Huub Savelkouls, architecte du récit de la transformation de Philip Morris International
13 octobre 2025
Par: Comité national contre le tabagisme
Dernière mise à jour : 6 octobre 2025
Temps de lecture : 9 minutes
Huub Savelkouls, ancien cadre de Philip Morris International (PMI), est largement identifié comme l’architecte du discours de transition de l’entreprise vers un « monde sans fumée ». Employé chez PMI pendant 26 ans, il a orchestré des stratégies fiscales, de lobbying et de communication visant à présenter les produits à « risque potentiellement réduit » non pas comme une diversification, mais comme un remplacement « responsable » des cigarettes traditionnelles[1]. Son influence perdure aujourd’hui, puisqu’il continue d’intervenir comme consultant en politiques publiques et en matière de produits nicotinés.
Une carrière consacrée au lobbying
Huub Savelkouls rejoint Philip Morris International au début des années 1990, après une formation d’économiste. Il s’impose rapidement comme un acteur clé de l’entreprise sur les enjeux fiscaux et réglementaires. Ses premières missions consistent à élaborer des modèles économiques destinés à mesurer l’effet des hausses d’accises sur les ventes de tabac et les recettes fiscales. Présentés comme des outils techniques, ces calculs deviennent des instruments dans la stratégie de lobby déployée par PMI pour convaincre les gouvernements et orienter les politiques fiscales en faveur de l’industrie.
Sa carrière le conduit ensuite à la vice-présidence en charge des affaires fiscales et du commerce international. À ce poste, il défend l’instauration de systèmes de taxation différenciée selon le « niveau de risque » des produits, afin de rendre la fiscalité plus avantageuse pour les nouvelles formes de consommation de nicotine, notamment le tabac chauffé. Cette orientation s’inscrit dans une stratégie plus large visant à influencer la manière dont les décideurs perçoivent ces produits, en les inscrivant dans un registre de réduction des risques plutôt que dans celui du contrôle du tabac.
Son rôle ne se limite pas à la fiscalité. Nommé premier directeur du développement durable de PMI, il est chargé de concevoir un récit global de transformation de l’entreprise, associant la stratégie commerciale à des thèmes plus larges de responsabilité sociale et environnementale.
Ce repositionnement ouvre la voie à un retour de l’entreprise dans les débats publics et politiques, au niveau européen comme international. Sous couvert de durabilité, PMI intervient sur des sujets tels que la fiscalité différenciée des produits de nicotine ou la gestion environnementale des déchets de cigarettes. Ces prises de position valorisent les initiatives de l’industrie tout en contestant des mesures plus contraignantes, comme l’interdiction des filtres ou l’application stricte du principe pollueur-payeur. Ainsi, le parcours de Huub Savelkouls a contribué à repositionner PMI dans sa stratégie d’image et de développement.
Après un passage chez Deloitte, entreprise ayant des liens avec le cigarettier, Huub Savelkouls poursuit aujourd’hui son activité comme consultant indépendant, spécialisé dans trois domaines : le changement climatique et la transition énergétique, la politique fiscale du XXIe siècle, ainsi que les politiques de santé publique liées à la nicotine. C’est à ce titre qu’il a récemment pris part à la conférence New Approaches à New York, où il a réaffirmé sa conviction que les cigarettes pourraient disparaître si elles étaient remplacées par des alternatives présentées comme « moins nocives ». Selon lui, cela supposerait toutefois que les gouvernements « repensent leurs politiques du tabac et acceptent la vérité dérangeante qu’un monde sans nicotine n’est ni réaliste ni nécessairement souhaitable ». Il explique conseiller des organisations souhaitant promouvoir ce qu’il appelle une politique de la nicotine « plus rationnelle et plus humaine ». Cette prise de position illustre la continuité de son rôle de conseiller, désormais exercé en dehors de PMI, mais toujours centré sur la défense d’un modèle favorable à l’industrie de la nicotine.
Le récit de la « transition » : une stratégie apparente de rupture
En 2015, Huub Savelkouls prend la tête d’une nouvelle orientation stratégique pour PMI : repositionner les produits alternatifs, et en particulier le tabac chauffé, comme de véritables substituts aux cigarettes et non comme une simple diversification de l’offre. L’entreprise entend ainsi projeter l’image d’un acteur en « transformation », où l’abandon progressif du tabac combustible devient un pilier du discours institutionnel.
Cette « transition » est soigneusement mise en scène. PMI affirme se détourner des cigarettes classiques pour se concentrer sur des produits dits « à risques réduits », présentés comme des options destinées aux fumeurs qui ne souhaitent pas renoncer à la nicotine. Cette narration vise à convaincre décideurs et opinion publique que l’entreprise peut être un partenaire de santé publique plutôt qu’un secteur à encadrer strictement. Ce récit s’appuie sur la durabilité, placée au centre de la communication. En tant que directeur du développement durable, Savelkouls associe innovation, responsabilité sociale et engagement environnemental pour renforcer l’image d’une entreprise « responsable », tournée vers un avenir plus sain.
