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Interdiction du menthol : quand l’industrie contourne la réglementation

L’industrie du tabac a développé une stratégie pour contourner l’interdiction de vente de produits de cigarettes et de tabac à rouler au menthol, en vigueur dans l’Union européenne depuis le 20 mai 2020. C’est ce que montre une étude publiée dans la revue Tobacco Control, qui analyse la réponse des fabricants à la suite de l’interdiction, en se focalisant sur l’exemple danois.

Malgré l’interdiction, un jeune fumeur sur cinq continue de consommer des cigarettes mentholées, contre 29% avant l’entrée en vigueur de la mesure. La persistance de cette consommation peut en partie être imputée aux stratégies de l’industrie du tabac, qui a très rapidement su exploiter les failles réglementaires dès le lendemain de l’interdiction[1].

Les accessoires aromatisants au menthol

De nombreux types d’accessoires permettant d’aromatiser le tabac ont été très rapidement introduits sur le marché danois à la suite de l’entrée en vigueur de l’interdiction. Ces accessoires, à insérer dans le paquet de cigarettes, dans le paquet de tabac à rouler, ou directement dans le filtre, permettent de conférer aux produits un arôme mentholé ou sucré. Comme le souligne l’étude, 3,4% des fumeurs âgés de 25 à 29 ans utilisent aujourd’hui ces nouveaux produits. De la même manière, la consommation de tabac à rouler a augmenté auprès des fumeurs adultes, passant de 13% à 17% avant et après l’interdiction. En France, le marché a également été abondamment alimenté par ces nouveaux accessoires aromatisants. Le Danemark a récemment adopté une disposition interdisant la vente de matériel de tabac susceptible de modifier le goût des produits. Ainsi, à partir d’avril 2022, ces accessoires aromatisants seront interdits à la vente.

L’apparition de filtres creux au Danemark

Les filtres creux sont un type de cigarettes dont le filtre est creusé à son extrémité. Ces filtres permettent notamment d’y insérer un accessoire aromatisant. Les auteurs de l’étude montrent que ces nouveaux produits n’existent que pour les marques présentées comme étant des alternatives au menthol. Par ailleurs, ces filtres creusés permettent de rendre moins visible le dépôt laissé par le passage de la fumée de cigarette. Plus généralement, le travail sur le filtre rejoint une logique marketing visant à distinguer les produits entre eux, en leur conférant une dimension premium. L’ensemble de ces cigarettes contenant ces filtres étaient produites au Danemark par British American Tobacco (BAT).

Des descripteurs de marque pour faire allusion au menthol

Après l’interdiction de vente du menthol, une gamme de la marque Camel de Japan Tobacco International (JTI) a cherché à conserver des descripteurs de marques faisant une claire référence au menthol. D’une part, le produit présentait le descripteur de marque « Activate », renforcé par une illustration sur l’emballage du paquet faisant une claire référence aux produits mentholés clipsables. Par ailleurs, le filtre jaune a été remplacé par un filtre blanc entouré de cercles bleus, reprenant le design classique des cigarettes contenant une capsule mentholée. JTI a également lancé une autre gamme de cigarettes contenant un arôme de menthol inséré dans le paquet. Ce paquet, constituant une violation claire de la directive européenne, a rapidement été retiré du marché danois. Toutefois, selon les auteurs de l’étude, le simple descripteur de marque « Activate », ainsi que les illustrations faisant référence aux anciens produits mentholés, peuvent être considérés comme une infraction à la réglementation. British American Tobacco a mobilisé une stratégie identique, en lançant une marque de cigarettes contenant le descripteur « Ultramarine », et présentée comme un « nouveau produit au design moderne […] qui donne un effet rafraîchissant et une sensation de fraicheur ».

L’utilisation du menthol à des niveaux résiduels

La directive européenne n’interdit pas le menthol en tant qu’ingrédient, mais l’interdit en tant qu’ « arôme caractérisant ». Ainsi, en août 2020, JTI a été accusé d’exploiter une faille réglementaire de la directive, en continuant de vendre des produits contenant des niveaux résiduels de menthol. Pour le fabricant, ces produits ne conférant pas au tabac un arôme caractérisant, ils ne constituent pas une violation de la réglementation. En France, mais également au Royaume-Uni, cette faille réglementaire a également été exploitée par JTI, avec notamment la mise sur le marché de « Camel Fresh ».

Une stratégie de transfert de consommation vers les autres produits du tabac et de la nicotine

Avant l’interdiction de vente de cigarettes mentholées, plusieurs marques de cigarillos mentholés ont été mises sur le marché danois. Ces nouveaux produits, bien que présentés comme des cigarillos, présentaient un format très similaire à celui d’une cigarette classique, autant en taille qu’en épaisseur. L’introduction de ces nouveaux produits, calqués sur les cigarettes, a pu être attractive pour les consommateurs : entre 2019 et 2020, la vente de cigares et de cigarillos a augmenté de 7%. De la même manière, les fabricants comme les détaillants ont également fait la promotion d’alternatives comme le tabac à pipe mentholé, les cigarettes électroniques mentholées, ou encore le tabac à chauffer mentholé.

Renforcer la réglementation pour une interdiction totale du menthol

Dans une perspective de santé publique, les chercheurs appellent à une interdiction du menthol en tant qu’ingrédient, et plus seulement en tant qu’arôme caractérisant. En effet, y compris à des niveaux résiduels, le menthol permet de rendre la fumée de tabac plus douce, et ainsi de faciliter l’initiation tabagique des plus jeunes. L’étude souligne également la nécessité d’interdire tout type d’additif pouvant masquer le caractère irritant de la fumée de tabac, et de généraliser l’interdiction des arômes à l’ensemble des produits du tabac pour éviter les transferts de consommation. Par ailleurs, les chercheurs avancent que la généralisation du paquet neutre pourrait soutenir l’interdiction du menthol, en empêchant les fabricants d’utiliser des caractéristiques distinctives, des couleurs et des descripteurs de marques pouvant directement ou indirectement faire référence au menthol. Enfin, les auteurs de l’étude mentionnent qu’il est impératif que la révision de la directive européenne des produits du tabac indique clairement que les Etats-membres puissent aller au-delà des dispositions prévues.

Mots-clés : Menthol, TPD, Danemark, Contournement

©Génération Sans Tabac

FT


[1] Brink A, Glahn AS, Kjaer NT, Tobacco companies’ exploitation of loopholes in the EU ban on menthol cigarettes : a case study from Denmark, Tobacco Control Published Online First: 21 March 2022. doi: 10.1136/tobaccocontrol-2021-057213

Comité national contre le tabagisme |

Publié le 22 mars 2022