Quand PMI s’offre une tribune dans un quotidien français

Dans une tribune publiée dans l’Opinion, Jeanne Pollès, présidente de Philip Morris France, fait la promotion des nouveaux produits du tabac, et appelle les pouvoirs publics à mobiliser le monde de l’entreprise, et notamment les cigarettiers, pour amorcer un « virage stratégique », à la hauteur des défis sociétaux, économiques, sanitaires, ou climatiques actuels[1]. Il est intéressant de reprendre un à un les arguments déployés par Jeanne Pollès, offrant un grand nombre de contre-vérités, afin de les décrypter.

« La crise Covid a montré que l’entreprise pouvait concourir au bien commun »

L’industrie du tabac, et en particulier Philip Morris International (PMI), a été pointée du doigt pour avoir profité de la pandémie mondiale pour se mettre en scène lors d’opérations marketing et de valorisation d’image. Ainsi, en avril 2019, l’entreprise Apastratos, détenue à hauteur de 40% par PMI, a, par exemple, offert 50 ventilateurs aux hôpitaux grecs. Cette opération est d’autant plus contestable quand l’on sait que le tabagisme augmente les risques de développer des complications suite à une infection au virus, ou que les cigarettiers se sont opposés à plusieurs mesures de santé publique à travers le monde pour enrayer la progression du Coronavirus. En Afrique du Sud, ces derniers ont notamment engagé des procédures judiciaires contre le gouvernement, qui avait interdit exceptionnellement la vente de produits du tabac pendant la période de confinement, car jugés non essentiels et pouvant aggraver l’épidémie.

« Un industriel du tabac peut-il prétendre lui aussi à améliorer le monde tel qu’il est, et non tel que l’on aimerait qu’il soit, sans comportements à risques ? C’est le choix que nous avons fait ! »

Ce verbatim résume un argument classique de l’industrie du tabac. D’abord, Jeanne Pollès propulse l’industrie du tabac au rang d’acteur social responsable et engagé. En sous-texte, la présidente de PMI France oppose les cigarettiers, représentants d’une vision pragmatique (« un monde tel qu’il est »), au monde de la santé publique et de la lutte anti-tabac, hors-sol, limité à une vision biaisée et dogmatique (« un monde tel qu’on voudrait qu’il soit ». Ce procédé rhétorique vise ici à décrédibiliser et disqualifier l’expertise et la légitimité des acteurs de santé publique comme des mesures antitabac, par définition inconciliables avec les intérêts économiques de cette industrie.

« Nous avons aussi fait le choix d’une transformation globale […] face aux nouvelles attentes sociétales et aux défis sanitaires, climatiques et économiques »

On voit ici que l’industrie du tabac a compris que les différents enjeux mondiaux actuels constituaient un véritable levier de communication, utile à redorer une image ternie pendant des décennies par une succession de scandales, sanitaires ou non. En réalité, le bilan des cigarettiers est catastrophique à tous ces niveaux.

  • Sur la question sociétale, l’industrie du tabac s’est caractérisée par un ciblage marketing extrêmement agressif à l’égard des jeunes, des femmes, des afro-américains, de la communauté LGBT, et des minorités en général.
  • Sur la question sanitaire, il est utile de rappeler que le tabagisme est la cause directe de plus de huit millions de morts par an, tandis que l’industrie du tabac s’oppose systématiquement à toute politique de santé publique permettant de réduire le nombre de victimes.
  • Sur le plan climatique, l’industrie fait également pâle figure : le total des émissions de gaz à effet de serre des cigarettiers est équivalent à celui d’un pays comme Israël[2] et cela sans même évoquer tous les autres méfaits pour l’environnement liés aux produits du tabac.
  • Sur le plan économique, l’industrie du tabac est non seulement un obstacle au développement dans un grand nombre de pays à faible et moyens niveaux de revenus, mais il est également le facteur direct d’un appauvrissement structurel et multi-générationnel au sein de nombreuses régions du monde et de populations. Selon Tobacco Control, les seules dépenses sanitaires liées au tabagisme dans le monde représentent 422 milliards de dollars par an[3]. C’est davantage que le PIB d’un pays comme l’Autriche.

