Royaume-Uni : une Coalition exhorte les parlementaires à refuser les cadeaux des fabricants de tabac, d’alcool et de la malbouffe
9 septembre 2024
Par: Comité national contre le tabagisme
Dernière mise à jour : 4 septembre 2024
Temps de lecture : 8 minutes
Un rapport britannique sur les déterminants commerciaux de la santé, élaboré par Action on Smoking and Health, Obesity Health Alliance et Alcohol Health Alliance, met en lumière les stratégies communes utilisées par les industries du tabac, de l'alcool et de la malbouffe pour retarder et amoindrir les politiques de santé publique afin de protéger leurs intérêts commerciaux[1].
La coalition de santé demande ainsi au premier ministre britannique Keir Starmerde de rétablir l'intégrité de la vie publique en interdisant à ces entreprises de faire pression sur les députés en leur offrant des cadeaux susceptibles de les exposer à des conflits d'intérêts.
Les déterminants commerciaux de la santé désignent la manière dont les acteurs du secteur commercial, leurs produits et leurs pratiques influent sur la santé. Certaines de ces industries : tabac, alcool, agroalimentaire ou encore énergies fossiles déploient de nombreuses stratégies pour entraver la mise en œuvre des politiques relatives aux maladies non transmissibles (cancers, maladies respiratoires et cardiovasculaires, diabète, etc.) causées par leurs produits.
Globalement, 13 % des adultes britanniques fument, 21 % boivent plus que les recommandations en matière de consommation d'alcool et 64 % sont en surpoids ou obèses[2].
Des tactiques similaires pour ces industries
L'une des tactiques souvent utilisées par ces entreprises consiste à nier ou à minimiser les preuves des risques liés à la consommation de leurs produits ou encore à contester leur caractère addictif voire à déformer les données scientifiques relatives à leurs produits. Par exemple, Coca-Cola a financé un institut de recherche à l'université du Colorado afin de persuader les gens de se concentrer sur l'exercice physique, et non sur l'apport calorique, dans le cadre de leurs stratégies de perte de poids, alors qu'il est prouvé que l'exercice physique n'a qu'un impact minime sur le poids, comparé à l’alimentation.
Ces industries tendent également à se positionner comme des acteurs faisant partie de la solution pour lutter contre la consommation de ces produits. Ainsi les fabricants de tabac mettent sur le marché depuis quelques années de nouveaux produits du tabac et de la nicotine (tabac chauffé, produits du vapotage, sachets de nicotine) qu’ils promeuvent activement comme des produits à risques réduits. Leur stratégie est de les amalgamer afin d’introduire une confusion chez les consommateurs et décideurs alors même que les risques liés à ces produits sont simplement modifiés.
Ces industries ont également recours à des menaces de contentieux pour retarder les politiques visant à réduire ces risques. Ce fut notamment le car pour le paquet neutre des cigarettes et le prix unitaire minimum de l'alcool. Pour disséminer des arguments qui leur soient favorables, elles n’hésitent pas à déformer les preuves scientifiques, et à recourir à des groupes de façade pour présenter leurs positions. L'industrie du tabac finance depuis longtemps des organisations apparemment relevant d’initiatives populaires, mais qui sont en fait des groupes d'astroturf[3]. Ainsi au Royaume-Uni, le groupe Forest prétend défendre les «droits des fumeurs», mais est presque entièrement financé par les grands fabricants de tabac. De même, la Tobacco Retailer's Alliance prétendait défendre les petits détaillants, mais elle était financée et gérée par la Tobacco Manufacturers' Association.
Sous le couvert de la responsabilité sociale des entreprises (RSE), les industries du tabac, de l'alcool et de la malbouffe financent et soutiennent des associations caritatives, des groupes communautaires et des programmes de recherche et d'éducation, détournant ainsi l'attention des dommages qu'elles causent avec leurs produits. L’industrie du tabac finance ainsi des collectes de mégots sur les plages ou encore des initiatives de santé dans les pays à revenus faibles ou intermédiaires.
Le Public Health Responsibility Deal (PHRD), adopté par le gouvernement de coalition britannique de 2010 à 2015, constitue une autre illustration. Ce dispositif proposait une approche de partenariat avec l'industrie de l'alcool et l’industrie agroalimentaire pour réduire les effets néfastes sur la santé, plutôt qu'une réglementation. Une évaluation indépendante a montré que l'initiative n'a pas eu d'effets bénéfiques sur la santé publique. Les documents montrent au contraire comment le « Responsibility Deal » a permis à l'industrie de l'alcool d’influencer l'agenda politique et de retirer de la table des mesures telles que la tarification unitaire minimale de l'alcool. Par ailleurs, depuis l'introduction du PHRD, plus d'une décennie de programmes ont été mis en place pour inciter l'industrie alimentaire à supprimer volontairement le sucre, le sel et les calories. Malgré les engagements répétés de cette industrie et les assurances qu'elle « sait mieux que quiconque » comment traiter ces questions, aucun objectif n’a été atteint et la grande majorité des produits ne présentent pas d'améliorations significatives.
