Amériques : Une baisse de la consommation consécutive à la mise en place de mesures antitabac efficaces

Le récent rapport[1] sur la lutte antitabac de la Région des Amériques 2022 présente les progrès de la mise en œuvre des mesures antitabac MPOWER[2] au cours de la période 2018-2021. Si d’importants progrès ont été constatés, le rapport met également en évidence les disparités entre les pays. La consommation de tabac est passée de 28 à 16,3 % de la population adulte dans les Amériques au cours des deux dernières décennies, mais les nouveaux produits du tabac et de la nicotine constituent une menace selon l’Organisation panaméricaine de la santé.

Les mesures MPOWER recommandées par l’OMS visent à surveiller et à prévenir le tabagisme, mais aussi à protéger les gens de la fumée du tabac en mettant en place des espaces sans tabac. Elles comprennent des recommandations destinées à aider les gens à arrêter de fumer et invitent les pays à mettre en garde contre les dangers du tabac notamment à travers de larges avertissements graphiques sanitaires, à supprimer toute publicité, promotion et parrainage en faveur du tabac et à augmenter les taxes sur ces produits.

Les 35 Etats membres de la région ont tous adopté la mesure instaurant des lieux sans tabac dans les espaces à usage collectif intérieurs. 26 d’entre eux ont même adopté les meilleures pratiques dans le domaine protégeant ainsi 96% de la population de la région de l’exposition au risque du tabagisme passif. Cependant le rapport souligne combien la pandémie mondiale de COVID-19 est considérée comme l’une des menaces les plus importantes pour la mise en place de mesures supplémentaires de lutte contre le tabagisme. En outre, le développement et l’accessibilité des nouveaux produits du tabac et de la nicotine, en particulier les cigarettes électroniques ajoutent un nouveau défi, tant au niveau mondial que régional. Il reste qu’en dépit de ces obstacles, la Région est la deuxième au monde où la prévalence tabagique est la plus faible.

Une diminution globale mais des disparités selon les pays

La Région des Amériques a connu une diminution de la prévalence de la consommation de tabac des adultes de plus de 15 ans, qui est passée de 28 % en 2000 à 16,3 % en 2020. La région est au deuxième rang mondial après l’Afrique où l’épidémie plus récente touche 10,3% de cette population. Comme dans la région européenne de l’OMS, les différences de consommation entre sexe y sont les plus faibles. Le rapport hommes/femmes est de 1,9 (21,3 % d’hommes et 11,3 % de femmes), alors que le rapport mondial est de 4,7 (36,7 % d’hommes et 7,8 % de femmes), réaffirmant la nécessité pour la région de renforcer la dimension de genre dans les politiques et stratégies de lutte antitabac déployées.

Le Chili est le pays où le plus d’adultes consomment du tabac (29,2 %), suivi par l’Argentine (24%), les États-Unis (23%), l’Uruguay (21,5%) et Cuba (17,9%). Le Panama, quant à lui, a la prévalence la plus faible avec 5% de la population adulte qui fume, suivi du Salvador (7,7%) et du Pérou (8,1%).

En ce qui concerne les adolescents (individus âgés de 13 à 15 ans), parmi les 35 États, le Canada a déclaré la prévalence la plus faible (1,1%), suivi des États-Unis (5,4%) et du Brésil (6,9%) tandis que la Dominique a déclaré la prévalence la plus élevée (25,3%), suivie de l’Argentine (20,2%) et du Mexique (19,8%).

La Région devrait enregistrer une prévalence de la consommation de tabac de 14,9 % d’ici 2025, ce qui signifie qu’elle est en bonne voie pour atteindre l’objectif 5 du Plan d’action mondial de l’OMS pour la prévention et la lutte contre les maladies non transmissibles, à savoir une réduction relative de 30 % de la prévalence du tabagisme chez les personnes âgées de 15 ans et plus.

Des disparités dans l’application des mesures antitabac

Sur les 6 pays dans le monde n’ayant pas ratifié la CCLAT, 4 se trouvent en Amériques (États-Unis, Cuba, Argentine et Haïti).

En ce qui concerne la mise en œuvre de la mesure visant à créer des lieux sans tabac pour protéger de l’exposition au tabagisme passif, au 31 décembre 2021, la région est globalement la plus avancée.

Les progrès réalisés dans ce domaine sont le résultat d’années d’engagement et d’initiatives de la part des dirigeants politiques et des acteurs de la société civile de ces pays lesquels sont très impliqués dans la mise en œuvre des mesures de protection du traité. Lorsque la CCLAT est entrée en vigueur en 2005, seul l’Uruguay assurait à ses citoyens une protection efficace contre la fumée secondaire dans les espaces publics.  À l’opposé, l’Asie du Sud-Est compte le plus petit nombre de pays (2/11) ayant adopté des politiques d’interdiction de fumer dans les lieux publics sur la base des bonnes pratiques.