Dans la pratique, cette stratégie se traduit par une multiplication d’initiatives de communication et de messages à l’attention des parties prenantes, notamment les décideurs. Les nouveaux produits sont systématiquement présentés comme une évolution incontournable du marché, justifiant une adaptation des cadres réglementaires, que ce soit en matière de fiscalité, de publicité ou d’environnement. Le discours de la transition devient ainsi un levier de lobbying, destiné à obtenir un cadre plus favorable au déploiement des alternatives, tout en maintenant la vente massive de cigarettes traditionnelles.
Ce double mouvement – promouvoir une transformation d’un côté, continuer les activités historiques de l’autre – illustre la stratégie de reconquête conduite par Savelkouls. Elle vise à repositionner PMI comme unfabricant de produits à la nicotine, et un acteur apparemment en mutation radicale, susceptible d’être légitime à intervenir en matière de santé et de durabilité..
Le coût et l’ampleur du lobbying : révélations du « Philip Morris Files »
Les documents rendus publics dans le cadre des « Philip Morris Files » offrent un aperçu détaillé de l’ampleur des moyens déployés par PMI pour infléchir la réglementation européenne. Ils montrent qu’au moment de la révision de la directive sur les produits du tabac (TPD) en 2012 et 2013, l’entreprise a mobilisé au moins 161 personnes pour mener des activités de lobbying, combinant son propre personnel et des consultants externes. Ce chiffre contraste fortement avec les neuf lobbyistes officiellement déclarés par PMI au registre de transparence de l’Union européenne. Cette divergence illustre une sous-évaluation manifeste des ressources réellement consacrées à l’influence politique.
Sur le plan financier, les documents internes estiment les dépenses de lobbying de Philip Morris International pour l’année 2012 à un peu plus de 1,24 million d’euros, sur la base d’informations partielles ne couvrant pas l’ensemble de la période. Ce chiffre, déjà conséquent, demeure très largement inférieur à la réalité probable des moyens engagés. En comparaison, la marge bénéficiaire annuelle cumulée des quatre principaux groupes du tabac — dont PMI est le plus important — avoisine 80 milliards de dollars, et l’entreprise elle-même déclare avoir investi plus de 14 milliards de dollars dans la seule recherche et développement. Ces ordres de grandeur mettent en perspective l’ampleur potentielle des ressources mobilisables pour les activités d’influence, dont les montants officiellement déclarés ne reflètent qu’une fraction. Ces dépenses, qui couvrent salaires, honoraires de cabinets spécialisés et frais de représentation auprès des décideurs, confirment la position de PMI parmi les entreprises les plus actives et les mieux dotées en matière de lobbying à Bruxelles.
La ventilation des dépenses met également en évidence un investissement ciblé : les dix lobbyistes les plus coûteux absorbent une part importante du budget global. Huub Savelkouls figure au deuxième rang de ce classement, avec un montant estimé à 211 300 euros[2]. Ce positionnement traduit la place centrale qui lui a été accordée au sein de cette stratégie d’influence et confirme la place que lui accorde le cigarettier pour les sujets de fiscalité et de communication.
Ces pratiques interrogent la conformité de PMI avec les règles de transparence de l’Union européenne mais également les déclarations faites par le cigarettier en ce qui concerne ses obligations de transparence à l’égard du Code de la santé publique et de la HATVP. Le rapport souligne que l’entreprise a fourni des données incomplètes ou inexactes, ce qui réduit la capacité des institutions et des citoyens à mesurer l’influence réelle de l’industrie du tabac. L’écart entre les déclarations officielles et la réalité opérationnelle met en lumière les limites des mécanismes actuels de contrôle de l’activité de lobbying au niveau européen et plus globalement dans les pays.
Ces révélations illustrent de manière concrète la nécessité de contrôler les dispositions prises au titre de l’article 5.3 de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (CCLAT), qui impose aux États Parties de protéger leurs politiques de santé publique de l’ingérence de l’industrie du tabac. Le contraste entre les déclarations officielles et les pratiques réelles de lobbying met en évidence les contournements des textes en vigueur par cette industrie pour continuer à peser fortement sur les débats législatifs. Garantir une application rigoureuse de cet article, notamment par un contrôle accru et la possibilité d’investiguer sur les déclarations faites apparaît essentielle pour limiter l’influence de l’industrie dans les politiques de lutte antitabac.
De même l’application de règles de déontologie strictes de la part les décideurs publics dans leurs relations avec des représentants de l’industrie du tabac constitue un pendant de cette mesure.
AE
[1] Huub Savelkouls: the brain behind PMI's transformation narrative, TabakNee, publié le 30 septembre 2025, consulté le 3 octobre 2025
[2] Top 10 Most Expensive Lobbyists – The Philip Morris Files, Part 3, TabakNee, publié le 6 février 2014, consulté le 3 octobre 2025
Comité national contre le tabagisme |