Depuis les années 1990, le nombre d’acteurs de l’industrie du tabac s’est nettement réduit du fait de multiples rachats, conduisant à une concentration du secteur sur quelques opérateurs majeurs. En principe concurrentes, les multinationales du tabac multiplient pourtant les accords pour se partager certaines marques sur le marché international.
Le marché mondial des produits du tabac était estimé à 782 milliards de dollars US (719 milliards d’euros) en 2021[1]. Globalement en diminution depuis plusieurs décennies, les ventes de produits du tabac se sont stabilisées en 2020 et paraissent augmenter à nouveau, en valeur comme en volume, depuis 2021[2].
Le nombre d’acteurs sur ce marché s’est pour sa part sensiblement réduit en l’espace de quarante ans, pour se concentrer aujourd’hui principalement entre quelques multinationales.
Une tendance ancienne à la concentration
Ce phénomène de concentration s’est déroulé en plusieurs étapes. Il commence aux Etats-Unis dès les années 1880 lorsque, sous l’effet de la mécanisation des procédés de fabrication et de l’expansion du marché des cigarettes, des centaines de petits producteurs sont rapidement absorbés par cinq grandes entreprises qui, en 1889, contrôlent 90 % de ce marché. Elles fusionnent en 1890 pour former l’American Tobacco Company, présidée par James B. Duke, qui dominera le marché étatsunien et multipliera les acquisitions jusqu’en 1911, date où la loi antitrust du Sherman Act est appliquée à l’industrie du tabac pour endiguer la concentration de ce secteur[3].
Les acteurs industriels issus de ce démantèlement (Philip Morris, RJ Reynolds, Lorillard, American Tobacco…) ont perduré sur le marché étatsunien et se sont progressivement internationalisés au fil des décennies, comme ceux de certains autres pays (Imperial au Royaume-Uni, Japan Tobacco au Japon). Ils ont aussi diversifié leur activité en investissant dans d’autres secteurs (boissons, agroalimentaire, loisirs, vêtements…) et en procédant généralement par des rachats d’entreprises.
Le phénomène de concentration ne se cantonne pas aux Etats-Unis, puisque c’est en 1901 qu’apparaît au Royaume-Uni Imperial Tobacco, lorsque plusieurs compagnies de tabac britanniques fusionnèrent pour faire face à la concurrence étatsunienne. Cette compétition n’empêche toutefois pas les partenariats, puisque dès 1902, Imperial Tobacco et American Tobacco cofondent British American Tobacco (BAT), en prenant soin de se répartir les marchés et de limiter la concurrence[4].
Libre-échange et rachats en série
Au cours des années 1980, ces quelques entreprises transnationales commencent à s’immiscer dans des marchés qui leur échappaient jusqu’ici. Avec la chute de l’URSS et la libéralisation des économies des pays d’Europe de l’Est, ces marchés s’ouvrent aux investisseurs étrangers et les marques occidentales de tabac se sont progressivement introduites dans ces pays. L’implantation sur le marché japonais, au cours des années 1980 et 1990, est elle-même un cas d’école : elle s’est d’abord appuyée sur une stratégie concertée des cigarettiers pour pousser le gouvernement à ouvrir le marché japonais (1982-1987), avant de s’imposer sur ce marché en quelques années (1985-1966) en faisant jouer la carte publicitaire et promotionnelle (placement de produits dans les films, etc.)[5]. La Chine, dont le monopole fut longtemps gardé intact, a dû concéder une timide ouverture de son marché du tabac après avoir adhéré à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en 2001[6].
Durant les années 1990 et 2000, les multinationales du tabac seront parmi les premières entreprises à mobiliser les accords de libre-échange pour s’implanter sur de nouveaux marchés. Leur ancrage dans de nouveaux pays s’est souvent réalisé en rachetant des marques locales de cigarettes et en les dotant de la puissance de communication de leur nouvelle maison-mère[7]. Les rachats de marques et d’entreprises se sont notamment accélérés entre 1998 – suite à l’accord (Master Settlement Agreement/MSA) conclu entre la justice étatsunienne et quatre majors du tabac – et la fin des années 2000. Trois de ces quatre majors (Philip Morris, RJ Reynolds, Brown & Williamson) décident alors de séparer leurs activités nationales et internationales afin de soustraire ces dernières à la justice étatsunienne, notamment en matière de secret des affaires. Une disposition du MSA contraint en effet les industriels du tabac à publier en ligne leurs documents internes en cas de condamnation.