D’autres mesures, telles que l’augmentation des taxes sur le tabac, ont, quant à elles, progressé plus lentement et neuf pays de la région des Amériques n’ont encore pris aucune disposition en la matière.

Le Brésil est le seul pays de la région à avoir mis en œuvre l’ensemble du dispositif MPOWER à son plus haut niveau d’application. Le Panama, l’Uruguay, le Canada, le Mexique, Le Costa Rica, le Chili ont mis quant à eux, 4 des 6 mesures MPOWER à leur plus haut niveau d’application. Plusieurs pays n’ont mis en place aucune mesure (Bélize, Cuba, la République Dominicaine, la Dominique, Grenade, Haïti, Nicaragua, Saint Kitts et Nevis, Saint Vincent et les Grenadines).

Depuis 2007, le pourcentage de la population des Amériques couverte par au moins une mesure MPOWER a considérablement augmenté. Plus de 60 % de la population est couverte par les mesures de surveillance, lieux sans tabac, aide au sevrage et avertissements sanitaires, mises en œuvre aux niveaux les plus élevés. L’augmentation la plus significative de la couverture de la population a été observée pour la mesure concernant les avertissements sanitaires, avec une augmentation de 61% entre 2007 et 2021, atteignant une couverture de près de 90% de la population. Cette mesure est suivie de près par la mesure des lieux publics sans tabac, avec une augmentation de 59 %, couvrant désormais 96% de la population. Comme mentionné précédemment, la mesure concernant la hausse des taxes a connu la couverture la plus faible, couvrant seulement 27 % de la population de la région.

Tableau – État d’avancement de l’application des mesures MPOWER et prévalence tabagique des adultes dans la région des Amériques

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En résumé :

  • 24 pays mettent en œuvre des mesures de protection contre l’exposition à la fumée secondaire à travers des espaces sans tabac ;
  • 22 pays exigent des avertissements graphiques de grande taille sur les dangers du tabagisme sur les paquets ;
  • 10 pays disposent de systèmes de surveillance fournissant des données récentes, périodiques et représentatives sur le tabagisme des adultes et des jeunes ;
  • 6 pays proposent un système complet d’aide au sevrage tabagique ;
  • 9 ont mis en place une interdiction totale de la publicité, de la promotion et du parrainage en faveur du tabac ;
  • 3 pays appliquent des taxes sur le tabac qui représentent 75 % ou plus du prix de détail (recommandé par l’OMS).

En 2020, à l’échelle mondiale, les disparités sont majeures en ce qui concerne l’application des mesures du dispositif MPOWER. À titre d’exemples, l’Europe comptait le plus grand nombre de pays (42/53) dotés d’un système de surveillance produisant des données périodiques, récentes et représentatives pour les adultes et les jeunes, tandis qu’aucun pays d’Afrique n’avait mis en œuvre cette mesure au plus haut niveau d’application. De même pour les services à l’arrêt du tabac qui ne sont proposés dans aucun des pays africains.

La capacité des pays sud-américains à résister aux pressions et actions des cigarettiers

L’industrie du tabac est très active pour empêcher l’adoption de réglementations dans la région[3]. Cependant, elle a essuyé des revers au cours de ces dernières années. En 2008, le Panama a été le premier pays d’Amérique latine à interdire la publicité, la promotion et le parrainage. British American Tobacco et Philip Morris International ont essayé à trois reprises de contrer la mesure. La Cour suprême panaméenne s’est prononcée en faveur du texte du ministère de la Santé et a validé les mesures de prévention adoptées pour lutter contre l’épidémie de tabagisme dans le pays. En 2010, au Pérou, lors de la discussion du projet de loi antitabac dans les commissions parlementaires, la participation de représentants de l’industrie du tabac n’a pas été autorisée conformément aux dispositions du traité. La protection des politiques publiques de l’ingérence de l’industrie du tabac a pu être assurée grâce à un engagement actif de la société civile. À la suite de l’adoption, en 2010, de la législation sur le conditionnement et l’étiquetage des produits du tabac par l’Uruguay, Philip Morris a engagé une procédure à l’échelle internationale contre ce pays devant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI)  de la Banque mondiale, alléguant que la législation du pays violait un accord sur la protection des investissements de 1988 entre la Suisse (base actuelle de PMI) et l’Uruguay. En juillet 2016, un tribunal d’arbitrage donnait raison à l’Uruguay de protéger la santé de sa population au travers de mesures conformes à la Convention-cadre de l’OMS permettant de réduire la consommation de tabac. Ces actions entreprises par des pays d’Amérique du Sud rappellent aux acteurs de santé du monde entier qu’il n’y a pas de fatalité et que les attaques de l’industrie du tabac peuvent être contrées.

