Points communs des stratégies d’influence des industries du tabac, de l’alcool et des boissons sucrées

25 février 2022

Par: Comité national contre le tabagisme

Dernière mise à jour : 25 février 2022

Temps de lecture : 7 minutes

Points communs des stratégies d’influence des industries du tabac, de l’alcool et des boissons sucrées

Financer des groupes de façade pour contrer les politiques publiques, orienter la recherche scientifique pour décrédibiliser les critiques, créer de nouveaux produits censés être moins nocifs pour redorer son image, etc. Des stratégies d'influence déployées de manière similaire par les acteurs industriels du tabac, de l’alcool et des boissons sucrées. Une étude pointe six grands points communs et quelques différences entre les stratégies de ces trois industries.

Une équipe de chercheurs en santé publique étatsuniens a analysé ces pratiques dans une revue de littérature et a pu dégager un schéma commun des interférences industrielles, tout en isolant quelques différences[1].

Six schémas stratégiques communs

Six types de stratégies communes à ces trois industries ont pu être mises en évidence à partir de la littérature scientifique :

  • Influencer la conception et la mise en œuvre des politiques publiques de santé, en particulier à l’aide d’actions de lobbying, mais aussi par des effets de passerelles vers le privé de décideurs publics, de donations aux partis ou aux hommes politiques, et d’influence de l’opinion publique. Cela peut aussi consister à s’associer à certains ministères pour en contrecarrer d’autres ou à proposer des options alternatives qui se révèlent peu efficaces.
  • S’opposer à la science lorsqu’elle est défavorable aux industries, en finançant directement ou par des groupes de façade ses propres recherches. Les industries du tabac et de l’alcool sont aussi connues pour dissimuler leurs financements de certaines recherches et pour infiltrer des groupes de chercheurs en santé publique.
  • Se construire une image positive, que ce soit par des activités de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) qui financent des initiatives citoyennes ou en s’abritant derrière une démarche d’autorégulation. Cela consiste également à mettre l’accent sur la responsabilité individuelle des consommateurs. Alors que les industriels visent expressément des groupes-cibles de populations vulnérables par des actions de marketing, ils s’opposent aux actions de marketing social s’adressant aux segments de la population les plus en difficulté.
  • Déployer des stratégies marketing en réponse aux politiques publiques. Les industries du tabac et des boissons sucrées proposent régulièrement des promotions ou des baisses de tarifs pour contrer les augmentations de taxes. Elles ont aussi une tendance commune à exagérer leurs apports à la prospérité économique des pays. Les industries du tabac et de l’alcool invoquent par ailleurs fréquemment la lutte contre le commerce illicite. Celle du tabac est la seule à avoir été identifiée pour des faits de contrebande.
  • Jouer sur les leviers légaux, ou menacer de le faire, pour contraindre les états à modifier leurs projets de réglementation. Ce peut être à l’aide de lois nationales, en faisant jouer la préemption d’une autorité sur une autre. Les accords internationaux ou leur renégociation sont également utilisés pour contrer les législations locales ; British American Tobacco (BAT) a ainsi tenté, sans succès, de profiter de l’entrée de la Chine dans l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) pour négocier en Europe ses tarifs et exiger le droit à la publicité[2]. L’industrie du tabac a aussi essayé d’instrumentaliser des pays émergents pour faire pression sur des pays à haut revenu, comme ce fut le cas lorsque le Honduras, l’Ukraine, la République Dominicaine, Cuba et l’Indonésie ont attaqué l’Australie sur la mise en place du paquet neutre[3].
  • Anticiper les scénarios à venir, notamment en investissant dans les pays émergents lorsque les marchés des pays à haut revenu commencent à décliner. Alimenter les tensions entre ces différents pays, par exemple en présentant la Convention-cadre pour la lutte antitabac (CCLAT) comme une initiative néocoloniale, est une des stratégies utilisées[4]. Tenter d’opposer les maladies non transmissibles, issues de l’environnement, aux maladies transmissibles, qui relèveraient, elles, de la santé publique est une autre technique spécifique de l’industrie du tabac[5]. Cette dernière et celle des boissons sucrées ont en commun de dénigrer et de diviser les acteurs de santé publique.

Les auteurs observent que les recherches sur l’industrie du tabac sont de loin les plus nombreuses (50% du corpus), celles portant sur les stratégies de l’industrie des boissons sucrées étant encore très récentes.

Des intérêts parfois communs entre les trois industries

Aux précédents travaux portant sur les stratégies communes des industries préjudiciables à la santé[6], cette étude apporte deux compléments, sur les questions de stratégies marketing et des scénarios à venir. Elle pointe aussi quelques nuances qui distinguent les industries de l’alcool et des boissons sucrées. Celles-ci participent notamment aux instances internationales de santé publique, alors que la Convention-cadre pour la lutte antitabac (CCLAT) en exclut l’industrie du tabac par son article 5.3. Elles se distinguent aussi par une addictivité de leurs produits qui ne touchent, contrairement au tabac, qu’une petite partie des usagers – les propriétés addictives des boissons sucrées n’étant pas encore formellement démontrées.

Ces industries peuvent parfois agir de concert ou partager des intérêts communs. C’est par exemple le cas des secteurs du tabac et de l’alcool, qui échangent directement des informations et peuvent à l’occasion engager des campagnes coordonnées. Plusieurs entreprises de boissons sucrées ont pu être détenues par des industriels du tabac, de même que dans la région Asie-Pacifique, les plus grandes marques de boissons sucrées possèdent aussi des marques d’alcool. Le secteur du tabac apparaît souvent comme un précurseur pour les autres industries, en initiant des stratégies de contournement ou en partageant ses cabinets de relations publiques.

La lutte antitabac comme modèle

L’un des autres points communs majeurs de ces trois industries est de peser lourdement sur les maladies non transmissibles (MNT), qui représentent 70% des morts annuels dans le monde. Les pays à revenu faible ou intermédiaire payent le plus lourd à ces MNT avec 85% du total des décès, et sont les plus exposés aux stratégies des industriels. Les auteurs en concluent à la nécessité de réguler les activités des industries de l’alcool et des boissons sucrées, sur le modèle de ce qui a été mis en place pour le tabac. Ils constatent cependant que ces deux industries n’ont à ce jour pas réussi à forger de consensus fort parmi les acteurs de santé, comme c’est le cas au sujet du tabac.

Mots-clés : MNT, alcool, boissons sucrées, industrie.

©Génération Sans Tabac

MF


[1] Hoe C, Weiger C, Minosa M, Alonso F, Koon A, Cohen J, Strategies to expand corporate autonomy by the tobacco, alcohol and sugar-sweetened beverage industry: a scoping review of reviews, Globalization and Health (2022);18,17. [2] Milsom P, Smith R, Baker P, et al. Corporate power and the international trade regime preventing progressive policy action on non-communica- ble diseases: A realist review, Health Policy Plan. 2020; Online fir. [3] Curran L, Eckhardt J. 2017. Smoke screen? The globalization of production, transnational lobbying and the international political economy of plain to- bacco packaging. Review of International Political Economy 24: 87–118. [4] Milsom P, Smith R, Baker P, et al., 2020, ibid. [5] Weishaar H, Collin J, Smith K, et al. Global Health governance and the commercial sector: a documentary analysis of tobacco company strategies to influence the WHO framework convention on tobacco control. PLoS Med. 2012;9:e1001249. [6] Madureira Lima J, Galea S, Corporate practices and health: a framework and mechanisms, Glob Health (2018);14:21.

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