China Tobacco, le nouveau géant du tabac

30 juin 2021

Par: Comité national contre le tabagisme

Dernière mise à jour : 6 août 2024

Temps de lecture : 12 minutes

China Tobacco, le nouveau géant du tabac

Sommaire

  1. La China Tobacco, un monopole chinois
  2. Les liens entre la China Tobacco et le gouvernement chinois
  3. La structuration de la China Tobacco
  4. Quelle différence avec les autres multinationales de tabac ?
  5. La rentabilité de la CNTC
  6. Les ventes de la China Tobacco à travers le monde
  7. Quelles réglementations pour la China Tobacco ?
  8. Un mastodonte encore peu connu

La China Tobacco, un monopole chinois

La China National Tobacco Corporation, également appelée China Tobacco ou CNTC, est une compagnie de tabac appartenant à l'État chinois. Fondée en 1982, c'est de loin la plus grande entreprise de tabac au monde, représentant entre 43,6% et 45% des volumes de ventes mondiales de cigarettes. La China Tobacco détient le monopole de l’ensemble du processus industriel, depuis la culture, l’achat, la fabrication jusqu’à la distribution des produits du tabac. A elle seule, la CNTC produit davantage de cigarettes que les quatre multinationales de tabac : Philip Morris International (PMI), British American Tobacco (BAT), Japan Tobacco International (JTI) et Imperial Brands.

Jusque récemment, la CNTC s’était concentrée sur la vente de tabac dans le marché intérieur chinois. En tant que pays le plus peuplé du monde, la Chine est aussi l'un des plus grands marchés pour les produits du tabac. En effet, avec plus de 300 millions de fumeurs, la Chine consomme une cigarette sur trois produites dans le monde.

En 2003, la CNTC a lancé la stratégie « Go Global », visant à exporter de grandes quantités de tabac à travers le monde. Ce revirement visait à répondre à la diminution des revenus de l’entreprise à l’échelle nationale, en raison d’une concurrence accrue de l’étranger, conjuguée à la réduction du nombre de fumeurs en Chine. La même année dans le monde, la Convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac était signée par les pays membres de l’OMS, constituant le premier traité international de santé publique, et une étape historique vers une prise de conscience et une structuration internationale de la lutte contre le tabagisme.

En 2019, l’activité de la China Tobacco s’est ainsi étendue sur vingt pays, opérant à travers 34 installations à l’étranger (bureaux de vente, usines de fabrication, sociétés d'approvisionnement spécialisées). Dans un article intitulé : « La China National Tobacco Corporation : du dragon national au dragon mondial ? », des chercheurs soulignent que l’expansion du monopole chinois, si elle continue sur la même trajectoire, pourrait se traduire par de « profonds impacts sur la santé publique ». Pour les auteurs de l’étude : « l'industrie chinoise est avantagée par sa taille, la faiblesse de sa réglementation intérieure et le soutien du gouvernement à l'expansion à l'étranger […] En cas de succès, cela entraînera une concurrence mondiale accrue sur les prix, l’apparition de nouveaux produits et une commercialisation intensifiée, le tout entraînant une augmentation de la consommation de tabac ».

Les liens entre la China Tobacco et le gouvernement chinois

La CNTC est réglementée par la State Tobacco Monopoly Administration (STMA), le principal organisme gouvernemental qui administre l'industrie du tabac en Chine. Depuis 2008, la STMA est elle-même contrôlée par le ministère chinois de l'Industrie et des Technologies de l'information. Bien que la STMA supervise en principe la CNTC, il s'agit en réalité d'une seule et même organisation, partageant à la fois la même structure, les mêmes employés et dirigeants, et le même site internet.

La STMA, en collaboration avec la CNTC, détermine la politique générale du gouvernement chinois en matière de tabac, en fixant notamment des quotas de production et les prix des produits. La CNTC est ensuite chargée de mettre en œuvre la feuille de route conjointement établie.

En 2013, la Chine s'est lancée dans une politique baptisée « Belt and Road Initiative » (BRI), appelée en français la « Nouvelle route de la soie ». Cette stratégie vise à construire des infrastructures, et accroître l’influence du pays à travers le monde. En 2015, en tant qu'entreprise d'État, la CNTC a publiquement annoncé qu'elle se joignait à l’effort national. A cette occasion, le directeur de la China Tobacco, Ling Chengxing, a déclaré que la Nouvelle route de la soie accélérerait les ambitions mondiales de la CNTC, et que celle-ci devait être amenée à « rattraper les trois plus grandes multinationales du tabac ».

