des dommages. La Société canadienne du cancer chiffrait les demandes des provinces et territoires à plus de 500 milliards de dollars au cours des 25 dernières années, dont 330 milliards de dollars pour la seule province de l'Ontario.
De plus, cet accord mettra un terme à toute autre procédure actuellement engagée à l’encontre des trois entreprises concernées. Selon les termes de l'accord, le trio pourra également se soustraire aux dispositions de la législation en matière de protection des faillites et continuer à exploiter son modèle d'entreprise actuel.
AE
[1] Creditors approve proposed $32.5B deal with tobacco giants: lawyer, CTV News, publié le 13 décembre 2024, consulté le jour-même
[2] Génération sans tabac, Canada : JTI-Macdonald Corp s’oppose à la proposition de règlement de 32,5 milliards de dollars avec les provinces, publié le 8 novembre 2024, consulté le 13 décembre 2024
[3] Les créanciers ont approuvé l’accord proposé de 32,5 milliards, La Presse, publié le 12 décembre 2024, consulté le 13 décembre 2024
[4] Jean-Philippe Nadeau, La santé publique a-t-elle été sacrifiée dans l’entente sur le tabac?, Radio Canada, publié le 19 octobre 2024, consulté le 13 décembre 2024
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