La menace des nouveaux produits du tabac et de la nicotine

Selon le rapport, les nouveaux produits tels que les cigarettes électroniques et les produits du tabac chauffés sont de plus en plus disponibles et accessibles, constituant une menace pour la lutte antitabac et la réduction du nombre de fumeurs. Le rapport ajoute que les termes employés par l’industrie pour promouvoir ces produits, tels que « risques réduits » tendent à semer la confusion et à donner un faux sentiment de sécurité dans des circonstances où il n’existe aucune preuve scientifique démontrant que la consommation de ces produits soit sans danger. Le rapport rappelle que l’objectif principal de cette communication est d’attirer de nouveaux utilisateurs tout en captant les fumeurs désireux d’arrêter.

L’OMS note que « les cigarettes électroniques sont particulièrement dangereuses pour les adolescents. La nicotine est un produit qui crée une forte dépendance, et le cerveau des jeunes continuent de se développer jusqu’à environ 25 ans. »

Sur les 26 pays de la Région disposant de données sur la consommation des cigarettes électroniques, les États-Unis présentent la prévalence la plus élevée de consommation actuelle d’e-cigarettes par les adolescents (19,6 %), et le Brésil la plus faible (0,2 %). Dans tous les pays disposant de données, l’utilisation des cigarettes électroniques est plus répandue chez les adolescents de sexe masculin, à l’exception du Venezuela et de la Colombie, où la prévalence de l’utilisation de la cigarette électronique est presque équivalente chez les jeunes filles et les jeunes garçons.

Appel à renforcer les législations autour de ces nouveaux produits

L’initiation à l’utilisation des cigarettes électroniques, en particulier chez les jeunes, suscite des inquiétudes. Il s’ensuit un appel à réglementer ces produits à l’instar de ce qui prévaut pour les produits du tabac. Le rapport préconise aussi de classer explicitement les produits du tabac chauffés dans la même catégorie des autres produits du tabac (cigarettes, cigares, tabac à rouler etc.), ce qui garantirait que ces produits soient soumis à toutes les dispositions du traité de la CCLAT de l’OMS. Selon les auteurs du rapport, une telle approche est de nature à protéger les objectifs de santé publique et éviter les failles réglementaires.

Plusieurs pays en Amérique latine interdisent ou restreignent déjà la commercialisation et la promotion des cigarettes électroniques et des produits du tabac chauffé à travers divers textes juridiques[4].

Selon le président mexicain, qui a signé un décret le 31 mai dernier à l’occasion de la journée mondiale sans tabac, interdisant la commercialisation et la circulation des cigarettes électroniques, ces produits ne peuvent pas être considérés comme des alternatives moins risquées. Au Brésil, la vente, l’importation et la publicité de tout dispositif électronique pour fumer (vapotage et tabac à chauffer) sont interdites en vertu d’une résolution de 2009 de l’Agence nationale de surveillance de la santé (Anvisa).

L’Argentine interdit l’importation, la distribution, la commercialisation et la publicité pour l’ensemble des produits du vapotage. En Uruguay, le décret 534/2009 interdit la commercialisation, l’importation, l’enregistrement en tant que marque ou brevet et la publicité de l’ensemble des produits du vapotage et du tabac à chauffer.

En mars 2021, le Sénat chilien a adopté un projet de loi visant à modifier la loi sur le tabac et à réglementer la vente, la publicité et la consommation des cigarettes électroniques, en interdisant leur vente aux mineurs. Ce projet est en attente de discussion à la Chambre des députés.

Mots-clés : Amériques, Amérique du sud, Amérique latine, OMS, tabagisme, nouveaux produits, jeunes, réduction du tabagisme, lutte antitabac

©Génération Sans Tabac

AE


[1] Pan American Health Organization. Report on Tobacco Control for the Region of the Americas 2022. Washington, DC: PAHO; 2022. Available from: https://doi.org/10.37774/9789275125892.

[2] M : surveiller la consommation de tabac et les politiques de prévention ;

P : protéger les personnes contre la fumée du tabac ;

O : offrir de l’aide pour arrêter de fumer ;

W : mettre en garde contre les dangers du tabac ;

E : faire respecter l’interdiction de la publicité, de la promotion et du parrainage en faveur du tabac ;

R : augmenter les taxes sur le tabac.

[3] Génération sans tabac, L’ensemble de l’Amérique du Sud désormais couverte par l’interdiction de fumer dans les lieux publics, publié le 14 janvier 2021, consulté le 18 août 2022

[4] Génération sans tabac, Le Mexique interdit la vente de cigarettes électroniques, publié le 8 juin 2022, consulté le 19 août 2022

Comité national contre le tabagisme |

Publié le 22 août 2022