Les décennies 1990 et 2000 auront aussi été marquées par la privatisation de nombreux monopoles d’Etat encore existants, la plupart du temps au profit des multinationales du tabac. C’est le cas, par exemple, de la SEITA en 1995, suivie de sa fusion en 1999 avec le monopole espagnol Tabacalera, lui aussi privatisé, pour devenir Altadis, et être finalement acheté par le groupe britannique Imperial Tobacco en 2008, qui avait déjà, en 2002, acquis le groupe allemand Reemtsma.
Les consolidations se sont néanmoins poursuivies au cours des années 2000 et 2010. JTI a acquis le groupe britannique Gallaher en 2007 et la marque Natural American Spirit en 2015 (hors États-Unis). Après avoir acheté Rothmans en 1999, British American Tobacco achète en 2015 le cigarettier brésilien Souza Cruz et en 2017 le reste des parts de R.J. Reynolds que la compagnie britannique ne détenait pas encore, pour la somme de 49,4 milliards de dollars, faisant ainsi son retour sur le sol américain. R.J. Reynolds ayant acquis en 2014 Lorillard pour 25 milliards de dollars, celle-ci tombe aussi dans le giron de BAT. À noter que cette dernière acquisition n’a pu se réaliser qu’à la condition que Lorillard vende ses marques de cigarettes Winston, Salem et Kool, qui ont été achetées par Imperial Tobacco, devenue depuis Imperial Brands.
Une théorie a supposé que l’effet de concentration du secteur du tabac aurait été renforcé depuis 2001, essentiellement dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, par les restrictions imposées à la publicité sur le tabac, qui desservirait les petits fabricants et les mettraient à la merci des multinationales[8]. Cette théorie néglige cependant que l’usage massif de la publicité a généralement constitué l’une des principales sources de développement de l’industrie du tabac sur la plupart de ses nouveaux marchés. La crise financière de 2008 a quant à elle mis en évidence que la dynamique de l’industrie du tabac peut s’affranchir de la croissance économique globale : alors que la plupart des entreprises voyaient leur activité se réduire, les multinationales du tabac augmentaient leur valeur en bourse[9].
Comme dans d’autres secteurs, les profits engrangés et la valorisation boursière sont les principales préoccupations des multinationales du tabac, en vue de rassurer leurs investisseurs et d’en attirer de nouveaux. Sous l’effet des politiques de santé publique, la diminution de la consommation globale de tabac a fragilisé ce secteur, conduisant les industriels du tabac à miser sur les produits à forte croissance, ainsi que sur les rachats d’entreprises concurrentes. La concentration du secteur du tabac s’explique donc aussi par le souci d’attirer l’attention des actionnaires par une croissance du chiffre d’affaires. L’acquisition d’entreprises permet en effet aux majors de réaliser leurs objectifs de croissance, malgré un ralentissement de la vente de cigarettes : par des augmentations de productivité réalisées à l’aide d’économies d’échelle que de telles acquisitions ou fusions apportent, par l’agrandissement cumulatif des marchés, et enfin par le simple mécanisme de la croissance externe, le chiffre d’affaires des compagnies acquises s’ajoutant à celui de l’acquéreur.
Cette focalisation sur la valeur des groupes se traduit par un certain pragmatisme économique, où l’intérêt commercial prime sur toute autre considération, qu’il s’agisse d’éthique, de politique ou de partenariats déjà engagés. Après avoir racheté General Foods en 1985 et Kraft Foods en 1988, puis fusionné ces deux entreprises en 1990, Philip Morris s’est ainsi séparé sans états d’âme de ce groupe en 2007. De son côté, RJ Reynolds a fusionné avec le groupe Nabisco en 1985 avant de s’en séparer en 1999 et de le revendre en 2000 à Philip Morris, qui l’a fusionné avec Kraft Foods.
