La Jordanie appelée à réformer ses politiques antitabac pour faire face à de nombreux défis
8 octobre 2025
Par: Comité national contre le tabagisme
Dernière mise à jour : 2 octobre 2025
Temps de lecture : 6 minutes
La Jordanie, où le tabagisme masculin atteint un des taux les plus élevés au monde (71,2 %), est confrontée à une crise sanitaire majeure mais aussi à de fortes répercussions financières. Les dépenses annuelles pour traiter les maladies liées au tabac sont estimées à 1,42 milliard de dinars jordaniens (1,4 million d’euros), dépassant largement les recettes fiscales d’environ 1 milliard (1,2 million d’euros). Si l’on inclut les pertes de productivité et les décès prématurés, le coût total pour l’économie atteint 1,6 milliard de dinars (1,9 million d’euros) par an. Ainsi, pour chaque dinar collecté par l’État grâce au tabac, l’économie nationale en perd 1,6. Contre cette crise fiscale et sanitaire majeure, des experts et des organismes nationaux et internationaux ont proposé des pistes de réformes soutenues par l’OMS[1].
Le tabagisme imprègne la société jordanienne
En Jordanie, la prévalence tabagique en 2022 était d’environ 36 % chez les adultes de 15 ans et plus, avec un taux de 57,8 % pour les hommes et 13,4 % pour les femmes[2], qui, si elles fument plus de tabac traditionnel qu’avant, sont davantage consommatrices de produits modernes moins stigmatisants pour elles, comme les cigarettes aromatisées ou la chicha.
Chez les jeunes lycéens de 16 à 18 ans à Amman, environ 27,6 % sont des fumeurs actifs, avec 43 % ayant déjà consommé du tabac dans l’année.
Cette situation résulte d’un processus de normalisation du tabagisme très abouti dans le pays. Ce dernier est considéré de longue date comme un élément culturel et il est ancré dans les habitudes sociales. Par ailleurs, outre les cigarettes, la consommation de narguilé (14 % de la population, dont plus de la moitié de femmes) est traditionnellement importante. Enfin, la mise sur le marché de nouveaux produits à la nicotine, notamment les cigarettes électroniques (7,2 % des fumeurs) compliquent encore la situation.
La législation du pays est insuffisante de même que les dispositifs de prise en charge des fumeurs. Ainsi, si les tentatives d’arrêt existent, avec 37 % des fumeurs qui déclarent avoir essayé d’arrêter dans l’année écoulée, l’accès à des services efficaces demeure insuffisant.
Selon un rapport récemment publié par STOP (Stopping Tobacco Organizations and Products), le marketing est fortement déployé par les fabricants auprès des jeunes. Les auteurs ont relevé combien la proximité immédiate des écoles reste saturée de produits du tabac et de la nicotine, dans des formats attrayants et aromatisés, parfois à hauteur des enfants et à côté de sucreries. De plus, un commerce sur cinq vend des cigarettes à l’unité, une pratique qui rend le tabac encore plus accessible financièrement aux jeunes.
En parallèle, la loi interdisant de fumer dans les lieux publics est peu respectée. Il s’ensuit que 80 % des adultes sont exposés au tabagisme passif, y compris dans des institutions publiques, éducatives et même de santé. De même, 70 % des employés de la municipalité du Grand Amman sont fumeurs, alors que cette institution est responsable d'initiatives telles que « Amman Healthy City » et de l'application du manuel d'inspection du tabac à destination des agents chargés de l'application de la loi, dont la plupart sont fumeurs.
Il en résulte une absence de contrôles et une faible application de la réglementation qui affaiblissent les politiques de prévention et conforte cette normalisation du tabac dans la société.
Vers une réforme des politiques fiscales et de santé
Les experts recommandent d’utiliser la fiscalité comme un outil de prévention susceptible d’accroître les recettes fiscales et d’en affecter une partie pour abonder un fonds dédié à la lutte contre le tabagisme.
Ainsi ce fonds national financerait des actions de prévention, des campagnes de sensibilisation, le renforcement des contrôles douaniers et l’élargissement des services de sevrage. Le respect strict de la loi, y compris au sein des institutions publiques et du Parlement, est également jugé essentiel pour restaurer la crédibilité des politiques antitabac.
Bien que la Jordanie ait été l'un des premiers pays de la région méditerranéenne orientale à ratifier la Convention-cadre de l'Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac (CCLAT) en 2004, son engagement à mettre en œuvre ses dispositions, en particulier l'article 5.3, qui vise à protéger les politiques de santé contre les intérêts de l'industrie du tabac, reste faible.
Des experts appellent ainsi à mettre en place des mécanismes de transparence afin de garantir que les décideurs soient pleinement protégés contre toute ingérence de l'industrie du tabac, conformément aux exigences de l'article 5.3 de la Convention-cadre pour la lutte antitabac. Les efforts déployés par la société civile et le Centre royal de cancérologie King Hussein pour surveiller cette ingérence participent directement de cet effort de réduire l’influence de l’industrie du tabac dans les politiques publiques du pays.
Les instances internationales en soutien aux objectifs antitabac de la Jordanie
Récemment, la Jordanie a publié la cinquième édition de l'Indice d'interférence de l'industrie du tabac à la Royal Society for Health Education, sous le haut patronage de la princesse Dina Mired[3]. Cette dernière a déclaré que le tabagisme représente une menace croissante pour la santé des enfants, des jeunes et des femmes, et a qualifié la lutte contre le tabagisme de responsabilité nationale et éthique.
Le ministre de la Santé, Ibrahim Bdour, a déclaré que le rapport 2023-2024 soutenait le sixième objectif de la Stratégie nationale de lutte antitabac 2024-2030, conformément aux directives du roi Abdallah II Ibn Al Hussein visant à protéger la santé publique et à limiter le tabagisme sous toutes ses formes. Il a également fait référence à la législation sur la santé publique n°47 de 2008 et ses amendements[4]. Le rapport, qui vise à sensibiliser et à fournir des outils pour contrer l'ingérence de l'industrie du tabac, a été réalisé en partenariat avec des organisations sanitaires nationales et internationales. Il montre une légère amélioration de la situation concernant la protection des politiques publiques à l’égard du lobby du secteur tabac. Cette progression demeure cependant modeste et résulte davantage de l’adoption d’un nouveau texte dans ce domaine.
Leslie Rae Ferat, présidente de l'Alliance mondiale contre le tabac, a salué les efforts de la Jordanie. Amal Eid Ireifij, directrice générale de la Royal Society for Health Education, a quant à elle souligné l'importance de la société civile et de la jeunesse pour résister à l'influence de l'industrie du tabac.
AD
[1]Mohammad Ersan, Tobacco sales in Jordan: short-term revenue gains and long-term losses (infographic), AmmanNet, publié le 30 septembre 2025, consulté le 1 octobre 2025
[2]The Tobacco Atlas, Jordan | Tobacco Atlas, consulté le 1 octobre 2025[3]Jordan News Agency, Jordan launches fifth tobacco industry interference index report, publié le 29 septembre 2025, consulté le 1 octobre 2025
[4]AmmanNet, Princess Dina Mired: Confronting the Smoking Epidemic is a National and Moral Responsibility That Cannot Be Postponed, publié le 29 septembre 2025, consulté le 1 octobre 2025