Aux Etats-Unis, certains médecins contribuent à la renormalisation de la nicotine
4 juillet 2023
Par: Comité national contre le tabagisme
Dernière mise à jour : 4 juillet 2023
Temps de lecture : 5 minutes
Alors que les ventes de sachets de nicotine connaissent une très forte croissance aux Etats-Unis, le médecin d’origine canadienne Peter Attia justifie leur usage en présentant la nicotine comme un stimulant intellectuel. Le Dr Andrew Huberman insiste également sur les bénéfices supposés de la nicotine, en occultant une grande partie de ses conséquences néfastes. Cette activité de renormalisation de la nicotine coïncide avec l’absorption par Philip Morris International de Swedish Match, leader sur le marché du snus et des sachets de nicotine.
Aux Etats-Unis, le Dr Peter Attia s’est fait un nom sur le thème de la longévité. Se destinant à l’origine à une carrière de boxeur, ce canadien s’est rapidement tourné vers la médecine et est devenu chirurgien aux Etats-Unis[1]. Il a notamment exercé durant deux ans pour le National Cancer Institute (NCI) au sein des National Institutes for Health (NIH), avant de rejoindre le cabinet McKinsey en tant que membre de la branche Corporate Risk Practice and Healthcare Practice.
Peter Attia a ensuite fondé sa propre société médicale et développé une méthode proposant d’augmenter la longévité et d’atteindre la « performance optimale ». Il a, entre autres, enregistré de multiples podcasts et tient un rôle central dans les six volets de la série documentaire Limitless, réalisée par Daron Aronofsky et produite par National Geographic et Disney+.
Promotion des produits de la nicotine
Dans une de ces séries de podcasts, le Dr Peter Attia présente les supposés bienfaits de la nicotine sur le fonctionnement du cerveau, avec des propos peu scientifiques : il s’appuie surtout sur son expérience personnelle, confie qu’il peut consommer de 4 à 8 mg de nicotine par jour sous forme de sachets de nicotine[2] (pouches) ou de losanges[3], et minimise le caractère addictif de ces produits. Il oublie également de signaler qu’en plus d’un réel risque d’addiction et du risque cardiovasculaire, l’effet psychostimulant de la nicotine n’est que passager, et qu’il est suivi d’une baisse de la concentration avec possiblement signes d’anxiété . Il présente par ailleurs les sachets de nicotine et les losanges comme des traitements nicotiniques de substitution (TNS), alors que ces produits sont de plus en plus souvent commercialisés sous forme « récréative » par des industriels du tabac[4] et qu’ils n’ont pas reçu cette indication de la part de la Food and Drug Administration (FDA).
Le Dr Andrew Huberman, neurobiologiste et ophtalmologue, a lui aussi produit différents podcasts où il tient un discours en apparence très scientifique, mais qui tend à insister sur les sensations positives associées à la nicotine et à la délivrance de dopamine, tout en passant très rapidement sur les conséquences déplaisantes et indésirables de dépendance. Comme Peter Attia, Andrew Huberman cherche à distinguer la nicotine et le tabac, attribuant des bienfaits à la première et réservant les méfaits au second, un discours devenu systématique de la part des industriels du tabac et de la nicotine non thérapeutique[5].
Convergences avec les discours des industriels
Le discours de ces deux médecins rejoint, d’une part, le nouveau positionnement des industriels du tabac, qui se veut à présent centré sur la santé et le bien-être. Il correspond, d’autre part, à l’intérêt grandissant de ces industriels pour les nouveaux produits de la nicotine, et au désintérêt des consommateurs d’outre-Atlantique pour le tabac fumé. Parmi ces nouveaux produits, les produits oraux prennent aux Etats-Unis une place majeure, aux côtés des différentes cigarettes électroniques. Sur le segment des sachets de nicotine, British American Tobacco (BAT) est très présent avec sa marque Velo. En rachetant fin 2022 la société Swedish Match, leader mondial sur ce marché avec sa marque Zyn, Philip Morris International (PMI) entre à son tour sur ce marché avec sa force de frappe logistique et promotionnelle[6].
Le passage du Dr Attia chez McKinsey, cabinet de conseil qui a secrètement officié durant des décennies pour les industriels du tabac, puis de la nicotine, a pu jouer un rôle. Les industriels du tabac se sont en effet depuis longtemps distingués par le recrutement de médecins et par la dissimulation des financements qui leur sont accordés. Qu’ils soient consommateurs ou « prescripteurs » de tabac ou de nicotine, les médecins permettent de cautionner le discours commercial des industriels et représentent des modèles d’identification très efficaces. Il est à supposer que les initiatives des Dr Peter Attia et Andrew Huberman ne soient pas complètement spontanées.
©Génération Sans TabacMF
[1] Peter Attia, Wikipedia (US), mis à jour le 1er juin 2023, consulté le 27 juin 2023.
[2] Sachets de nicotine qui se placent entre la gencive et la lèvre. A ne pas confondre avec les snus, des sachets de tabac qui s’emploient de la même manière.
[3] Pastilles de nicotine se dissolvant dans la bouche, sur le modèle de certains TNS.
[4] Borowiecki M, Emery SL, Kostygina G. New recreational nicotine lozenges, tablets, gummies and gum proliferate on the US market, Tobacco Control, Published Online First: 01 November 2022.
[5] Ahmed M, Navigating The Path To Safer Nicotine Consumption With Nicotine Pouches, Foundation for a Smoke-free World, publié le 14 juin 2023, consulté le 27 juin 2023.
[6] Rodrigues A, Why Are Zyn Nicotine Pouches Suddenly Everywhere?, GQ, publié le 22 juin 2023, consulté le 27 juin 2023.
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