Nouveaux produits, nouvelles acquisitions
De 2010 à aujourd’hui, la politique de rachats d’entreprise par les cigarettiers s’est poursuivie[10] et s’est étendue à d’autres secteurs d’activité, en particulier ceux de la santé et du cannabis/CBD[11]. Face à l’effritement progressif du marché des produits du tabac, les industriels ont manifesté une volonté de diversification de leur activité en investissant massivement dans d’autres secteurs. Mis à l’écart des instances internationales du fait de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte anti-tabac (CCLAT), ils profitent également de cette diversification pour tenter de réhabiliter leur image et être à nouveau intégré dans les processus de décision politique. Cette stratégie leur sert également à réaffirmer la présence sur les marchés de leurs produits combustibles, qui continuent de constituer leur principale source de revenus.
Cette tendance s’est d’abord exprimée par le rachat des opérateurs, encore naissants, de cigarettes électroniques. Altria s’est ainsi offert à grands frais, en 2018, un tiers des actions de Juul Labs, avant de les revendre à perte en 2022 au fil des poursuites judiciaires publiques intentées contre Juul.
D’autres produits du tabac et de la nicotine ont également été inclus dans cette politique de diversification. Les snus (sachets de tabac) ont ainsi été introduits dès les années 1990 sur le marché étatsunien par Altria, sous la marque Skoal Bandit. Le segment du tabac oral, qui fut longtemps très localisé sur la Suède, la Norvège et les Etats-Unis, a connu un rebond dans les années 2010 avec l’apparition des « pouches » (sachets de nicotine ressemblant au snus et souvent confondu avec lui). Sur ce marché dominé par Swedish Match, BAT s’est progressivement imposé en lançant en 2018 les marques Lyft, puis Velo. Philip Morris International (PMI) n’est venu que tardivement sur ce marché, en rachetant en 2022 Swedish Match, le leader mondial du snus. Les gommes (gummies) et les losanges à la nicotine, déjà en circulation aux Etats-Unis, comptent parmi les prochains produits qui devraient être diffusés en Europe.
Cette course à l’innovation donne lieu à une surenchère en matière de dépôts de brevets, qui s’accompagne de nombreux litiges demandant l’annulation des brevets du concurrent[12]. BAT a ainsi poursuivi PMI sur les mini-cigarettes de tabac chauffé, tandis que Reynolds a attaqué PMI et Altria pour copie des cigarettes électroniques Vuse. Les produits oraux de la nicotine donnent également lieu à des batailles juridiques.
Un secteur concentré sur une poignée d’opérateurs
Le phénomène de concentration de l’industrie du tabac est donc ancien et se perpétue encore de nos jours. Le marché des cigarettes étant parvenu à maturité dans la plupart des pays à revenu élevé, les possibilités de croissance se sont depuis longtemps réduites à l’acquisition d’entreprises concurrentes. C’est notamment ce qui a conduit Japan Tobaco Inc. (JTI) à acquérir Gallaher en 2007, tandis que Imperial Brands rachetait Altadis l’année suivante.
Dans les pays où cette industrie est fortement régulée, les conditions d’entrée sur le marché sont cependant si contraignantes, notamment du fait de la très forte fidélité des clients aux marques établies, qu’elles empêchent l’apparition de nouveaux entrants[13]. La réduction des possibilités de concurrence par acquisition a ainsi contribué à orienter l’attitude offensive des majors du tabac vers d’autres secteurs d’activité.
Depuis 2000, sept compagnies transnationales dominent et se partagent le marché du tabac : PMI, Altria, BAT, JTI, Imperial Brands et ITC Ltd., auxquelles s’est plus récemment invitée la China National Tobacco Corporation (CNTC), qui n’a que tardivement débordé du marché chinois. Le classement de ces compagnies peut cependant différer selon les critères de recherche : il est différent selon qu’on prend en compte les volumes de tabac produits ou vendus, le chiffre d’affaires, la capitalisation boursière ou la part de marché.
