Les activités de RSE de l’industrie du tabac en Asie du Sud-Est

1 juillet 2021

Par: Comité national contre le tabagisme

Dernière mise à jour : 6 août 2024

Temps de lecture : 11 minutes

Les activités de RSE de l’industrie du tabac en Asie du Sud-Est

Un rapport de l’Alliance pour la lutte antitabac en Asie du Sud-Est (SEATCA)[1] décrit les activités de RSE de l'industrie du tabac dans la région de l'ANASE au cours de la dernière décennie (2010-2020) et révèle comment l'industrie du tabac a exploité la pandémie de COVID-19, les catastrophes naturelles, la situation de populations vulnérables, les enfants et les objectifs de développement durable (ODD) pour promouvoir ses nouveaux produits et tenter de se positionner comme un acteur légitime.

Selon la Convention-cadre de l'OMS pour la lutte antitabac (CCLAT)[2], les activités de RSE liées au tabac sont une forme de parrainage et devraient être interdites. Dans la région de l'ANASE, seuls le Laos, le Myanmar et la Thaïlande ont, à ce jour, totalement interdit les activités de RSE par l'industrie du tabac tandis que le Brunéi a des restrictions partielles[3].

La RSE, cheval de Troie de l’industrie du tabac

Alors que la région de l'ANASE prend de plus en plus conscience des effets dévastateurs du tabac et que les gouvernements renforcent la réglementation de l'industrie du tabac, les fabricants de tabac ont recours à des tactiques plus discrètes pour promouvoir leur raison sociale et leurs produits afin d'atteindre les consommateurs[4]. Les activités de responsabilité sociale des entreprises (RSE) sont devenues l'une des stratégies clés exploitées par l'industrie du tabac pour améliorer son image et essayer de maintenir sa légitimité dans les sphères publiques et commerciales. Les contributions à la RSE sont une modalité que l'industrie exploite, en particulier lorsque toutes les autres formes de publicité, de promotion et de parrainage du tabac lui sont interdites. Pour contrer toute critique, l’industrie du tabac cible les populations les plus vulnérables et mènent des activités caritatives lors de catastrophes naturelles. L'argent que les compagnies de tabac dépensent pour les activités de RSE fait partie de leurs dépenses de marketing et ne doit pas être considéré comme une activité philanthropique.

Selon la littérature internationale, l'évaluation des actions de RSE de la part de l'industrie du tabac ont été évaluées[5]-[6]. Il ressort qu'au regard de l'ampleur des dégâts induits pour la collectivité du fait de l'activité même de cette industrie, les opérations de RSE ne représentent en aucun cas une contribution au bien commun susceptible d'atténuer leurs responsabilités.

La pandémie de Covid19, une opportunité pour l’industrie du tabac

Pendant l'épidémie de COVID-19, l'industrie du tabac a intensifié ses activités de RSE dans la région de l'ANASE, en particulier dans cinq pays : l'Indonésie, la Malaisie, le Myanmar, les Philippines et le Vietnam, qui représentent d'importants marchés pour elle. En Indonésie, les principales sociétés productrices de tabac, PT Gudang Garam et PT Djarum, ont respectivement fait don d'une ambulance à la Croix-Rouge[7] et de fonds au groupe de travail travaillant sur la prévention du COVID-19[8]. En Malaisie[9], JTI a fait don de fonds à une initiative d'ONG, « MyKasih », pour soutenir les personnes touchées par la pandémie[10]. Au Myanmar, l'association des producteurs de cheroot (un type de cigare) a fait un don à des organismes gouvernementaux pour soutenir leur travail lié au COVID-19. Au Vietnam[11], Vinataba, une branche de Philip Morris, a fait des dons à un hôpital pour lutter contre le COVID-19. Aux Philippines[12], en mars 2020, LT Group, qui est la société holding de Fortune Tobacco Corporation et Philip Morris Fortune Tobacco Corp. (PMFTC), a fait don de fournitures médicales et d'équipements de protection individuelle à des agences gouvernementales.

Utiliser les ODD pour promouvoir l'industrie du tabac en tant que partenaire légitime

  ODD-obstacle-developpement-durable  

L'industrie du tabac affirme mettre ses activités en conformité au regard de plusieurs des objectifs de développement durable (ODD)[13] des Nations Unies pour crédibiliser ses activités de RSE.

Les 17 ODD du Programme de développement durable à l'horizon 2030 sont officiellement entrés en vigueur le 1er janvier 2016, les gouvernements s'engageant à les mettre en œuvre à travers des plans à long terme sur la base de partenariats[14]. En 2017, le Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC) a adopté une résolution définissant de bonnes pratiques à l’attention des agences du système des Nations Unies visant à se protéger des interférences de l'industrie du tabac. Ses membres sont ainsi incités à développer et à mettre en œuvre leurs propres politiques[15]. Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), à l'avant-garde de la mise en œuvre des ODD, a une politique claire de non-engagement avec l'industrie du tabac[16]. Cependant, l'industrie continue sans relâche à associer ses programmes de RSE aux ODD, et ses documents et rapports sont parsemés du terme « durabilité », avec une « agriculture durable », des « communautés durables » et d’ « environnement durable »[17]-[18].

Ainsi, PMI a créé un programme, « Business for 2030 »[19], affirmant que ses activités de RSE sont directement alignées sur plusieurs ODD (Assurer la sécurité alimentaire, Permettre à chacun de vivre en bonne santé, assurer l’égalité des genres et garantir à tous l’accès à l’eau potable). En réalité, le tabagisme nuit à la santé publique et au développement durable. Les produits du tabac et l’activité même du tabac sont en conflit avec presque tous les ODD, en particulier l'ODD 3 qui vise à atteindre une bonne santé pour tous grâce à la mise en œuvre de la CCLAT et à la réduction du tabagisme. Cependant, PMI a détourné l'objectif de l'ODD 3 pour promouvoir sa campagne mondiale « sans fumée » et ses nouveaux produits du tabac et de la nicotine (tabac chauffé/grillé et produits du vapotage).

De son côté, BAT a choisi tactiquement le 10 décembre 2020 - Journée des droits humains des Nations Unies - pour lancer son propre rapport sur les droits de l'homme[20] qui prétend être aligné sur les principes directeurs des Nations Unies. Le cigarettier met l'accent sur l'amélioration des moyens de subsistance des agriculteurs, la garantie de la durabilité à long terme des communautés rurales, et affirme garantir la santé et le bien-être de tous les employés. Or à ce jour les faits démontrent que l’industrie du tabac reste le principal obstacle à l’élimination du travail forcé des enfants et des bonnes conditions de travail pour les producteurs de tabac.

Les catastrophes naturelles et l'éducation pour s'engager avec les plus vulnérables et les jeunes

L'industrie du tabac exploite les catastrophes naturelles et la faiblesse des politiques gouvernementales de certains pays pour faire face aux catastrophes naturelles pour mettre en œuvre ses activités de RSE. En 2018 – 2019, PMI a dépensé environ 2 millions USD pour organiser des activités liées aux catastrophes en Indonésie et aux Philippines[21]-[22]. En Indonésie, PMI a donné 118 000 $ à la Fondation Kappala pour la reconstruction d'une école détruite par le tremblement de terre et près de 90 000 $ à Skala Indonesia pour la construction d’abris temporaires et d’installations sanitaires dans les zones endommagées par le séisme[23].

En Thaïlande, PMI finance régulièrement la PDA, une organisation à but non lucratif réputée axée sur le développement communautaire, dont le conseil d'administration est composé de décideurs politiques, de médecins et d'universitaires chevronnés. De 2016 à 2019, 14 des 15 derniers projets de la PDA ont reçu des fonds de PMI soit plus de 1,3 million $[24]. Aux Philippines, PMI a financé 15 des 22 projets de JVOFI (5,6 millions $), une organisation qui œuvre, entre autres, pour l'éducation, l'autonomisation des femmes et le bien-être social[25]. Comme PDA, le conseil d'administration de JVOFI est composé de cadres travaillant dans divers secteurs socio-économiques, notamment l'agriculture et l'enseignement supérieur[26]. L'industrie du tabac cible ainsi les structures susceptibles de constituer des relais en appui au cigarettier pour faire pression sur les décideurs politiques et obtenir des décisions favorables aux intérêts de l'industrie.

De 2016 à 2019, PMI a également dépensé près de 27 millions $ dans des activités liées à l'éducation en Indonésie, en Malaisie, aux Philippines et en Thaïlande. L'Indonésie, le plus grand marché de cigarettes de PMI, a reçu la majeure partie de cet argent (plus de 21 millions)[27].

L’organisation non gouvernementale, la SEATCA formule dans son rapport des recommandations à destination des décideurs pour limiter les activités de RSE de l’industrie du tabac.

  1. Les activités de RSE de l'industrie du tabac devraient être interdites par la loi.
  2. Il devrait en particulier être strictement interdit à l'industrie du tabac de mener toute activité de RSE concernant les enfants ou le système éducatif, tant public que privé.
  3. Les fonctionnaires et les départements gouvernementaux devraient exclure tout financement et partenariats avec l'industrie du tabac.
  4. Les agences gouvernementales et les institutions et organisations internationales devraient publier, par exemple sur leurs sites internet, leur position officielle de rejet de tout partenariat avec l'industrie du tabac.
  5. Les autorités publiques devraient promouvoir l'arrêt de toutes les formes de consommation de tabac dans le cadre de la lutte contre la pandémie de Coronavirus.
  6. Les autorités publiques devraient augmenter les taxes sur le tabac afin de financer les activités d’intérêt général.
Mots clés : RSE, industrie du tabac, ANASE, Asie, SEATCA Crédit photo : ©Expose Tobacco (STOP) ©Génération Sans Tabac
[1] Southeast Asia Tobacco Control Alliance (2021). Whitewashing a harmful business: Review of tobacco industry’s CSR activities in ASEAN. Bangkok: Southeast Asia Tobacco Control Alliance. [2] Directives pour la mise en œuvre de l'article 5.3 de la Convention-cadre de l'OMS pour la lutte antitabac [3] Southeast Asia Tobacco Control Alliance. (2019). SEATCA Tobacco Advertising, Promotion and Sponsorship Index: Implementation of Article 13 of the WHO Framework Convention on Tobacco Control in ASEAN Countries, 2019. Bangkok: Southeast Asia Tobacco Control Alliance. [4] 4 Southeast Asia Tobacco Control Alliance. (2020). ASEAN Tobacco Industry Watch: TI steps-up CSR activities during COVID-19 pandemic. Available at: https://tobaccowatch.seatca.org/index.php/2020/04/14/ti-steps-up-csr-activities-during-covid-19-pandemic/ [5] Fooks, G., Gilmore, A., Collin, J., Holden, C. & Lee, K. (2013). The Limits of Corporate Social Responsibility: Techniques of Neutralization, Stakeholder Management and Political CSR. Journal of Business Ethics, 112, 283-299. https://doi.org/10.1007/s10551-012-1250-5 [6] McDaniel, P.A. & Malone, R.E. (2012). "The Big WHY": Philip Morris's Failed Search for Corporate Social Value. American Journal of Public Health, 102(10), 1942-1950. https://doi.org/10.2105/AJPH.2011.300619 [7][7] Nugroho, A. Covid-19 in Kediri, Gudang Garam Handed Over Ambulance to PMI: Equipped with Emergency Medical Equipment. Jawa Pos. 7 April 2020, consulté le 22 juin 2021 [8] Djarum Donates Rp. 1.5 Billion for the Procurement of PPE in Kudus. Kompas. 2 April 2020, consulté le 22 juin 2021 [9] MyKasih raises RM 3mil for food aid during MCO. Malaysiakini. 7 April 2020, consulté le 22 juin 2021 [10] MyKasih raises RM 3mil for food aid during MCO. Malaysiakini. 7 April 2020, consulté le 22 juin 2021 [11] Vinataba supports Bach Mai Hospital in the prevention of the Covid-19 epidemic. Baodansinh. 29 March 2020, consulté le 22 juin 2021 [12] LT Group supports fight vs Covid-19. The Manila Times. 26 March 2020, consulté le 22 juin 2021 [13] United Nations. (2020). The Sustainable Development Agenda [14] Take Action for the Sustainable Development Goals, Site internet des Nations Unies [15] UN ECOSOC. United Nations Inter-Agency Task Force on the Prevention and Control of Non-communicable Diseases, E/2017/L.21. 30 May 2017 [16] United Nations Development Programme. (2013). Policy on due diligence and partnerships with the private sector. [17] Jirathanapiwat, W. et al. (2017). Hijacking ‘Sustainability’ from the SDGs: Review of Tobacco Related CSR activities in the ASEAN Region. Southeast Asia Tobacco Control Alliance (SEATCA), Bangkok. Thailand [18] 4 Southeast Asia Tobacco Control Alliance. (Undated). SEATCA handout based on Hijacking ‘Sustainability’ from the SDGs: Review of Tobacco Related CSR activities in the ASEAN Region. (2017) http://www.seatca.org/dmdocuments/SDG%20CSR%20Handoud.pdf [19] Philip Morris International (2020). Business for 2030 [20] 8 British American Tobacco. (2020). BAT launches tobacco industry-first Human Rights Report [21] PMI-CSR in Indonesia: The Charitable Contribution of Philip Morris International in 2016 – 2019 [22] PMI-CSR in the Philippines: The Charitable Contribution of Philip Morris International in 2016 – 2019 [23] Philip Morris International. (2018). 2018 Charitable Contributions (Monetary Contributions) [24] Population and Community Development Association. Board of Directors [25] Jaime V. Ongpin Foundation Inc.. (2020). Annual report FY 2018 – 2019. [26] Jaime V. Ongpin Foundation Inc. (Undated.) Board of Trustees [27] Philip Morris International. Reports on charitable contributions (2016 to 2019) Comité National Contre le Tabagisme |

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