La collaboration juridique entre les pays favorise la mise en œuvre des mesures de la Convention-Cadre de l’OMS

20 juin 2024

Par: Comité national contre le tabagisme

Dernière mise à jour: 20 juin 2024

Temps de lecture: 8 minutes

La collaboration juridique entre les pays favorise la mise en œuvre des mesures de la Convention-Cadre de l’OMS

En décembre 2013, le McCabe Centre for Law & Cancer (McCabe Centre), basé à Melbourne, a signé un protocole d'accord avec le Secrétariat de la Convention-Cadre de l'OMS (CCLAT) pour servir de première plateforme de connaissances, axée sur les contentieux en justice. Le centre de connaissances, avec le soutien du gouvernement australien, visait à partager l'expérience de l'Australie dans la défense du pays à l’égard des recours engagés par l’industrie du tabac à l’encontre du paquet neutre en 2012 et à fournir un cadre de coopération juridique pour les autres pays[1].

Le Secrétariat de la Convention a établi jusqu'à présent neuf pôles de connaissances (au moins un dans chacune des régions de l'OMS). Ces centres de ressources ont pour mission d'analyser, de synthétiser et de diffuser aux Parties à la convention des connaissances et des informations sur les questions relevant de leur compétence en rapport avec la convention, et ce, conformément aux dispositions de l'article 22 consacré à la « coopération dans les domaines scientifique, technique et juridique et fourniture d'une expertise en la matière ».

Les plateformes mises en place concernent non seulement le contentieux juridique, mais aussi la surveillance de l’épidémie tabagique, le tabac sans fumée, les pipes à eau, la fiscalité, la coopération internationale, l’article 5.3 (promouvoir la bonne gouvernance et la cohérence des politiques de lutte antitabac, et empêcher l'industrie du tabac d'interférer dans les politiques de santé publique), les articles 17 et 18 consacrés à la culture du tabac et environnement et enfin l’article 12 (prévention et sensibilisation du public).

L’efficacité du centre de ressources dans la mise en place du paquet neutre à travers le monde

En 2012, l'Australie est devenue la première partie à la Convention-cadre de l'OMS à mettre en place un emballage neutre pour les produits du tabac. Elle a dû faire face à de nombreux recours juridiques à l’encontre de cette mesure au regard du droit national mais aussi international. Certains recours introduits ou soutenus par l'industrie du tabac contestaient la remise en cause du droit des marques et de la propriété intellectuelle mais aussi la conformité de la mesure à l’égard du droit du commerce, et de certains traités en matière d'investissement. Tous ces recours ont échoué y compris ceux engagés devant l'Organisation mondiale du commerce (OMC) qui a rejeté le dernier recours en juin 2020. De même aujourd'hui, tous les recours juridiques engagés dans d’autres pays que l’Australie pour introduire le paquet neutre ont été rejetés et 22 autres Parties ont ainsi rejoint l'Australie dans la mise en œuvre de cette mesure.

L'expérience de l'Australie a illustré un défi commun à l’ensemble des pays dans leurs efforts pour mettre en œuvre le traité de la CCLAT. Depuis son entrée en vigueur en 2005, les recours juridiques et la crainte de ces recours ont souvent été cités comme un obstacle à l’adoption de mesures. Depuis 2010, les Conférences successives des parties à la CCLAT (COP) ont mandaté des travaux sur la relation entre la convention-cadre de l’OMS et les accords sur le commerce et l'investissement. Les démarches déployées par l'industrie du tabac pour contrer et affaiblir les mesures de lutte antitabac.

Renforcement d'un réseau d'experts juridiques dans le domaine de la lutte antitabac

Par le biais de formations et d'ateliers, le Centre de connaissances sur les contentieux juridiques a travaillé avec plus de 100 Parties dans les six régions de l'OMS. Cela inclut 19 des 23 Parties qui ont adopté l'emballage neutre, ainsi que de nombreuses autres Parties dont les lois sur le paquet neutre sont en cours d'élaboration. Le programme international de formation juridique du centre de ressources a permis d'aider plus de 300 juristes et décideurs gouvernementaux de pays à revenu faible ou intermédiaire à lutter contre le tabagisme et d'autres facteurs de risque de maladies non transmissibles (MNT). Cette assistance a concerné les dispositions législatives susceptibles d’être contestées et l’approche se fait dans une optique transversale diversifiée incluant les dispositions pouvant relever du développement durable, du droit du commerce et des investissements ou encore les droits humains.

