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Le soutien social, clé d’une expérience d’arrêt du tabac en prison

Une étude évaluant un programme d’aide à l’arrêt du tabac en prison à Hong Kong met en évidence des facteurs facilitants et des freins à l’arrêt du tabac. Plus encore que dans d’autres situations, le soutien de la famille et celui des personnels pénitentiaires apparaissent comme des facteurs décisifs du sevrage tabagique.

La prévalence tabagique est, dans tous les pays, nettement supérieure parmi les personnes détenues à celle en population générale : jusqu’à 7,3 fois supérieure pour les hommes et jusqu’à 62 fois supérieure pour les femmes[1]. Les mesures d’interdiction de fumer en prison sont actuellement concentrées dans les pays à haut revenu[2], mais elles n’empêchent pas un fort taux de reprise du tabac (plus de 60 %) à la sortie d’incarcération.

Les prisons de Hong Kong sont divisées entre quartiers fumeurs et non-fumeurs, mais les détenus ne sont pas invités à exprimer leur choix en la matière. Un programme intitulé « Arrêter pour gagner » (Quit to Win/QTW) s’adresse plus spécifiquement aux détenus fumeurs volontaires des quartiers fumeurs, en leur proposant des récompenses incitatives. Celles-ci comprennent notamment une petite somme d’argent en cas de sevrage complet (1000 dollars HK, soit 120 euros), davantage de visites de l’entourage, ainsi qu’une petite cérémonie saluant leurs efforts. Une équipe de chercheurs a conduit une étude qualitative afin d’évaluer ce programme et de discerner les facteurs facilitants et les freins à l’arrêt du tabac en détention[3].

Le stress et l’ennui, facteurs favorisant le tabagisme en prison

Le statut tabagique des participants au programme était vérifié par le monoxyde de carbone (CO) expiré ou par un test nicotinique salivaire. Parmi les 59 détenus fumeurs des deux prisons ayant participé au programme QTW sur la période 2018-2021, 26 ont fait l’objet d’entretiens qualitatifs, la saturation des réponses ayant été atteinte au 23ème entretien. La moitié des répondants étaient des hommes, l’autres des femmes, l’un des deux établissements-pilotes du programme étant une prison de femmes. Deux entretiens supplémentaires ont été conduits avec les personnels pénitentiaires de ces établissements qui coordonnaient le programme QTW.

Les principaux freins à l’arrêt du tabac identifiés étaient le stress, l’ennui, l’isolement et le manque d’autonomie globale (perte de liberté, limitation financière), des facteurs également présents en population générale mais renforcés en détention. La dépendance tabagique était souvent forte et l’accès aux traitements nicotiniques de substitution difficile. La difficulté à changer de bâtiment pour passer dans un quartier non-fumeur était un frein supplémentaire. Du côté des facteurs facilitants, le coût du tabac s’avérait une forte motivation, les revenus des détenus étant particulièrement bas, ce qui rendait le programme très attractif. Les préoccupations de santé étaient aussi citées, et avaient été renforcées par les interventions de sensibilisation contenues dans le programme. La projection d’une vidéo éducative montrant une pastèque se noircir après qu’une cigarette y ait été insérée était notamment citée comme un message marquant.

Bien que l’incitation financière joue un rôle clé dans le parcours de sevrage tabagique, l’élément le plus déterminant du programme a été le maintien du lien social avec les proches. Le programme permettait non seulement davantage de visites, mais autorisait également la présence physique de l’entourage lors de la petite cérémonie de clôture. Selon les auteurs de l’étude, ce soutien social de la part de la famille serait d’autant plus important en Chine, où la dévotion filiale est très développée. Le rôle de ce soutien au sevrage aurait été vérifié en 2020, lorsque la pandémie de Covid-19 a entraîné l’annulation de la cérémonie de clôture ; le maintien du sevrage s’est révélé plus difficile pour les participants n’ayant pu être félicités par leur famille à cette occasion. Le soutien du personnel pénitentiaire à la démarche de sevrage était aussi mentionné comme capital pour les détenus.

L’importance de la dimension sociale du tabagisme à nouveau soulignée

Cette étude rencontre plusieurs limites. Elle est basée sur l’évaluation du programme Quit to Win et ne peut donc être généralisée à l’ensemble des situations carcérales. De plus, les participants à ce programme étaient très fortement motivés par les gratifications accordées à l’arrêt du tabac, ce qui introduit un biais de sélection.

Bien que l’étude ne prétende pas à être représentative, le fait d’accorder une si large place aux femmes dans l’échantillon peut aussi être questionné : la proportion de femmes en milieu carcéral est de 14 % à Hong Kong[4], qui se place ainsi en tête du classement mondial de l’emprisonnement des femmes ; en France, les femmes ne représentent que 3,3 % des détenus[5]. La surreprésentation féminine dans cette étude reflète donc principalement la diffusion du programme QTW dans deux établissements. Elle a également le mérite de permettre une meilleure exploration des facteurs facilitants et des freins à l’arrêt du tabac chez les femmes incarcérées, dans une région où elles sont plus nombreuses qu’ailleurs.

L’intérêt de cette étude reste de pointer quelques spécificités de l’arrêt du tabac en milieu carcéral. Elle permet de confirmer l’importance de la dimension sociale dans l’arrêt du tabagisme, et non seulement aux stades de l’initiation ou du maintien de cette addiction. Une étude française avait également pointé le poids de la dimension relationnelle dans le sevrage tabagique des détenus, qu’elle provienne de la famille ou des différents professionnels intervenant en milieu pénitentiaire – surveillants, soignants ou extérieurs[6].

L’étude pointe par ailleurs la nécessité de rendre accessible les traitements nicotiniques de substitution, et l’intérêt des outils de sensibilisation qui peuvent réellement déclencher une prise de conscience. Enfin, elle illustre en milieu carcéral la question de l’incitation financière dans la démarche d’arrêt du tabac, dont l’intérêt a déjà été mis en évidence sur la population des femmes enceintes dans d’autres études[7].

Mots-clés : Honk Kong, prison, arrêt du tabac, programme Quit to Win, femmes

©Génération Sans Tabac

MF


[1] Spaulding AC, Eldridge GD, Chico CE, et al. Smoking in correctional settings worldwide: prevalence, bans, and interventions. Epidemiol Rev. 2018;40(1):82-95.

[2] WHO regional office for Europe, Tobacco use in prisons, 2022.

[3] Weng X, Ma E C, Song C Y, et al. Experiences of quitting smoking in prisons: A qualitative study of people in custody. Tobacco Induced Diseases. 2024;22(February):43. doi:10.18332/tid/183604.

[4] Number of persons under CSD management, Government of the Hong Kong Special Administrative Region, consulté le 4 mars 2024.

[5] Femmes détenues, Observatoire International des Prisons, consulté le 4 mars 2024.

[6] Picot-Ngo C, Protais C, Michel M, Morel d’Arleux J, Kivits J, Chevreul K, Smoking in French prisons: Factors associated with consumption and cessation, Qualitative Research in Health 4 (2023) 100345.

[7] Berlin I, Berlin N, Malecot M, Breton M, Jusot F, Goldzahl L, Financial incentives for smoking cessation in pregnancy: multicentre randomised controlled trial, BMJ 2021;375:e065217.

Comité national contre le tabagisme |

Publié le 13 mars 2024