En termes de volumes de vente, le classement obtenu fait figurer la CNTC en première position. Bien qu’essentiellement centrée sur le marché chinois, la CNTC représente près de la moitié des ventes de cigarettes dans le monde. En rapide évolution, la CNTC se développe agressivement à l’étranger depuis 2019 et la création de sa filiale China Tobacco International (CTI)[14]. PMI, qui a longtemps dominé le marché international, s’est vu dépassé par BAT en 2021 en termes de volumes de vente.
Les 10 premières entreprises du tabac dans le monde par ventes, en 2021
- China National Tobacco Corporation
- British American Tobacco p.l.c. (BAT) Ltd. / Reynolds American Inc.
- Philip Morris International Inc.
- Japan Tobacco Inc.
- Imperial Brands PLC
- Altria Group Inc.
- PT Suryaduta Investama (Indonésie)
- ITC Limited
- Eastern Co SAE (Egypte)
- Vietnam National Tobacco Corp (Vietnam)
Source : Global Data, Top 10 Tobacco Companies in the World in 2021 by Sales.
Ce classement est légèrement différent lorsqu’on prend en compte le chiffre d’affaires. La CNTC, compagnie d’état dont les comptes ne sont pas publiés, n’apparaît pas dans ce classement. BAT se pose alors en première position, devant PMI, Altria et JTI. Les produits « non combustibles » de PMI étant surtout constitué du tabac chauffé IQOS, on mesure combien la commercialisation de ce type de dispositif peut s’avérer rentable.
Résultats financiers des entreprises du tabac par chiffre d’affaires, 2021
En millions de dollars US. Chiffres sur 12 mois en date du 31 décembre 2021, à l’exception de Imperial Brands (12 mois en date du 30 septembre 2021).
Source: Company annual and quarterly reports, Tobacco Company Reports For Full Year 2021 Demonstrate Inconsistent Progress, Foundation for a Smoke-free World, publié le 13 avril 2022, consulté le 20 avril 2023.
* Exclut la participation de 35% dans Juul.
**N’inclut pas les produits non-combustibles de JTI commercialisés hors du marché japonais.
Un troisième classement peut également être réalisé en prenant en compte la capitalisation boursière. Ce classement ne comprend pas non plus la CNTC, qui n’est pas cotée en bourse. Il fait alors apparaître PMI en première position, loin devant ses concurrents et suivi de son partenaire historique Altria. Un net écart sépare les six premiers opérateurs des autres entreprises du secteur. La moindre capitalisation boursière de Imperial Brands la place en situation de faiblesse vis-à-vis de ses concurrents, qui pourraient être tentés de l’absorber pour relancer leur croissance[15].
Classement des entreprises du tabac par capitalisation boursière
* en milliards de dollars US (sauf #18 et #19, en millions de dollars US), chiffres au 14/04/23. Source : Companies Market Cap, Largest tobacco companies market cap.
Enfin, lorsqu’on examine les parts de marché détenues, la CNTC réapparaît en position de leader (45,3 % du marché mondial), les multinationales du tabac se partageant la majeure partie restante (36,6 %)[16]. A elles seules, les six premières entreprises mondiales du tabac se partagent ainsi près de 82 % du marché.
Part du marché mondial en pourcentage estimé, 2018 (%)
*Altria est, aux Etats-Unis, la branche séparée de Philip Morris.
Source: IBISWorld Pty Ltd
Accords entre cigarettiers
Bien que la concurrence loyale soit en principe de mise pour toute activité commerciale, le secteur du tabac se distingue par une forte tendance à l’entente et à la collaboration entre les principaux acteurs. Ces pratiques permettent non seulement de maintenir des prix de vente alignés entre les différentes marques, mais aussi de partager les parts de marché selon les pays, et ainsi limiter l’effet de concurrence. Cette concertation entre industriels favorise également une action coordonnée pour contrer les différentes mesures de santé publique (paquet neutre standardisé, interdiction des arômes, etc.) qui nuisent à leurs intérêts[17].
