Les guerres et les conflits, terrains prospères pour l’industrie du tabac
8 octobre 2024
Par: Comité national contre le tabagisme
Dernière mise à jour : 8 octobre 2024
Temps de lecture : 7 minutes
Un billet d’opinion[1] publié dans le blog du British Medical Journal montre comment l’industrie du tabac prospère au milieu des guerres et des conflits. Plus récemment, l'industrie du tabac a offert des cigarettes gratuites aux recrues ukrainiennes formées au Royaume-Uni et a maintenu ses activités en Russie alors que les entreprises étaient censées quitter ce territoire.
La manière dont les fabricants de tabac ont tiré profit des guerres depuis la Première Guerre mondiale est bien documentée. Les fabricants de tabac ont ciblé les troupes avec des cigarettes gratuites, de la publicité directe, des articles de marque et des événements de « bienvenue à la maison». Un phénomène qui se poursuit encore aujourd’hui et l’implication des cigarettiers dans les différents conflits revêts diverses facettes (Distribution de produits de tabac et de la nicotine aux soldats, promotion des produits du tabac dans des pays fragilisés par des conflits, implication dans le commerce illicite, etc.)
La guerre en Ukraine, une situation profitable pour les cigarettiers
Après l'invasion de l'Ukraine par la Russie en mars 2022, déclenchant des sanctions occidentales, de nombreuses grandes sociétés transnationales, y compris des compagnies de tabac, se sont engagées à se retirer de la Russie. Ainsi, les fabricants Philip Morris International (PMI), British American Tobacco (BAT) et Japan Tobacco International (JTI) ont annoncé qu'ils quittaient le marché russe. Toutefois, les actes n’ont pas suivi ces paroles, puisque PMI et JTI restent profondément ancrés sur le marché russe.
Avec une prévalence tabagique de 27% en Russie, le pays est un marché lucratif pour les cigarettiers. En 2021, la Russie représentait environ 10 % des ventes de produits du tabac de Philip Morris et 6 % de son chiffre d'affaires net d’un montant de 31 milliards de dollars. De même, Japan Tobacco, qui tire 20 % de ses bénéfices globaux dans le tabac du marché russe, a décidé, en mai 2024, de poursuivre ses activités en Russie pour satisfaire les investisseurs, malgré l'annonce préalable de son retrait en 2022. JTI emploie plus de 4 000 personnes et possède quatre usines en Russie, ce qui en fait l'une des plus grandes entreprises étrangères encore présentes dans le pays. En 2022, ces entreprises ont respectivement engrangé 7,9 milliards US$ et 7,4 milliards US$ en profit et elles ont versé à la Russie des centaines de millions de US$ d’impôt sur les bénéfices, 206 millions pour Philip Morris et 193 millions US$ pour Japan Tobacco
En Ukraine, PMI contrôle environ un quart (24 %) du marché des cigarettes. Après avoir suspendu temporairement sa production en 2022, PMI a continué à fournir ses cigarettes à l'Ukraine à partir de huit usines situées à l'extérieur du pays et en s'associant avec le cigarettier Imperial Brands qui opère toujours en Ukraine. Philip Morris a rétabli ses activités en l'espace d'une semaine après le début de la guerre et repris ses opérations avec les détaillants.
Un article du Telegraph[2] avait révélé début 2024 un accord passé entre le Royaume-Uni et l’Ukraine permettant d’offrir des cigarettes, sachets de nicotine et cigarettes électroniques aux soldats ukrainiens venus s’entraîner outre-Manche. Ces produits ont été offerts par l’une des compagnies internationales de tabac, restée anonyme, et distribuées aux soldats dans le cadre de leur ration. Comme le souligne le Telegraph, une source proche du dossier aurait affirmé que le tabagisme « constitue une menace plus faible pour ces courageux soldats que de lutter contre l’invasion illégale de leur pays par Poutine ».
