Des ONG européennes dénoncent l’ingérence de certains États dans la réglementation des sachets de nicotine
4 juillet 2025
Par: Comité national contre le tabagisme
Dernière mise à jour : 3 juillet 2025
Temps de lecture : 6 minutes
Dans une tribune publiée dans Le Monde[1], l’Alliance contre le tabac et neuf organisations européennes, dont le Comité national contre le tabagisme, alertent sur le rôle joué par plusieurs États membres de l’Union européenne qui, sous l’influence de l’industrie du tabac, s’opposent aux interdictions nationales des sachets de nicotine. Ce blocage freine les efforts de réglementation alors que ces produits, hautement addictifs, ciblent de plus en plus les jeunes selon les associations.
À l’heure où les jeunes générations sont ciblées par ces produits addictifs, il est impératif que l’Union européenne réaffirme son ambition en matière de lutte contre le tabagisme. Comme le rappelle la tribune, « il est essentiel que les États membres privilégient l’intérêt public plutôt que l’intérêt financier de cette industrie mortifère ».
Une stratégie de conquête industrielle sous couvert d’innovation
L’essor des sachets de nicotine dans l’UE illustre la capacité d’adaptation permanente de l’industrie du tabac, qui cherche à maintenir sa profitabilité en renouvelant son offre et ses consommateurs. Présentés comme des produits innovants, sans tabac et à risque prétendument réduit, ces nouveaux dispositifs sont introduits sur le marché avec un positionnement marketing ambigu, à la frontière entre le bien-être, la performance et la santé. En réalité, ces produits sont hautement addictifs et spécifiquement conçus pour séduire de nouveaux publics, notamment les adolescents et les jeunes adultes.
L’innovation avancée par l’industrie n’est pas motivée par des objectifs de santé publique, mais par une logique commerciale. Ces produits ont pour objectif de permettre à ces entreprises de contourner les législations existantes en matière de produits du tabac en profitant de zones grises juridiques ou en pratiquant le fait accompli. En se positionnant sur un segment marketing « sans combustion » ou « sans tabac » et faisant fi de la réglementation relative à la nicotine, les fabricants s’affranchissent d’obligations réglementaires (comme les avertissements sanitaires graphiques, les interdictions de publicité ou de vente aux mineurs) et pénètrent plus facilement de nouveaux marchés.
Par ailleurs, en investissant massivement dans la recherche et le design de ces produits, les cigarettiers soignent leur image d’« entreprise responsable » et d’« acteur de la réduction des risques », alors même qu’ils refusent systématiquement de rendre publiques les données toxicologiques complètes de leurs produits. Ce double discours brouille les repères des consommateurs et fragilise la prévention, en particulier chez les jeunes qui perçoivent ces produits comme plus acceptables, voire inoffensifs.
La multiplication des saveurs, le conditionnement attractif et les campagnes sur les réseaux sociaux renforcent cette stratégie de conquête. Il s’agit de modalités marketing depuis longtemps mises en œuvre par cette industrie : séduire par le packaging et le goût, fidéliser par la dépendance à la nicotine. Ainsi les fabricants de tabac ne cherchent pas à faire sortir les fumeurs du tabac, mais à les maintenir dans la dépendance et à recruter de nouveaux consommateurs[2].
Une coalition d’États au service des industriels
Le mécanisme d’« avis circonstancié » prévu par la directive européenne 2015/1535 permet aux États membres de l’Union européenne de commenter ou de contester les projets de réglementation d’un autre État lorsqu’ils estiment que ceux-ci pourraient créer des obstacles à la libre circulation des biens. Un outil de transparence et de dialogue, que certains pays mobilisent aujourd’hui pour protéger les intérêts économiques de l’industrie du tabac au détriment de la santé publique.
À la suite de la notification par la France de son projet d’interdiction des produits oraux à base de nicotine (hors substituts thérapeutiques) en février 2025, six États membres ont émis des avis circonstanciés, parmi lesquels la Roumanie, la Grèce, l’Italie, la Suède et la République tchèque. Ces interventions ont pour effet de retarder de trois mois l’entrée en vigueur de la mesure, affaiblissant son impact immédiat. Des démarches similaires avaient déjà été observées lors des notifications espagnole, danoise et belge visant à réglementer ou interdire ces mêmes produits.
Ces oppositions convergentes ne sont pas fortuites. Elles émanent majoritairement de pays ayant accueilli ces dernières années des investissements massifs de la part des multinationales du tabac, notamment dans le domaine des nouveaux produits nicotinés. À titre d’exemple, Philip Morris International (PMI) a investi un milliard d’euros dans une usine de production à Bologne (Italie) et près de 700 millions d’euros en Grèce depuis 2017. British American Tobacco a, de son côté, ouvert un « centre d’innovation » à Trieste en 2023, pour un montant de 500 millions d’euros.
Une révision européenne bloquée en raison de l’existence de conflits d’intérêts
Alors que les produits du tabac et de la nicotine évoluent rapidement, les cadres réglementaires européens peinent à suivre le rythme de cette transformation. La révision des principales directives européennes encadrant la vente, la fiscalité et la publicité des produits du tabac et de la nicotine — dont la directive sur les produits du tabac (TPD) et la directive sur la taxation — est aujourd’hui dans l’impasse.
Cette situation est largement imputable à l’influence persistante de l’industrie du tabac dans les rouages institutionnels de l’Union européenne. Malgré les alertes répétées de la société civile et des acteurs de santé publique, plusieurs États membres opposent des résistances systématiques à l’ouverture de ces chantiers législatifs, ralentissant voire bloquant toute initiative ambitieuse de réglementation à l’échelle européenne. Les auteurs de cette tribune pointent ainsi combien une minorité d’Etats membres « au service » des fabricants de tabac parviennent à bloquer le processus démocratique et contrer l’intérêt général.
Ces blocages ont pour effet direct de maintenir un vide juridique préoccupant autour des nouveaux produits du tabac et de la nicotine, en particulier les sachets de nicotine. Ces produits, dont la consommation explose chez les jeunes, échappent en grande partie aux normes européennes actuelles. Faute de consensus politique, les textes restent inchangés, laissant les États membres seuls face à une industrie structurée, offensive et transnationale.
AE
[1] Tribune, Tabac : « Des Etats membres de l’UE utilisent leur influence politique pour défendre les intérêts de l’industrie », Le Monde, publié le 2 juillet 2025, consulté le jour-même
[2] Génération sans tabac, Décryptage - Sachets de nicotine : l’offensive marketing illégale de British American Tobacco en France, publié le 18 mars 2025, consulté le 2 juillet 2025
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