Ainsi le programme met en évidence la manière dont la mise en œuvre de la CCLAT s'inscrit dans les programmes de développement et de lutte contre les MNT, et notamment le fait que de nombreuses obligations découlant de la Convention constituent des interventions rentables pour lutter contre le tabagisme et, plus largement, les MNT.

Le centre de connaissances a ainsi pu mettre à disposition des participants des ressources et des experts clés (notamment en ce qui concerne les preuves scientifiques et les domaines spécialisés du droit). A cela se sont ajoutés la mise en relation de responsables et acteurs de différents pays travaillant sur des thématiques similaires. D’autres formes de soutien ont également été proposées dans le cadre de contentieux comme par exemple, le partage de réponses potentielles aux arguments juridiques et autres de l'industrie du tabac. La préparation des textes a également fait l’objet de coopération possible de même que les expériences des pays susceptibles d’être partagées avec d’autres. Ainsi au-delà de l'emballage neutre, le centre de ressources a aidé sept Parties à vaincre l'industrie du tabac devant les tribunaux. Les juristes du gouvernement du Kenya, par exemple, ont participé à un programme de formation avec un suivi de la part du Directeur régional du centre de ressources pour l'Afrique afin de défendre la réglementation kenyane sur le contrôle du tabac contestée devant les tribunaux par British American Tobacco (BAT). Le Kenya a gagné devant la Haute Cour, la Cour d'appel et la Cour suprême, cette dernière rejetant finalement l'intégralité des demandes de BAT. Les responsables kenyans qui avaient été formés et le directeur régional du Centre McCabe ont alors aidé des juristes du gouvernement de l'Ouganda, en s'inspirant de l'expérience du Kenya, afin de défendre avec succès la loi ougandaise sur la lutte antitabac contre une action en justice similaire de BAT Uganda. La Cour constitutionnelle ougandaise a estimé que l'action en justice de BAT s'inscrivait dans un schéma de l'industrie du tabac visant à « contrecarrer des politiques cadres efficaces dans le monde entier ».

Au Sri Lanka, les anciens participants aux programmes de formation ont défendu avec succès les avertissements sanitaires graphiques couvrant 80 % de la surface principale du paquet de cigarettes. La taille adoptée par le Sri Lanka à cette époque correspondait à l’exigence alors la plus stricte au monde en matière d'avertissements sanitaires graphiques.

La nécessité de collaborer sur la question des nouveaux produits du tabac et de la nicotine

Dans le rapport d'activité mondial 2023 sur la mise en œuvre de la Convention-cadre de l'OMS pour la lutte antitabac, les Parties ont évoqué la nécessité d'intensifier la formation et le renforcement des capacités dans le domaine de la lutte antitabac. Ces dernières années, de nouveaux défis sont apparus, tels que la pandémie de COVID-19 ou encore la prévalence croissante de produits nouveaux du tabac et de la nicotine qui ont donné lieu à de nouveaux recours en justice. Par exemple, l'industrie du tabac a intenté des actions en justice en Afrique du Sud suite à la décision du pays d’interdire la vente du tabac pendant les confinements. De même les Parties sont confrontées à des litiges concernant la réglementation des nouveaux produits. Pour répondre à ce besoin, le centre de connaissances prévoit davantage d'ateliers axés sur les questions régionales et les nouveaux produits du tabac et de la nicotine.

Tous ces recours induisent des coûts supplémentaires alors même que le financement de la lutte contre le tabagisme demeure insuffisant au regard des enjeux. De même la coopération internationale évoquée dans ce domaine comme pour les autres centres de ressources est entièrement financée par des fonds extrabudgétaires, qui sont par définition incertains sur le long terme.

©Génération Sans Tabac

AE


[1] Clare Slattery, Suzanne Zhou, Hayley Jones, 10 years of the WHO FCTC Knowledge Hub on Legal Challenges: how collaboration facilitates implementation of the WHO FCTC, Tobacco Control, https://doi.org/10.1136/tc-2024-058659

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