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La médiatrice européenne pointe les faiblesses de la Commission européenne face au lobby du tabac

Emily O’Reilly, la médiatrice européenne, avait reproché en avril 2023 à la Commission européenne de ne pas avoir étendu aux autres directions les règles de transparence suivies par celle de la santé et celle de la fiscalité. De nombreuses autres directions ont en effet eu des contacts avec l’industrie du tabac. La réponse de la Commission a été publiée avec plusieurs mois de retard, mais la médiatrice maintient son avis de « mauvaise administration ».

Elaborée par les pays sous l’égide de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la Convention-cadre pour la lutte antitabac (CCLAT) est le premier le traité international de santé. Son article 5.3 exige notamment que les politiques publiques ne soient pas influencées par les intérêts commerciaux de l’industrie du tabac. Les directives d’application de cet article 5.3 précisent que les interactions avec l’industrie du tabac ne sont tolérées que lorsqu’elles sont strictement nécessaires. Elles doivent alors être encadrées par de strictes règles de transparence.

Depuis 2015[1], Emily O’Reilly, la médiatrice européenne, interpelle la Commission européenne sur la nécessité de respecter les obligations de la CCLAT, dont l’Union Européenne est partie, et notamment l’obligation générale de protection des politiques publiques à l’égard de l’interférence de l’industrie du tabac. La médiatrice a pu vérifier que la DG SANTE et la DG TAXUD (fiscalité) observent correctement ces obligations de transparence qui s’imposent à l’ensemble des pouvoirs publics, qu’ils relèvent ou pas du champ de la santé. La médiatrice avait écrit à la Commission européenne en avril 2023 pour lui signaler des manquements concernant d’autres directions de la Commission. Elle avait demandé à la Commission dans son ensemble de se mettre en conformité avec ces obligations.

Des règles de transparence insuffisamment appliquées

L’enquête menée par les services de la médiatrice a en effet montré que de nombreuses autres directions de la Commission européenne avaient entretenu des interactions non encadrées avec l’industrie du tabac en 2020 et 2021. Ces interactions ont concerné les directions de l’agriculture et du développement rural (DG AGRI), de l’action pour le climat (DG CLIMA), de l’environnement (DG ENV), de la stabilité financière, des services financiers et de l’union des marchés des capitaux (DG FISMA), du marché intérieur, de l’industrie, de l’entrepreneuriat et des PME (DG GROW), de la mobilité et des transports (DG MOVE), du voisinage et de l’élargissement (DG NEAR), du commerce (DG TRADE), ainsi que l’Office européen de lutte antifraude (OLAF)[2]. Les rencontres avec les représentants de l’industrie du tabac n’ont ici fait l’objet que de comptes-rendus peu détaillés, voire inexistants. Ces rencontres ont pu être effectuées par des dirigeants de la Commission comme par leurs subordonnés. La médiatrice regrettait par ailleurs que la mise en œuvre des directives de l’article 5.3 de la CCLAT n’ait fait l’objet d’aucune procédure formelle.

La Commission a par deux fois demandé une prorogation d’un mois pour sa réponse, et a répondu avec deux autres mois de retard, le 7 décembre 2023, aux conclusions préliminaires de la médiatrice. Dans sa réponse, la Commission a défendu son système général de protection contre le lobbying, qu’elle juge adapté aux relations avec l’industrie du tabac. Elle considère que, si la DG SANTE et la DG TAXUD ont une approche proactive des questions de transparence avec l’industrie du tabac, cette exigence ne s’appliquerait pas aux autres directions, qui n’auraient que des contacts occasionnels. Elle estime enfin que ses personnels sont formés sur ces sujets, et qu’ils sont en mesure d’évaluer la nécessité de tenir des réunions avec des représentants de cette industrie.

Un avis de mauvaise administration adressé à la Commission européenne

La médiatrice a considéré cette réponse insuffisante, la nécessité de rencontrer les représentants de l’industrie devant, selon elle, être évaluée formellement et au cas par cas. Ceci concerne également la participation de fonctionnaires européens à des événements organisés par l’industrie du tabac[3]. Pour ne pas avoir étendu aux autres directions les exigences des DG SANTE et DG TAXUD, la Commission se voit confirmé son avis de mauvaise administration. Début 2024, la médiatrice adressera à la Commission les points qu’elle souhaite voir communiquer aux directeurs généraux, aux chefs de service et aux chefs de cabinet. Une évaluation des progrès réalisés sur ce plan devra être réalisée pour le 30 juin 2024.

Cette mise en cause de la Commission sur des questions de transparence avait été également évoquée à l’occasion du « Qatargate », et est récurrente au sujet des produits du tabac. D’autres affaires, comme celle du « Dalligate » ou celle des partenariats noués avec les cigarettiers au sujet du commerce illicite, avaient indiqué que la Commission n’est pas invulnérable en matière de lobbying. Cette pression constante des lobbyistes du tabac inquiète d’autant plus les acteurs de santé que la proposition de la Commission concernant la nouvelle directive sur les taxes, promise pour la fin 2022, n’a toujours pas été publiée.

Pour en savoir davantage sur le lobbying exercé sur la Commission européenne, consultez notre décryptage.

Mots-clés : médiatrice européenne, Emily O’Reilly, Commission européenne, transparence, CCLAT, article 5.3

©Génération Sans Tabac

MF


[1] Lobby du tabac : Bruxelles rappelé à l’ordre, Breaking Vap, publié le 5 octobre 2015, consulté le 26 décembre 2023.

[2] Décision sur les interactions de la Commission européenne avec les représentants d’intérêts de l’industrie du tabac (affaire OI/6/2021/KR), Médiatrice européenne, publié le 19 décembre 2023, consulté le 26 décembre 2023.

[3] Wheaton S, Commission promises tobacco lobby probe, Politico, EU Influence, publié le 21 décembre 2023, consulté le 26 décembre  2023.

Comité national contre le tabagisme |

Publié le 29 décembre 2023