La structuration de la China Tobacco

À la fin des années 1990, une réforme majeure a consolidé cette industrie nationale, particulièrement tentaculaire, qui comptait alors jusqu'à 185 sociétés régionales, toutes relevant de la CNTC. Pour l’un des chercheurs à l’origine de l’étude précédemment citée, « le fait d'être une bureaucratie d'État a un impact direct sur sa structure », « avec des bureaux opérationnels à tous les niveaux de décision (municipal, provincial, national) ».

Aujourd’hui, la CNTC est une structure particulièrement grande et complexe, déclinée en une trentaine de petites filiales. Certaines d'entre elles opèrent de manière semi-autonome, produisant leurs propres marques de cigarettes, et participant même à des coentreprises à l'étranger. Par exemple, la seule succursale européenne de la CNTC -une entreprise en Roumanie jouant un rôle majeur dans ses efforts d'expansion mondiale- est en fait contrôlée par l'une de ses filiales : la China Tobacco Anhui Industrial Co, basée dans la province d'Anhui, dans l'Est de la Chine. Le reste de ses actions est réparti entre deux autres filiales de CNTC, la China Tobacco Shaanxi Industrial Co. et le Hongta Tobacco Group Co Ltd.

Quelle différence avec les autres multinationales de tabac ?

La principale différence entre la China Tobacco et les multinationales de tabac réside dans le fait que la CNTC est intégralement détenue par l'État. Le monopole d’Etat n’est cependant pas un phénomène rare en Asie : la Thaïlande, la Corée du Sud et le Vietnam ont tous été, ou sont encore des monopoles d’Etat. En France, la SEITA a également été pendant longtemps un monopole d’Etat. Cependant, le monopole d’Etat chinois revêt un caractère inédit.

En effet, les liens entre la CNTC et l'État créent un conflit d'intérêts important, dans la mesure où le gouvernement chinois possède et réglemente l'entreprise. Pourtant, ayant ratifié en octobre 2005 la CCLAT, la Chine est dans le même temps tenue de mettre en place un cadre réglementaire destiné à limiter la consommation de tabac. La situation chinoise est particulièrement contradictoire, puisque la responsabilité de la mise en œuvre de la Convention incombe même à la STMA, qui contrôle et fixe également la feuille de route pour la CNTC. En 2012, un article paru dans la revue Tobacco Control soulignait que « ces doubles responsabilités soulèvent de sérieuses questions sur l'organisation des autorités de lutte antitabac, et sur la question de savoir si leurs prérogatives structurelles entravent leur capacité à protéger les consommateurs ». La CNTC n'étant pas soumise à des actionnaires, elle n'est pas tenue de divulguer les informations relatives à son activité. A ce titre, en dehors de l’annonce de bénéfices colossaux, la China Tobacco ne le fait pas.

Toutefois, en 2019, la CNTC a lancé sa première filiale cotée sur les marchés financiers, la China Tobacco International (CTI), inscrite à la bourse de Hong Kong. La CTI Hong Kong se décrit comme la plate-forme offshore toute désignée pour l'expansion internationale du business de la China Tobacco. La CTI gère désormais les ventes de feuilles de tabac de la CNTC dans le monde entier, ainsi que les ventes de cigarettes sur certains marchés d'Asie du Sud-Est. Selon l’OCCRP, la filiale de la China Tobacco conduira également le monopole d’Etat à vendre ses propres produits de tabac chauffé.

La rentabilité de la CNTC

A l’heure actuelle, il est impossible de connaître précisément le chiffre d’affaires ou les bénéfices réalisés par la CNTC. Bien que la structure communique occasionnellement sur ses bénéfices annuels, les données demeurent contrôlées par le gouvernement et, contrairement à d'autres grandes compagnies de tabac, ces chiffres ne sont pas soumis à un audit indépendant.

A ce jour, les informations financières disponibles les plus récentes datent de 2019, lorsque la China Tobacco Control Supervision a annoncé que le total des bénéfices industriels et commerciaux de l'industrie du tabac en Chine s'élevait à 1,20 billions de yuans pour l’année écoulée, soit plus de 140 milliards d’euros.

Les ventes de la China Tobacco à travers le monde

Selon les chiffres des Nations unies, la Chine exporte désormais ses produits à travers 125 pays, et sur les cinq continents. Cependant, il est difficile de savoir exactement où l’ensemble de ces produits se retrouvent. En effet, des journalistes de l'OCCRP ont découvert de nombreux exemples où la CNTC ou ses filiales alimentaient en cigarettes des pays où il n'y avait pas de marché légal pour elles, comme en Amérique latine, en Europe, et notamment en Ukraine.