« Chez PMI, nous travaillons avec les cultivateurs de tabac pour construire un nouveau modèle pérenne respectueux des équilibres locaux »

Depuis plusieurs décennies, l’industrie du tabac a fait basculer l’essentiel de la production de son tabac dans les pays à faibles et moyens niveaux de revenus (90%). Elle est directement responsable de la destruction et de la pollution des sols et des nappes phréatiques par une utilisation intensive de pesticides particulièrement dangereux, d’un appauvrissement général de la biodiversité (5% de la déforestation mondiale), conduisant à une insécurité climatique et alimentaire dans certains pays, à l’instar du Malawi.

« Nous faisons désormais partie de la solution face au problème de santé publique que représente le tabagisme »

Au-delà de l’intérêt commercial que revêtent les nouveaux produits du tabac, ces derniers sont un moyen de court-circuiter et rendre caduques les politiques éprouvées de prévention et de lutte antitabac. En présentant leurs innovations comme la solution au problème sanitaire du tabagisme, les cigarettiers cherchent à se faire passer pour des acteurs responsables, indispensables et légitimes pour revenir à la table des discussions. En d’autres termes, les cigarettiers cherchent aujourd’hui à se faire valoir comme la solution à une épidémie industrielle qu’ils répandent eux-mêmes depuis plus d’un siècle. Cette stratégie n’est par ailleurs pas nouvelle : elle est une constante du positionnement de l’industrie du tabac de revenir avec des « nouveaux produits » présentés comme moins dangereux et qui seraient une solution aux problèmes qu’ils induisent eux-mêmes. C’est notamment l’exemple des filtres, proposés par les cigarettiers comme une solution moins nocive, alors que ces premiers ne trouvent aucune justification sanitaire. Au contraire, le filtre permet au consommateur de prendre des bouffées plus profondes et plus prolongées, accroissant les risques pour la santé et le niveau de dépendance pour le fumeur.

Cette posture pose d’autant plus problème que, selon l’OMS, rien n’indique que le tabac chauffé soit moins nocif que les cigarettes traditionnelles. Par ailleurs, comme le souligne la European Respiratory Society, des sources internes de l’industrie du tabac ont dénoncé l’existence d’irrégularités lors des expériences cliniques menées par l’industrie sur le tabac chauffé[4]. Ainsi, une étude indépendante a révélé que dans l’IQOS, le dispositif de tabac chauffé de PMI, le nombre de composés toxiques réel était entre six et sept fois supérieurs à ce que la compagnie indiquait.

Enfin, les niveaux de nicotine et de goudrons dans le tabac chauffé s’avèrent quasi identiques à ceux observés dans une cigarette classique[5].

La Convention-Cadre de l’OMS pour la Lutte Antitabac prévoit un dispositif pour exclure les cigarettiers dans l’élaboration et la mise en œuvre de politiques publiques de contrôle du tabac.  Toute la tribune de Jeanne Pollès se concentre sur ce point : en se faisant passer pour un acteur responsable et indispensable sur les questions sanitaires à travers la promotion des nouveaux produits, l’industrie du tabac vise à devenir un partenaire légitime, court-circuitant de fait les politiques publiques antitabac, incompatibles avec ses intérêts. Au-delà d’une simple autopromotion, la tribune de Jeanne Pollès est un véritable plaidoyer visant à redéfinir le cadre réglementaire sur les produits du tabac. On peut par ailleurs voir dans cette intervention une stratégie de contournement de la loi, interdisant toute forme de publicité directe ou indirecte en faveur des produits du tabac.

©Génération Sans Tabac


[1] Jeanne Pollès, l’Opinion, « «Face aux nouveaux enjeux mondiaux, transformons-nous vraiment !». La tribune de Jeanne Pollès (Philip Morris France) », 3 juillet 2020

https://www.lopinion.fr/edition/economie/face-aux-nouveaux-enjeux-mondiaux-transformons-nous-vraiment-tribune-219495

[2] France Inter, « Cigarettes et pollution », 9 octobre 2018

https://www.franceinter.fr/emissions/l-edito-carre/l-edito-carre-09-octobre-2018

[3] Tobacco Control, « Global economic cost of smoking-attributable diseases »

https://tobaccocontrol.bmj.com/content/27/1/58.short?g=w_tobaccocontrol_ahead_tab

[4] [4] European Respiratory Society, « ERS Position Paper on Heated Tobacco Products ».

https://www.ersnet.org/the-society/news/ers-position-paper-on-heated-tobacco-products

©Comité National Contre le Tabagisme |

Publié le 9 juillet 2020