Le commerce illicite mondial de tabac en diminution dans le monde
9 mars 2022
Par: Comité national contre le tabagisme
Dernière mise à jour : 6 août 2024
Temps de lecture : 9 minutes
Selon une étude publiée par Tobacco Control, la proportion du commerce illicite dans la consommation mondiale de tabac est restée stable pendant la dernière décennie. Considérant que la consommation de tabac a diminué pendant cette même période, les niveaux absolus de commerce illicite ont donc diminué au cours de ces dernières années. Les chercheurs attribuent à cette baisse l’entrée en vigueur du Protocole de l’Organisation mondiale de la santé pour éliminer le commerce illicite, mais également la tendance mondiale à la mise en place de politiques fiscales sur les produits du tabac, venant contredire la rhétorique classique de l’industrie, cherchant à établir un lien de causalité entre hausses de taxes et augmentation du commerce illicite[1].
En 2007, un article fondateur de Luk Joossens estimait que le commerce illicite représentait 11,6% du marché du tabac mondial de tabac, sur la base de données émanant de 84 pays. Dans les pays à hauts niveaux de revenus, le niveau de commerce illicite était établi à une moyenne de 9,8% du marché total, contre 16,8% dans les pays à faibles niveaux de revenus. L’auteur avançait par ailleurs que le coût de ce commerce illicite s’élevait à 40,5 milliards de dollars par an[2].
Stable dans sa part relative, le commerce illicite mondial diminue en volume
Selon une étude publiée en 2022, se basant sur les données de 36 pays, les produits du tabac issus du commerce illicite représentaient 11,2% du marché total, entre 2010 et 2018[3]. Si la méthodologie et les pays couverts par ces études ne sont pas tout à fait comparables, la similitude entre ces deux estimations laisse penser que la proportion du commerce illicite dans la consommation mondiale est restée particulièrement stable au cours de la dernière décennie.
Si la part relative du commerce illicite demeure inchangée, les auteurs soulignent que la prévalence tabagique a diminué ces dernières années : en 2010, on comptait 27,3% de fumeurs parmi l’ensemble de la population mondiale âgée de plus de quinze ans, contre 23,6% en 2018. Ces chiffres sur la prévalence sont cohérents avec les estimations de l’évolution du marché mondial. Selon GlobalData, une société d’études, le marché mondial du tabac est passé de 5800 milliards de cigarettes en 2007 à 5700 en 2015, pour probablement arriver à 4600 d’ici 2025. Autrement dit, le commerce illicite du tabac constitue aujourd’hui « une part stable d’un marché en déclin ».
Les hausses de prix ont probablement fait diminuer le commerce illicite
Dans la même période, les auteurs montrent qu’un certain nombre de pays ont mis en place des politiques fiscales de lutte contre le tabagisme. Dans l’ensemble, ces politiques tarifaires se sont traduites par une diminution de l’abordabilité des produits du tabac, conduisant à une réduction de la consommation de cigarettes. Pour les chercheurs, cette donnée a une réelle importance : depuis des années, l’industrie du tabac cherche à dissuader les pouvoirs publics d’engager des politiques fiscales volontaristes sur ses produits, en affirmant que celles-ci conduiraient inéluctablement à une augmentation du commerce illicite. En réalité, cette étude tend à démontrer que la diminution de l’abordabilité des produits du tabac a significativement contribué au déclin de la demande de tabac, et donc probablement au déclin du marché, légal comme illégal.
Les politiques de santé publique ne sont pas déterminantes
L’industrie du tabac est responsable de la grande majorité de la production de cigarettes illégales, tandis qu’il est établi que ses estimations du commerce illicite sont délibérément exagérées, et issues d’études dont la méthodologie est contestée. Toutefois, l’industrie du tabac continue de brandir l’argument du commerce illicite, présentée comme une « menace sérieuse et croissante pour la société ». Au-delà de décrédibiliser les politiques fiscales, l’industrie du tabac instrumentalise la thématique du commerce illicite pour dissuader les pouvoirs publics d’entreprendre toute forme de réglementation contraignante, à l’instar de l’interdiction du menthol dans l’Union européenne ou de l’instauration du paquet neutre. Pourtant, les prédictions d’une hausse brutale du commerce illicite à la suite de la mise en place d’une politique de lutte contre le tabagisme sont très régulièrement démenties par les faits. D’autres éléments apparaissent bien plus déterminants pour expliquer les niveaux ou les dynamiques de commerce illicite. Pour les auteurs de l’article, c’est d’abord la capacité d’un Etat à assurer l’autorité de son administration fiscale, et son niveau de gouvernance en général qui apparaît essentiel. Ainsi, en Afrique du Sud, le commerce illicite des produits du tabac a explosé au moment où le pays a connu une diminution des moyens alloués à son administration fiscale, sans qu’aucune hausse de taxes n’ait été décidée.
