L’Afrique dans le viseur de Philip Morris pour ses nouveaux produits du tabac
5 janvier 2025
Par: Comité national contre le tabagisme
Dernière mise à jour : 3 janvier 2025
Temps de lecture : 6 minutes
L'industrie du tabac s'intéresse de plus en plus à l'Afrique, un continent dont la population de jeunes est en plein essor et dont le potentiel économique est important. Des développements récents soulignent cette tendance, Philip Morris International (PMI) ayant dévoilé des plans visant à introduire des produits sans fumée plus abordables dans la région.
Frederic de Wilde, PDG de PMI Asie du Sud, Asie du Sud-Est, Communauté des États indépendants, Moyen-Orient et Afrique, a déclaré en décembre dernier, lors d'un événement sur l'innovation technologique à Abu Dhabi, aux Émirats arabes unis, que le marché des nouveaux produits du tabac en Afrique en était encore à ses débuts, les consommateurs étant très sensibles au prix. Cependant ce marché représente une opportunité commerciale pour l'entreprise[1].
L’Afrique, un marché clé pour l’industrie du tabac
Alors que les taux de tabagisme ont progressivement diminué dans de nombreux pays occidentaux depuis la mise en place de mesures complètes de lutte contre le tabagisme, l'industrie du tabac a réorienté ses pratiques de marketing vers les marchés émergents et plus lucratifs, notamment en Afrique, en ciblant directement les plus jeunes et les femmes. Selon l'Union internationale de lutte contre le cancer, en Afrique, 65 % de personnes ont moins de 30 ans[2].
Actuellement, le continent africain a les taux de tabagisme les plus bas du monde : en 2020, 10,3 % environ de la population dans la région Afro fumaient selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), alors, qu’au niveau mondial, la prévalence du tabagisme s'élevait à 22,3 %. Cependant, l'amélioration de l'économie africaine et la croissance rapide de la population jeune entrainent une augmentation du tabagisme.
Nulle part ailleurs, le nombre de fumeurs n'a autant augmenté depuis 1990 qu'en Afrique - + 104 % en Afrique du Nord et au Moyen-Orient et près de 75 % en Afrique subsaharienne. Le continent comptait environ 66 millions de fumeurs en 2015, et, d'ici 2025, on estime qu'ils pourraient atteindre 84 millions[3].
Des dispositifs de tabac chauffé à des couts réduits pour le continent africain
De Wilde a souligné que les nouveaux produits du tabac (tabac chauffé) correspondent à des produits hauts de gamme initialement lancés à des prix élevés. À titre d’illustration, le dispositif de tabac chauffé IQOS est vendu 69€ en France, entre 50 et 100 CHF selon le modèle en Suisse, ou encore entre 40 et 80£ au Royaume-Uni. Bien qu'ils aient atteint une certaine pénétration du marché dans certaines économies où les lois antitabac sont plus permissives, seuls 5 à 10 % des consommateurs en Afrique pourraient se les offrir. Afin rendre ce produit plus accessible financièrement, PMI a déjà lancé une version moins chère du principal produit de tabac chauffé IQOS aux Philippines en novembre 2022. L’entreprise prévoit de déployer ce dispositif sur de nouveaux marchés émergents dont l’Afrique et ce, très prochainement.
De Wilde a indiqué que l'entreprise mettait au point un dispositif de tabac chauffé ciblant les marchés de pays aux revenus faibles et intermédiaires. Dans le secteur des e-cigarettes, l'entreprise développe également de nouvelles gammes de produits destinés spécifiquement aux économies émergentes.
Philip Morris prévoit une pression supplémentaire auprès des gouvernements africains
Pour De Wilde, si les produits du tabac de PMI offrent des opportunités prometteuses en Afrique, le paysage politique et réglementaire du continent pose d'importants défis, selon lui. Les réglementations varient considérablement d'un pays à l'autre, chacun adoptant sa propre approche de la lutte antitabac. En outre, certains décideurs politiques restent hésitants à l'égard des « alternatives », les plaçant souvent dans la même catégorie que les cigarettes traditionnelles. Ainsi, De Wilde a précisé qu’il sera important de « gagner la confiance des décideurs publics » pour promouvoir ces produits du tabac dans les pays africains. Il ajoute également que les pays devraient « assouplir les restrictions actuelles concernant ces produits », qui selon lui « ne devraient pas être classés dans la même catégorie que les cigarettes traditionnelles ».
Il préconise de laisser le marché libre afin que les entreprises puissent interagir avec les consommateurs et les aider à essayer de nouveaux produits pour faciliter la transition vers des « solutions sans fumée ». En d’autres termes, le fabricant vise l’autorisation de faire de la publicité pour son dispositif de tabac chauffé.
Défis réglementaires et nécessité de bien faire appliquer la Convention-Cadre de l’OMS
De nombreux pays africains peinent à mettre en œuvre des politiques antitabac efficaces. Les avertissements sanitaires sur les paquets de cigarettes, les interdictions de fumer dans les lieux publics, et les interdictions de publicité pour les produits du tabac dans les lieux de vente n’ont été adoptés que par environ un tiers des pays de l’Afrique subsaharienne. Une situation encore aggravée par une mauvaise application des textes liée à l’absence de contrôles et par la forte ingérence de l’industrie du tabac qui affaiblit les réglementations. En effet, bien que 43 des 46 pays de la région africaine sub-saharienne aient ratifié la Convention-Cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (CCLAT), aucun n’a, à ce jour, pleinement mis en œuvre l’ensemble des dispositions du traité. Cette situation résulte notamment du lobby déployé par l’industrie du tabac. Les multinationales du tabac se développent depuis ces dernières décennies en Afrique et exploitent le climat sociopolitique du continent.
Le tabagisme représente également une charge économique de plus en plus lourde pour les pays africains. Sans prendre en compte toutes les externalités négatives du tabac, ce fardeau comprend notamment le coût du traitement des maladies liées au tabac ainsi que les pertes de productivité dues aux maladies et aux décès prématurés. Un récent rapport de l’OMS a montré que l’augmentation de l’incidence des maladies non-transmissibles liées à la consommation de tabac, d’alcool ou d’aliments transformés menace les progrès en santé réalisés en Afrique ces dernières années.
Certains pays, qui ont progressé dans la lutte contre le tabagisme, comme le Kenya, voient ces avancées menacées par l’arrivée de nouveaux produits, notamment les sachets de nicotine, fortement commercialisés auprès des jeunes[4].
AE
[1] Tobacco giant PMI aims for cheaper smoke-free products in Africa, African Business, publié le 28 décembre 2024, consulté le 2 janvier 2025
[2] Elwina Majiwa, The tobacco industry’s ruthless tactics to hook Africa’s , UICC, publié le 16 mai 2024, consulté le 2 janvier 2025
[3] Génération sans tabac, Afrique : l’ingérence de l’industrie du tabac rend difficile la mise en place de mesures antitabac, publié le 5 août 2023, consulté le 2 janvier 2025
[4] Génération sans tabac, Kenya : la lutte antitabac menacée par les nouveaux produits très addictifs de la nicotine et le tabac aromatisé, publié le 9 août 2023, consulté le 2 janvier 2025
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