Afrique : l’ingérence de l’industrie du tabac rend difficile la mise en place de mesures antitabac
5 août 2023
Par: Comité national contre le tabagisme
Dernière mise à jour : 5 août 2023
Temps de lecture : 5 minutes
Bien que 43 des 46 pays de la région africaine sub-saharienne aient ratifié la Convention-Cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (CCLAT), aucun n’a, à ce jour, pleinement mis en œuvre l’ensemble des dispositions du traité. Cette situation résulte notamment du lobby déployé par l’industrie du tabac. Les multinationales du tabac se développent depuis ces dernières décennies en Afrique et exploitent le climat sociopolitique du continent[1].
Le continent africain, une opportunité de croissance pour l’industrie du tabac
Actuellement, le continent a les taux de tabagisme les plus bas du monde : en 2020, 10,3 % environ de la population fumaient selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), alors, qu’au niveau mondial, la prévalence du tabagisme s'élevait à 22,3 %. Cependant, l'amélioration de l'économie africaine et la croissance rapide de la population jeune entrainent une augmentation du tabagisme.
Nulle part ailleurs, le nombre de fumeurs n'a autant augmenté depuis 1990 qu'en Afrique - + 104 % en Afrique du Nord et au Moyen-Orient et près de 75 % en Afrique subsaharienne. Le continent comptait environ 66 millions de fumeurs en 2015, et, d'ici 2025, on estime qu'ils pourraient être 84 millions. C'est l'une des deux seules régions du monde, avec la région de la Méditerranée orientale, où le tabagisme devrait augmenter au cours de la prochaine décennie.
Les adolescents sont les cibles privilégiées de l’industrie du tabac qui concentre tous ses efforts marketing à l’égard de ces derniers. Une analyse réalisée en 2022 par des chercheurs de l'université de Sierra Leone a révélé qu'en moyenne dans 22 pays africains 19 % des adolescents âgés de 11 à 17 ans déclaraient utiliser des produits du tabac, le Zimbabwe étant le pays affichant le taux le plus élevé de 47 %.
Des mesures efficaces qui tardent à être mises en place
Les pays africains peinent à mettre en œuvre des politiques efficaces. Les avertissements sanitaires sur les paquets de cigarettes, les interdictions de fumer dans les lieux publics, et les interdictions de publicité pour les produits du tabac dans les lieux de vente n'ont été adoptés que par environ un tiers des pays d'Afrique subsaharienne. Une situation souvent exacerbée par une mauvaise application des textes et l’absence de contrôles.
L'un des outils les plus efficaces pour réduire le tabagisme consiste à augmenter de manière forte et répétée les taxes sur les produits du tabac. Les fabricants de tabac s'opposent systématiquement à ces augmentations de taxes. En Afrique du Sud, par exemple, des groupes soutenus par l'industrie ont fait pression sur le gouvernent avec succès en 2020 pour que les taxes sur les cigarettes restent inchangées, à 40 %, sachant que le taux recommandé par la CCLAT est de 75 %. Les arguments habituels et erronés de ces groupes sont que l'augmentation des taxes sur les produits du tabac réduira les ventes légales et augmentera le commerce illicite, ce qui aurait pour effet net de diminuer les recettes des gouvernements - et donc de mettre en péril de nombreux emplois liés à l'agriculture et à la manufacture du tabac.
La forte ingérence de l’industrie du tabac dans les politiques de santé
L’industrie du tabac demeure le principal obstacle dans la mise en place de politiques efficaces de lutte antitabac. Une récente étude de l’université de Bath au Royaume-Uni a révélé des affaires de corruption entre le fabricant British American Tobacco (BAT) et plusieurs gouvernements africains. Le rapport affirme qu'entre 2008 et 2013, BAT a effectué des paiements d'un montant total équivalent à 550 000 € [2] à des hommes politiques sous forme d'espèces, de virements électroniques, de dons de campagne et de cadeaux coûteux. Parmi les bénéficiaires figuraient des hommes politiques et des fonctionnaires du Burundi, des Comores, du Rwanda et de l'Ouganda, à un moment où une évolution de la législation antitabac était envisagée dans ces quatre pays.
L’industrie du tabac finance également des think thank politiques en Afrique, à l’instar d’IMANI Center for Policy & Education au Ghana, qui s'est publiquement opposé à la lutte antitabac et même au lien entre le tabagisme et le cancer du poumon. L’industrie influence également de plus en plus les responsables, en utilisant des programmes de RSE (responsabilité sociale des entreprises) tels que l’octroi de bourses à des étudiants dans le besoin, des dons d’argents aux victimes de la COVID19, etc.
Des pays qui tirent leur épingle du jeu
Malgré ce lobby de l'industrie, certains pays ont adopté des lois sur la base des recommandations de la CCLAT. Récemment, la Sierra Leone, la Côte d’Ivoire et le Gabon ont annoncé un renforcement dans leurs pays de la lutte contre le tabac en collaboration avec l’OMS.
Un nouveau rapport encense aussi Maurice[3] pour avoir adopté l'ensemble des mesures antitabac préconisées par l'OMS. Après avoir adopté des premières lois antitabac en 2003 et ratifié la CCLAT, ce pays avait été le premier en Afrique à imposer dès 2008 des avertissements sanitaires graphiques sur les paquets de cigarettes. Depuis mai 2023, Maurice instaure le paquet neutre pour les cigarettes, interdit les cigarettes électroniques, le tabac chauffé ainsi que tous les nouveaux produits de la nicotine, renforce l’interdiction de fumer dans les lieux publics clos et l’étend à certains espaces ouverts, et forme sa police pour faire appliquer ces mesures.
Mots-clés : Afrique, lutte antitabac, lobby, ingérence, industrie du tabac, Afrique subsaharienne
©Génération Sans TabacAE
[1] Tammy Worth, African countries fight for tobacco control, Nature, publié le 7 juin 2023, consulté le 1er août 2023 [2] Génération sans tabac, British American Tobacco accusé de corruption et d’espionnage en Afrique, publié le 21 septembre 2021, consulté le 1er août 2023 [3] Génération sans tabac, Maurice acte des mesures antitabac pionnières en Afrique, publié le 18 juillet 2023, consulté le 1er août 2023 Comité national contre le tabagisme |