Une prolifération d’études indépendantes pour comprendre un phénomène complexe
L’évaluation du commerce illicite, par définition, est complexe à réaliser. Les pouvoirs publics du monde entier rencontrent des difficultés pour en saisir l’ampleur et la nature, et s’appuient parfois même sur des données issues des fabricants eux-mêmes. Toutefois, depuis 2010, différentes études indépendantes de l’industrie ont été menées dans 40 pays, présentant des méthodologies différentes. Une approche couramment mobilisée consiste à évaluer l’écart entre la mesure de la consommation réelle, et les ventes légales. Cette mesure peut avoir des limites, par exemple en France, où cette méthodologie ne peut rendre compte des achats transfrontaliers légaux. Une deuxième approche consiste à interroger directement les fumeurs, où analyser les paquets de cigarettes vides jetés. Là encore, le distinguo entre les achats légaux et illégaux n’est pas assuré. La prolifération de ces études, parfois financées par les Etats, témoignent de la volonté des pouvoirs publics de chercher à mesurer et à comprendre le phénomène du commerce illicite.
La dynamique tarifaire des cigarettes illégales
D’un pays à l’autre, le prix des cigarettes issues du commerce illicite est très différent. Selon une étude menée entre 2014 et 2020, les prix des cigarettes illégales suivent généralement l’évolution des prix des cigarettes légales. En moyenne, il est estimé qu’un paquet de cigarettes issu de la contrebande coûte 87% du prix d’un paquet légal. En France, entre 2014 et 2021, le prix d’un paquet illégal était en moyenne équivalent à 70% de celui d’un paquet issu des circuits légaux. De ce fait, alors que le prix moyen des cigarettes légales augmente dans monde, les tarifs pour les produits illégaux suivent la même dynamique, augmentant à la fois la valeur du marché des cigarettes illégales, et contribuant à diminuer la demande globale de cigarettes, légales comme illégales.
L’enjeu d’un système de suivi et de traçabilité pour lutter contre le commerce illicite
Par ailleurs, les chercheurs notent que ces dix dernières années se sont traduites par une amélioration de la coordination mondiale dans la lutte contre le commerce illicite des produits du tabac, notamment par l’entrée en vigueur du Protocole de l’OMS en 2018. Un des enjeux dans le contrôle du commerce illicite réside dans la capacité des pouvoirs publics à se munir d’un système de suivi et de traçabilité des produits du tabac, afin d’être en mesure de déterminer à quel moment de la chaîne d’approvisionnement le tabac est sorti du circuit légal. En particulier, compte tenu de l’implication de l’industrie du tabac dans le commerce illicite mondial, l’indépendance de ce système de suivi et de traçabilité à l’égard des cigarettiers est une condition de son efficacité. A ce titre, l’étude rappelle que les systèmes Codentify et Inexto, proposés aux gouvernements par l’industrie du tabac, ne sont pas des outils efficaces. A l’heure actuelle, le système européen de suivi et de traçabilité n’est pas non plus indépendant de l’industrie du tabac.
Les prochains enjeux de la lutte contre le commerce illicite
Selon plusieurs études, la nature même des produits du tabac et de la nicotine issus du commerce illicite connait une évolution. Si les cigarettes continuent de représenter la très grande partie du commerce illicite, d’autres produits font leur apparition. C’est notamment le cas du tabac à chicha, qui est passé de 1 à 6% des saisies mondiales entre 2012 et 2019. De la même manière, les cigarettes électroniques représentaient en 2019 7% de l’ensemble des saisies.
Si la dynamique du commerce illicite est globalement positive, l’étude insiste sur le fait que le problème est encore loin d’être résolu. En particulier, il importe selon les chercheurs d’apporter une réponse à la persistance de points névralgiques du commerce illicite mondial, à l’instar du Paraguay, ainsi qu’à la prolifération d’usines clandestines au sein de l’Union européenne.
Les chercheurs soulignent par ailleurs la nécessité pour les pouvoirs publics de mettre en œuvre efficacement le Protocole de l’OMS sur le commerce illicite, tout en se prémunissant de l’ingérence de l’industrie du tabac. En ce sens, les chercheurs affirment qu’une aide technique spécialisée est aujourd’hui nécessaire pour assister certains Etats à mettre en œuvre le Protocole, notamment les pays à revenus faibles et intermédiaires.
Credit photo : ©Alain THIESSE/PHOTOPQR/L'EST REPUBLICAIN/MAXPPPFT
[1] Paraje G, Stoklosa M, Blecher E, Illicit trade in tobacco products: recent trends and coming challenges, Tobacco Control 2022;31:257-262.[2] Joossens, L., Merriman, D., Ross, H. and Raw, M. (2010), The impact of eliminating the global illicit cigarette trade on health and revenue. Addiction, 105: 1640-1649. https://doi.org/10.1111/j.1360-0443.2010.03018.x[3] Goodchild M, Paul J, Iglesias R, et al, Potential impact of eliminating illicit trade in cigarettes: a demand-side perspective, Tobacco Control 2022;31:57-64.Comité National Contre le Tabagisme |