L’industrie du tabac profite de l’instabilité de certaines régions africaines
En Afrique, le Soudan est en proie à une guerre civile depuis avril 2023, entrainant une situation humanitaire dramatique : plus de 8 millions de personnes ont fui leur foyer, 25 millions de personnes souffrent de la faim et la moitié de la population du pays est dépendante d'une aide vitale. Cette crise a affecté la fabrication et les ventes de cigarettes de British American Tobacco. Pour remédier à cette situation, BAT a fait pression sur le gouvernement pour qu'il modifie la réglementation afin de pouvoir fabriquer des petits paquets de 10 cigarettes et les exporter au Soudan et dans d'autres marchés où ils ne sont pas interdits. Ces petits paquets de cigarettes, connus sous le nom de "kiddie packs", ou « paquets enfant » facilitent l'achat de cigarettes par les plus jeunes et les populations les plus démunies. Leur prix est en effet moindre et ce procédé rend les cigarettes plus abordables et donc plus susceptibles d’être achetées[3]. BAT espère ainsi que l’autorisation accordée pour une exportation au Soudan sera suivie d’autres autorisations pour d'autres pays africains.
En 2021, une enquête de l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) avait dévoilé comment l’industrie du tabac alimente massivement et délibérément la contrebande de tabac en Afrique de l’Ouest, alors même que cette dernière finance la militarisation de la criminalité organisée, les milices ethniques et les organisations terroristes islamistes[4]. L’enquête révèlait par ailleurs que le représentant de Philip Morris au Burkina-Faso, Apollinaire Compaoré, fiché comme contrebandier par l’ONU elle-même, était à la tête d’un trafic annuel de milliards de cigarettes à destination de l’Afrique du Nord (Libye, Algérie).
Au Moyen-Orient, les pays en guerre continuent d’exporter et importer massivement des cigarettes
Le Yémen, en conflit depuis neuf ans, est confronté à l’une plus graves crises humanitaires au monde. Pourtant, en 2019, le Yémen a importé pour 15 957,65K$ de cigarettes (3 361 440Kg), principalement des Émirats arabes unis. L'ancien ambassadeur britannique au Yémen a assisté fin 2019 à l'ouverture d'une usine de fabrication de tabac appartenant conjointement au gouvernement yéménite, au fabricant de cigarettes Kamaran et à BAT, comme l'a révélé le groupe de recherche sur la lutte contre le tabagisme de l'Université de Bath. L'ambassadeur avait déclaré que l’ouverture de cette usine était un investissement précieux pour BAT et l'économie yéménite. Il a, par la suite, admis qu'il s'agissait d'une erreur et qu'il n'était pas dans ses intentions de promouvoir le fabricant de tabac.
En Syrie, la guerre civile depuis 2011, a entraîné le déplacement forcé de plus de 12 millions de personnes dans toute la région. Pourtant, le pays reste un exportateur de tabac. En 2023, la base de données de la Banque mondiale a enregistré des exportations syriennes de cigares ou de cigarettes vers les principaux importateurs que sont le Liban (771,68 K$, 54 174 kg), la Jordanie (44,37 K$, 3 115 kg) et le Qatar (31,80 K$, 2 233 kg).
Les auteurs concluent que certains partisans de l'industrie du tabac pourraient faire valoir que la poursuite des activités habituelles est source d'emplois et de revenus. En réalité, la poursuite du commerce des produits de consommation les plus meurtriers au monde prolonge et exacerbe les difficultés de la guerre, et conduit à une augmentation du fardeau de la pauvreté, de la morbidité et de la mortalité actuelle et à venir. Ils ajoutent qu'il est important de dénoncer toutes les pratiques contraires à l'éthique de la part de l'industrie du tabac.
AE
[1] Mary Assunta, Dmytro Kupyra, No Ceasefire for Tobacco: How the Industry Thrives Amid War and Conflict, BMJ Blog, publié le 2 octobre 2024, consulté le 4 octobre 2024
[2] Génération sans tabac, Le Royaume-Uni distribue des cigarettes gratuites aux soldats ukrainiens, publié le 25 avril 2024, consulté le 4 octobre 2024
[3] Génération sans tabac, British American Tobacco fait pression sur le Pakistan pour pouvoir exporter des « paquets-enfant » de cigarettes au Soudan, publié le 12 juillet 2024, consulté le 4 octobre 2024
[4] Génération sans tabac, Afrique : la contrebande de Philip Morris finance les organisations terroristes, publié le 3 mars 2021, consulté le 4 octobre 2024
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