Invitation à Roland-Garros : Philip Morris essaye de séduire les journalistes
6 juin 2024
Par: Comité national contre le tabagisme
Dernière mise à jour : 6 juin 2024
Temps de lecture : 4 minutes
Un article de Politico révèle que le cigarettier Philip Morris organise une campagne de communication d’envergure auprès de plus de soixante journalistes, dans le cadre du tournoi de tennis à Roland-Garros. L’objectif : soigner son image publique, et imposer ses arguments dans le débat public sur la réglementation du tabac.
Plus de mille euros l’invitation à Roland-Garros
Le journal indique qu’une soixantaine de journalistes de la presse nationale et spécialisée est invitée par le cigarettier pour assister aux matchs de Roland-Garros. En plus du tournoi lui-même, le fabricant prévoit plusieurs déjeuners gastronomiques préparés par Potel et Chabot. Ces “offres hospitalités”, estimées à plus de mille euros l’invitation par Politico, seront l’occasion pour le fabricant de développer ses thématiques phares auprès des journalistes : commerce illicite, fiscalité et responsabilité sociale. Lors des demi-finales dames, la multinationale prévoit également d’évoquer la question du traitement médiatique du tabac, tandis que le PDG de Philip Morris France présidera le déjeuner du samedi 8 juin, jour de la demi-finale hommes. Selon Politico, l’agence de presse de Philip Morris a avancé que cette opération de communication ne donnait pas lieu à une demande d’articles. Toutefois, une opération de communication d’une telle ampleur, a fortiori à destination des journalistes, a pour première vocation d’entretenir des relations privilégiées avec la presse et d’obtenir un traitement médiatique favorable, et indirectement, influencer le débat public.
Marchés parallèles, fiscalité : un agenda chargé pour le cigarettier
Cette invitation par le cigarettier arrive à un moment crucial pour le cigarettier et l’industrie du tabac dans son ensemble. En effet, quelques jours auparavant, une mission d’évaluation parlementaire a rendu ses conclusions sur la fiscalité comportementale dans le domaine de la santé (tabac, l'alcool, les boissons sucrées ou édulcorée), appelant les pouvoirs publics à remettre en place une trajectoire fiscale, avec pour recommandation l’instauration d’un paquet de cigarettes à 25 euros d’ici 2040, ou encore un alignement strict de la fiscalité du tabac à chauffer sur celle des cigarettes manufacturées. Ces propositions sont un motif d’inquiétude sérieux pour le cigarettier, d’autant que le rapport relativise l’importance des marchés parallèles, et le rôle des hausses de taxes dans l’évolution de ceux-ci, soit le narratif habituel de l’industrie du tabac. Par ailleurs, l’invitation arrive quelques semaines avant la probable étude publiée par KPMG sur le commerce illicite, intégralement financée par Philip Morris depuis plusieurs années. Le manque de fiabilité de ce rapport, pointé par un nombre croissant de chercheurs, d’acteurs de santé et d’acteurs publics, pourrait expliquer la volonté du fabricant de renforcer cette année sa stratégie de communication auprès des journalistes.
Roland-Garros et l’industrie du tabac : une opération de relations publiques récurrente
Ce n’est pas la première fois que l’industrie du tabac s’appuie sur le tournoi de Roland-Garros pour déployer une stratégie de relations publiques. En 2000, le Comité national contre le tabagisme avait lancé une procédure contre Philip Morris : l’instruction avait révélé l’existence d’un contrat conclu pour trois ans entre le cigarettier et Roland Garros, prévoyant notamment des opérations promotionnelles. Le fabricant avait été condamné en première instance et en appel, et n’avait pas pas formé de pourvoi en cassation.
Plus tard, en 2013, le CNCT avait fait constater l’existence d’opérations de communication pendant le tournoi par trois fabricants de tabac : Philip Morris, Davidoff, et British American Tobacco. Estimés à plus d’un million d’euros, ces contrats prévoyaient notamment l’invitation dans des loges de responsables administratifs, élus, ou de collaborateurs ministériels. Considérant une telle campagne comme une opération de propagande en faveur du tabac, le CNCT avait poursuivi les trois fabricants. Si la Cour d’Appel de Paris avait condamné en 2016 les trois fabricants pour propagande en faveur du tabac, cette décision avait été cassée par la Cour de Cassation un an plus tard. Toutefois, suite à cette opération, la loi a été modifiée pour renforcer le cadre réglementaire, avec une stricte interdiction des actions de publicité, parrainage et de mécénat.
FT