Les poursuites judiciaires auxquelles ont été confrontées les compagnies de tabac aux États-Unis, dans les années 1990, avec l’obligation de fournir à la justice leurs documents internes, ont produit, temporairement, un effet de redistribution des marchés entre les majors qui opéraient aux États-Unis. Ces poursuites se sont conclues en 1998 par l’accord-cadre de règlement dans le secteur du tabac (Tobacco Master Settlement Agreement) entre quatre majors étatsuniennes, Philip Morris, R.J. Reynolds, Brown & Williamsons (filiale de BAT), et Lorillard, et 46 États américains, avec le versement par les compagnies de tabac d’une compensation de 206 milliards de dollars.
Probablement dans le but de mettre leurs activités à l’étranger hors de la portée de la justice américaine, les compagnies impliquées se sont divisées en deux et ont coupés les liens qui les liaient à leurs filiales ou maison-mère non-américaines. R.J. Reynolds a ainsi vendu sa filiale internationale, R.J. Reynold International à Japan Tobacco en 1999, qui l’a renommée Japan Tobacco International. En 2004, la société britannique British American Tobacco s’est, quant à elle, séparée de sa filiale étatsunienne Brown & Williamson en organisant sa fusion avec R.J. Reynolds.
Philip Morris Companies Inc., la maison mère du groupe Philip Morris, a changé son nom pour devenir Altria en 2003. Elle a ensuite vendu sa participation dans sa filiale alimentaire, Kraft Foods, en 2007, pour enfin se séparer de sa filiale internationale, Philip Morris International, qui est devenue en 2008 une compagnie à part entière, dont le siège social reste aux États-Unis, alors que son siège opérationnel est à Lausanne, en Suisse. Cette séparation a notamment permis de répartir les marchés des cigarettes Marlboro, la marque la plus vendue dans le monde, ainsi que ceux d’autres marques communes aux deux groupes (L&M, Chesterfield, Merit).
À la suite de ces grandes manœuvres, les compagnies de tabac ayant des activités sur sol étatsunien n’avaient plus d’activité hors des États-Unis : une « barrière anti-feu » les séparait de leurs ex-filiales étrangères.
Altria et PMI ont envisagé de fusionner à nouveau en 2019 en vue du lancement aux Etats-Unis de la marque de tabac chauffé IQOS, mais ce projet de rapprochement n’a finalement pas été mené à terme pour ne pas nuire aux intérêts de PMI[18]. Bien que partenaires, ces deux groupes se trouvent parfois en concurrence sur certains marchés, comme celui du tabac chauffé : après avoir revendu à PMI ses droits sur IQOS, Altria a noué un partenariat avec JTI pour commercialiser aux Etats-Unis le dispositif Ploom, concurrents direct de IQOS[19].
Les partenariats peuvent parfois concerner une partie de l’activité. Partenaires dans la Société nationale des tabacs et allumettes du Mali (Sonotam), Imperial Brands assure le financement de ce groupe tandis que BAT gère la production locale et diffuse ensuite les produits sur toute la région Afrique[20].
Le tableau ci-dessous présente les principales entreprises du tabac et leur portefeuille de marques pour les produits du tabac et de la nicotine. Les marques surlignées permettent de repérer certains des partenariats noués entre majors du tabac. Ce tableau est cependant loin d’être exhaustif et ne reprend que les marques mentionnées sur leur site par les opérateurs, qui possèdent des portefeuilles bien plus amples : PMI possède ainsi 130 marques de différents produits, JTI affiche 100 marques, tandis que la CNTC en compterait pas moins de 900. Il est intéressant de noter que les marques de cigarettes classiques affichées fin décembre 2022 sur le site de PMI aient – à l’exception de rares mentions[21] – quasiment disparu de ce site en avril 2023, PMI n’évoquant aujourd’hui qu’à peine cette activité alors qu’elle constitue encore 70 % de son chiffre d’affaires.