Des cadeaux ou avantages aux parlementaires pour influencer les politiques publiques
L’une des tactiques d’influence ancienne et qui persiste consiste à proposer aux parlementaires de la part de ces industries, des cadeaux et des invitations afin de nouer des contacts. Depuis 1974, au Royaume-Uni, les députés sont tenus d'enregistrer leurs intérêts financiers (y compris les cadeaux et les avantages) de manière transparente lorsqu'ils dépassent 300 livres sterling. Aussi la Coalition demande aux parlementaires d’éviter les conflits d'intérêts et de refuser les cadeaux et autres avantages, comme des billets pour des événements sportifs ou culturels, de la part de ces entreprises.
L'industrie tente également de « contourner » ce système, par exemple en organisant des événements au Parlement où des cadeaux peuvent être offerts mais ne sont pas directement envoyés au bureau d'un député, ou en offrant des cadeaux qui tombent sous le seuil de 300 livres sterling (par exemple de grandes tablettes de chocolat Cadbury) ou en proposant des visites d'usines locales où des cadeaux sont offerts, mais ne sont pas suivis ou rendus publics.
Début 2024, l'ancien député de la ville de Clacton (Essex), Giles Watling, a déclaré un « déjeuner d'affaires » et a assisté à une « célébration annuelle » avec Japan Tobacco International, pour une valeur totale de 351,04 livres sterling. En mai de la même année, il a déposé un certain nombre d'amendements à la nouvelle Tobacco and Vapes Bill, notamment pour que les restrictions de vente de tabac s'appliquent aux personnes de moins de 21 ans, plutôt qu'à celles nées après 2009.
En août 2022, Thérèse Coffey, alors députée conservatrice, a déclaré dans le registre des intérêts des députés qu'elle avait accepté un billet au Lord's cricket ground de Londres d'une valeur de 922,80 livres sterling de la part du groupe de pubs et de bières Greene King. Trois semaines plus tard, Thérèse Coffey, opposante de longue date aux politiques de l'« État-nounou », est devenue secrétaire à la santé dans l'éphémère gouvernement de Liz Truss et s'est opposée, durant son mandat, à plusieurs propositions visant à améliorer la santé publique[4].
Cette tactique des cadeaux et invitations ne se limite pas aux parlementaires. En France où la législation est stricte dans ce domaine[5], un article de Politico révélait que le cigarettier Philip Morris a organisé une campagne de communication d’envergure auprès de plus de soixante journalistes de la presse généraliste et professionnelle, dans le cadre du tournoi de tennis à Roland-Garros. Cette invitation faisait suite à la publication des conclusions de la mission parlementaire sur la fiscalité comportementale dans le domaine de la santé (tabac, l'alcool, les boissons sucrées ou édulcorée). La mission recommandait notamment l’instauration d’un paquet de cigarettes à 25 euros d’ici 2040, ou encore un alignement strict de la fiscalité du tabac à chauffer sur celle des cigarettes manufacturées[6].
AE
[1] Killer Tactics, Rapport, Action on smoking and health, publié en août 2024, consulté le 3 septembre 2024
[2] Obesity Health Alliance, Alcohol Health Alliance, Action on Smoking and Health. Holding us back: tobacco, alcohol and unhealthy food and drink: Advocating for a coherent health policy approach, publié en 2023
[3] Pratique de propagande et de manipulation utilisée dans les médias et notamment sur internet, consistant à donner l’impression d’un phénomène de masse qui émerge de façon spontanée alors qu’en réalité, il a été créé de toutes pièces pour influencer l’opinion publique
[4] Denis Campbell et Henry Dyer, UK MPs urged to give up freebies from tobacco, alcohol and junk food firms, The Guardian, publié le 31 août 2024, consulté le 3 septembre 2024
[5] Communiqué, Première condamnation d’un fabricant de tabac pour propagande, CNCT, publié le 5 février 2019
[6] Génération sans tabac, Invitation à Roland-Garros : Philip Morris essaye de séduire les journalistes, publié le 6 juin 2024, consulté le 3 septembre 2024
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