La présence de l’industrie du tabac dans un pays expose celui-ci à davantage d’interférences
2 novembre 2023
Par: Comité national contre le tabagisme
Dernière mise à jour : 2 novembre 2023
Temps de lecture : 6 minutes
Une étude de l’Université de Bath a mis en parallèle l’implantation des multinationales du tabac et de leurs filiales dans le monde avec leurs interférences dans les politiques antitabac. Il en ressort que ces interférences s’accroissent dans un pays lorsque ces entreprises y sont présentes. Les auteurs recommandent aux états d’être plus attentifs à toutes les structures qui contribuent à l’offre de produits du tabac.
Les politiques de lutte contre le tabagisme sont, à travers le monde, menacées par les interférences de l’industrie du tabac. Il a ainsi été maintes fois rapporté que des mesures antitabac ont été contrées par le lobby déployé par cette industrie. Parmi les arguments mis en avant par cette dernière figure la préservation de l’emploi, lorsque celle-ci est implantée dans le pays. C’est pour vérifier ce principe de façon systématique et globale que des chercheurs de l’Université de Bath ont tenté de mesurer la correspondance entre la présence des entreprises du secteur du tabac dans un pays et les interférences de l’industrie du tabac dans les politiques publiques[1].
Identifier les acteurs de la chaîne de production du tabac
Les chercheurs ont d’abord constaté qu’il n’existait pas de cartographie complète de l’implantation des filiales des multinationales du tabac. Ils se sont concentrés sur les quatre principales majors du tabac (Philip Morris International, British American Tobacco, Japan Tobacco International, Imperial Brands) et toutes leurs filiales. Ils ont ajouté à ce groupe les deux multinationales spécialisées dans la production de feuilles de tabac (Pyxus, anciennement Alliance One, et Universal Corp) et l’ensemble de leurs filiales.
Ils se sont appuyés sur la base de données Tobacco Supply Chain Database, qui répertorie ces structures[2], pour en dresser une cartographie. D’autres sources, tels les rapports annuels de ces entreprises ou leurs sites web ont permis d’établir leurs liens de parenté. Trois niveaux de production ont été distingués : la culture de feuilles de tabac, le traitement de ces feuilles de tabac et la manufacture des produits du tabac, secteurs qui peuvent être répartis dans des pays distincts. Tous les types de produits du tabac ont été intégrés, à l’exception des tabacs chauffés.
L’équipe de chercheurs a ensuite confronté ces données à celles du Global Tobacco Industry Interference Index[3]. Publié tous les deux ans, cet indice inventorie les interférences des industriels du tabac dans les politiques publiques. 76 des 80 pays composant l’édition 2021 de cet indice ont été retenus dans l’analyse.
Corrélation entre la présence de l’industrie et ses interférences
Les résultats de l’étude indiquent que 47 pays comportent des filiales de l’industrie du tabac impliquées dans la culture du tabac, 51 pays hébergent des structures impliquées dans le traitement des feuilles de tabac et 74 pays abritent des entreprises impliquées dans la manufacture des produits du tabac. Ces dernières étaient plutôt situées en Europe et en Afrique du Nord.
Les chercheurs ont mis en évidence que les interférences de l’industrie du tabac seraient significativement plus nombreuses dans les pays abritant des filiales et des structures liées à l’industrie du tabac. Ces interférences augmenteraient selon le nombre d’entités présentes dans le pays. Elles seraient associées à une moindre efficacité des mesures antitabac, en particulier sur les plans de l’interdiction de la publicité et des avertissements sanitaires sur les emballages.
Les pays à revenu faible ou intermédiaire sont plus vulnérables aux interférences
Selon les auteurs de l’étude, la présence d’acteurs de l’industrie du tabac dans un pays favorise leur intégration dans les cercles de décision des organismes publics, notamment ceux liés au commerce, aux finances et aux exportations. Cette présence facilite par ailleurs le déploiement d’activité de responsabilité sociale des entreprises (RSE), qui profitent surtout aux industriels et ne rejaillissent que très peu sur le pays concerné. L’influence des industriels se vérifierait en particulier lorsque les exportations de tabac composent une part importante du total des exportations d’un pays, même si les retombées économiques locales du secteur du tabac sont finalement très maigres.
Les auteurs interpellent donc les états, notamment ceux des pays à revenu faible ou intermédiaire, et leur recommandent de considérer plus attentivement les investissements et l’implantation de filiales de l’industrie du tabac. La présence de celles-ci sur leur territoire peut en effet signifier une détérioration de la situation sanitaire et environnementale. Les auteurs suggèrent également que les pays exigent des multinationales du tabac qu’elles communiquent l’intégralité des filiales et des structures avec lesquelles elles officient. Ils invitent enfin les acteurs de la lutte antitabac à s’intéresser plus fortement à l’offre et pas seulement à la demande des produits du tabac.
Bien qu’ils aient tenté d’intégrer le maximum d’acteurs du tabac dans leur analyse, les auteurs reconnaissent avoir surtout pris en considération les exportations de tabac, au détriment des données de vente des produits du tabac. De nombreux acteurs, comme les distributeurs et les revendeurs de produits du tabac, ne sont ainsi pas pris en compte. Les auteurs admettent aussi qu’en se concentrant sur les multinationales du tabac, ils n’ont pas intégré les cigarettiers locaux et les monopoles d’état, qui interfèrent également dans les politiques antitabac.
Mots-clés : multinationales du tabac, interférences, politiques publiques, lobby
MF
[1] Rosemary Hiscock, Hala Alaouie, Britta K Matthes, John Mehegan, Michael J Bloomfield, Hosting the Tobacco Industry Supply Chain and Political Interference, Nicotine & Tobacco Research, 2023;, ntad178, https://doi.org/10.1093/ntr/ntad178
[2] Tobacco Supply Chain Database, STOP, octobre 2021.
[3] Assunta M, Global Tobacco Industry Interference Index 2021. Global Center for Good Governance in Tobacco Control (GGTC), novembre 2021, 72 p.
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