Produits du tabac et de la nicotine, répartition par opérateurs et par marchés
Ce tableau permet notamment de constater que les partenariats entre majors se réalisent plutôt sur les différents segments de cigarettes classiques, tandis que les segments des cigarettes électroniques, du tabac chauffé et des produits oraux suggèrent davantage une mise en concurrence. Altria montre cependant, par des partenariats noués d’une part avec PMI et d’autre part avec JTI, que des ententes sont aussi possibles sur de nouveaux marchés, comme celui en principe très concurrentiel du tabac chauffé.
Actuellement en pleine mutation, le marché des produits du tabac et de la nicotine devrait encore connaître des évolutions. Bien que certaines multinationales du tabac, en particulier PMI et BAT, prétendent se détourner des cigarettes combustibles classiques et promettent “un monde sans fumée”, l’analyse de leurs rapports annuels montre que ces cigarettes classiques représentent encore l’essentiel de leurs ventes. Cet écart entre le discours affiché et les pratiques réelles se vérifie également sur le plan de la concurrence. Cette dernière est dans bien des cas faussée par des ententes et des partenariats que favorise la concentration du secteur. La régression prévisible du marché des cigarettes classiques devrait cependant accentuer encore la concentration de cette industrie entre quelques entreprises.
Mots-clés : concentration, concurrence, entente, multinationales, majors du tabac
MF
[1] Tobacco Products Market Worth $907.66Bn, Globally, by 2028 at 2.2% CAGR – Exclusive Report by The Insight Partners, Bloomberg, publié le 4 avril 2022, consulté le 3 avril 2023.
[2] World Tobacco Market, Euromonitor, juillet 2022.
[3] Armentano D, Antitrust History: The American Tobacco Case of 1911, FEE, publié le 1er mars 1971.
[4] Imperial Brands, Wikipédia, mis à jour le 18 février 2023.
[5] Lambert A, Sargent JD, Glantz SA, Ling PM, How Philip Morris unlocked the Japanese cigarette market: lessons for global tobacco control, Tob Control 2004;13:379-387.
[6] Zhong F, Yano E. British American Tobacco’s tactics during China’s accession to the World Trade Organization. Tob Control. 2007 Apr;16(2):133-7.
[7] Rajani NB, Hoelscher J, Laverty AA, Filippidis FT. A multi-country analysis of transnational tobacco companies’ market share. Tob Induc Dis. 2023;21(January):3. doi:10.18332/tid/157090.
[8] Mirza M. Advertising Restrictions and Market Concentration in the Cigarette Industry: A Cross-Country Analysis. Int J Environ Res Public Health. 2019, 16, 3364.
[9] He P, Yano E. Tobacco companies are booming despite an economic depression. Tob Induc Dis. 2009 Jun 15;5(1):9. doi: 10.1186/1617-9625-5-9.
[10] Vuković B, Mijić K Spahić N, Concentration of tobacco market: evidence from serbia. Economics of Agriculture 2/2015. UDC: 663.97:346.543(497.11)
[11] Dewhirst T, ‘Beyond nicotine’ marketing strategies: Big Tobacco diversification into the vaping and cannabis product sectors, Tob Control 2023;32:402-404.
[12] Nouveaux produits : entre course à l’innovation et guerre des brevets, Génération sans tabac, publié le 31 mars 2022.
[13] Holden, C., & Lee, K. (2009). Corporate Power and Social Policy: The Political Economy of the Transnational Tobacco Companies. Global Social Policy, 9(3), 328–354
[14] China Tobacco, le nouveau géant du tabac, Génération sans tabac, publié le 30 juin 2021.
[15] Bialous, SA & Peeters, S 2012, A brief overview of the tobacco industry in the last 20 years, Tobacco Control,vol. 21, no. 2, pp. 92-94.
[16] Freeman, B, Winstanley, M, Bayly, M. 10.2 The global tobacco manufacturing industry. In Scollo, MM and Winstanley, MH [editors]. Tobacco in Australia: Facts and issues. Melbourne: Cancer Council Victoria; 2019
[17] Malone RE. The tobacco industry, 2020: a snapshot. Tob Control. 2020 Dec;29(e1):e1-e3. doi: 10.1136/tobaccocontrol-2020-056358.
[18] