Une nouvelle loi sur les produits du tabac et de la nicotine au Luxembourg pointée pour ses faiblesses
3 novembre 2025
Par: Comité national contre le tabagisme
Dernière mise à jour : 3 novembre 2025
Temps de lecture : 7 minutes
Le 23 octobre 2025, la Chambre des députés luxembourgeoise a adopté le projet de loi n° 8333 sur la lutte antitabac[1], à la suite de l'alerte lancée par la Conférence nationale de l'enseignement supérieur (CNEL) luxembourgeoise, qui a rapporté que 21 % de lycéens avaient déjà consommé des sachets de nicotine. Ce texte actualise la loi antitabac pour la première fois depuis 2017 en transposant la directive européenne (UE) 2022/2100 et en étendant les restrictions à de nouveaux produits tels que le tabac chauffé et les sachets de nicotine. Il vise à adapter la politique de santé publique aux évolutions du marché et de la réglementation européenne. La mesure a été adoptée par 49 députés pour, 5 contre et 6 abstentions.
De nouvelles dispositions d’encadrement des produits, intégrant les nouveaux produits nicotiniques
La loi introduit plusieurs mesures concernant les sachets de nicotine, le tabac chauffé, les cigarettes électroniques, e-liquides et les cigarettes classiques :
En premier lieu, les produits nicotiniques émergents seront encadrés, notamment les sachets de nicotine, parfois présentés comme du « snus » par la presse luxembourgeoise bien que ce dernier soit un produit de tabac distinct des sachets.
Les sachets de nicotine sont désormais soumis au même régime que le tabac : interdiction de publicité, de vente en ligne et de vente aux mineurs, actions de sensibilisation, limitation stricte de la teneur en nicotine (0,048 mg par sachet ou gramme), listage et quantification exacts de tous les ingrédients, ainsi qu’une interdiction d’additifs comme la caféine, la taurine ou le CBD. Leur usage sera restreint dans certains lieux publics, et notamment interdit dans les lieux fréquentés par les mineurs, par exemple dans les aires de jeux.
Pour Carole Hartmann, députée du Parti démocratique (DP), « Pour nous, la sensibilisation et la prévention sont d’une très grande importance, pour éviter notamment que la consommation de [sachets de nicotine] soit vue comme anodine. Surtout, les jeunes sous-estiment les risques pour la santé. ».
En second lieu, une interdiction des arômes (fruit, bonbon, menthe…) pour les produits du tabac chauffé, une obligation d’apposer des avertissements sanitaires sur leurs emballages – ils en étaient précédemment exemptés. À cela s’ajoute un renforcement des règles d’étiquetage : mention claire qu’il s’agit d’un produit du tabac ou d’un autre produit nicotinique, avertissements sanitaires obligatoires, absence de visuels trompeurs ou promotionnels. Au niveau de la présentation du conditionnement, les couleurs ou visuels attrayants sont prohibés et en matière de commercialisation, un plus grand contrôle des canaux de vente est prévu, associé à une interdiction de publicité et de certains modes de présentation. Globalement, la réglementation touchant ces nouveaux produits à la nicotine, incluant les e-liquides des cigarettes électroniques sans nicotine, est alignée sur celle des produits du tabac classique ;
En troisième lieu, une obligation pour les distributeurs automatiques d’afficher des messages sanitaires et d’exclure tout visuel promotionnel ;
Enfin, la vente des paquets de cigarettes (hors mini-cigarettes de tabac chauffé) fait uniquement par multiples de cinq, afin de limiter les ventes à l’unité et les rendre moins financièrement accessibles aux jeunes.
Le Conseil d’État avait émis plusieurs réserves lors de son premier avis (sur la transposition de la directive européenne, les définitions, la proportionnalité des mesures, etc.). Une fois ces points corrigés par des amendements parlementaires, le Conseil d’État a levé ses dernières réserves en juillet 2025 et la loi a été adoptée. Elle entrera en vigueur le premier jour du mois suivant sa publication au Journal officiel, à l’exception des règles sur les distributeurs automatiques, qui bénéficieront d’un délai d’application de trois mois.
La ministre de la Santé, Martine Deprez, a déclaré que le gouvernement donnerait la priorité à la protection des mineurs, renforcerait les mesures de prévention et continuerait à suivre les développements au niveau européen[2]. Toutefois, de nombreux acteurs de santé publique et responsables politiques souhaiteraient aller plus loin et interdire les sachets de nicotine.
Face à des réactions contrastées, certains partis soulignent la nécessité d’interdire les sachets de nicotine
Certaines voix ont alerté sur le risque, selon elles, de réduction des options de « sevrage » tabagique et de hausse du marché noir et des achats transfrontaliers, des arguments souvent avancés par le lobby du tabac et de la nicotine pour freiner les politiques ambitieuses de santé publique.
Les organisations de santé publique, comme la Fondation Cancer, le Collège médical et Okaju, se sont félicités que la directive européenne soit transposée et que des mesures soient prises en vue de protéger les jeunes perçus à tort comme inoffensifs, pointant qu’il existe de surcroît un risque d’effet « passerelle » entre les sachets de nicotine et l’initiation au tabac. Cependant, la Fondation Cancer va plus loin et souhaite l’interdiction totale des sachets de nicotine[3] et a également regretté l’absence d’interdiction des cigarettes électroniques jetables ou « puffs », comme l’ont déjà décidée la Belgique, la France, la Suisse et le Royaume-Uni. « Sur ce point, ce sera dans un autre projet de loi lancé par le ministère de l’Environnement puisqu’il s’agit de déchets », explique Françoise Kemp, rapporteuse du projet de loi à la Chambre.
Pour le Parti pirate également, le texte ne va pas assez loin : « Il s’agit d’une superbe loi pour les mineurs, mais une très mauvaise pour les majeurs. On se cache ici derrière un taux arbitraire, reposant sur la réglementation allemande sur la sécurité alimentaire. Or un sachet de nicotine n’est pas un yaourt. Il aurait fallu avoir le courage de décréter une interdiction généralisée », argumente Sven Clement, selon lequel l’absence d’harmonisation au niveau européen rend bien moins efficace la mesure luxembourgeoise[4].
De même, le Parti ouvrier socialiste luxembourgeois (LSAP) et Les Verts (déi gréng) revendiquent une interdiction totale des sachets de nicotine, à l’instar de ce qu’a décidé la France ou la Belgique. Pour Mars Di Bartolomeo, ancien ministre de la Santé, « le gouvernement et l’ADR ont fini par s’incliner devant le lobby du tabac. La majorité fait preuve d’inconséquence. D’un côté, elle plaide pour la protection de la santé, de l’autre, elle refuse d’interdire un produit très nuisible et qui rend accro. ».
« Il s’agit d’une loi des occasions manquées », pense la députée Djuna Bernard. « Il nous faut non seulement nous engager pour une génération sans tabac, mais aussi pour une génération sans nicotine. Avec cette loi, les intérêts commerciaux et financiers supplantent l’intérêt supérieur des jeunes […] On lutte contre le tabac, mais les produits nocifs restent sur le marché. ».
AD
[1]Thierry Labro, Le Luxembourg encadre les sachets de nicotine, Paperjam, publié le 31 octobre 2025, consulté le même jour
[2]RTL Infos, Une nouvelle loi pour les sachets de nicotine au Luxembourg, publié le 31 octobre 2025, consulté le même jour
[3]Morgan Kervestin, Loi antitabac : «Nous sommes allés plus loin que d’autres pays», Le Quotidien, publié le 30 octobre 2025, consulté le 31 octobre 2025
[4]David Marques, Sachets de nicotine : la fin du «far west» est actée, Le Quotidien, publié le 31 octobre 2025, consulté le même jour