Ces journalistes se sont entretenus avec des experts de la lutte antitabac dans plusieurs pays. Ceux-ci ont déclaré n'avoir jamais observé de marques de cigarettes chinoises sur le marché légal, malgré les enregistrements d'exportations. Par exemple, la Chine a déclaré exporter 6 246 tonnes de cigarettes vers le Canada, pour une valeur de 135,88 millions d’euros, entre 2010 et 2019. Robert Cunningham, analyste principal des politiques pour la Société canadienne du cancer, a déclaré qu’il ne connaissait qu’un seul endroit où ces cigarettes étaient légalement vendues : à la douane, dans une boutique de l'aéroport international de Vancouver.

Quand les marques de la China Tobacco sont vendues en toute légalité, elles le sont souvent dans des boutiques hors taxes, à l’instar de Vancouver. Toutefois, les produits du tabac de la CNTC apparaissent sur le marché noir dans des pays du monde entier, comme en Ukraine, en Roumanie, en Italie, en Australie, en Colombie ou aux Philippines.

Quelles réglementations pour la China Tobacco ?

En octobre 2005, la Chine a ratifié la Convention-cadre pour la lutte antitabac (CCLAT), un traité international juridiquement contraignant émanant de l'Organisation mondiale de la santé dans le but de réglementer et endiguer la consommation de tabac. A ce titre, la Chine doit mettre en œuvre un certain nombre de politiques de santé publique destinées à réduire le tabagisme, et ce en se protégeant de l’influence de l'industrie du tabac. Parmi ces mesures, la CCLAT souligne la nécessité d’interdire toute forme de publicité et de promotion des produits du tabac, d’apposer des avertissements sanitaires sur les emballages des produits, ainsi que d’augmenter régulièrement et significativement les taxes sur le tabac. La CCLAT exige par ailleurs des Parties qu’elles se tournent vers des cultures alternatives à celle du tabac, identifiée comme extrêmement polluante, dangereuse, trop peu rémunératrice et non durable.

En janvier 2013, la Chine a également signé le Protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac. Les Parties sont supposées exercer un contrôle sur les entreprises qui achètent des cigarettes, notamment en vérifiant que celles-ci y sont autorisées, et qu’elles vendront du tabac légalement, ​​et n'exporteront que vers les marchés où il existe une demande légale des consommateurs pour leurs produits. Comme montré plus haut, les différentes enquêtes montrent que la CNTC ne semble pas respecter ses obligations en matière de lutte contre le commerce illicite, en contribuant à alimenter illégalement plusieurs marchés à travers le monde.

Un mastodonte encore peu connu

Les quatre grandes multinationales de tabac sont implantées dans des pays et des régions avec un cadre réglementaire plus contraignant que celui en vigueur en Chine. L’activité principale de la CNTC se déroulant sur le marché intérieur chinois, peu d’informations sont disponibles sur la China Tobacco. Selon Judith Mackay, conseillère spéciale du Centre mondial pour la bonne gouvernance dans la lutte antitabac, « tout se passe à huis-clos […], il n'y a pas de transparence. Il n'y a aucune sorte de réunion des parties prenantes, il n'y a pas d'annonce, nous ne savons tout simplement rien ».

Selon Luk Joossens, spécialiste du commerce illicite des produits du tabac, les experts manquent encore de données fiables sur la quantité de tabac exporté par la CNTC. De ce fait, la China Tobacco est encore considérée comme fabriquant des « cigarettes produites par les Chinois pour les Chinois ».

Cette situation est toutefois en train d’évoluer, à mesure que la CNTC avance dans son processus d’internationalisation. Ces dernières années, la China Tobacco s’est notamment associée à d'autres grands fabricants de tabac. Ainsi, en 2005, la CNTC a annoncé la création en Suisse de la China Tobacco Philip Morris International, destinée à vendre trois marques de la CNTC, via les réseaux de distribution de Philip Morris. De la même manière, de nouveaux partenariats avec British American Tobacco et Japan Tobacco International se sont concrétisés par le lancement à l’étranger de marques comme Double Happiness, Golden Deer et Red Double Happiness.

Selon les auteurs d’une étude sur la China Tobacco, « compte tenu du fait que la CNTC imite de plus en plus les stratégies d’internationalisation des multinationales de tabac, il est désormais nécessaire d'inclure la CNTC, ainsi que d'autres compagnies émergentes dans l’effort mondial du contrôle du tabac ».

© SHEPHERD ZHOUF/FEATURECHINA/MAXPPP ©Génération Sans Tabac

Cette fiche a été traduite et adaptée d’un article de l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) :

OCCRP, What is China Tobacco ?, 22/06/2021, (consulté le 29/06/2021)

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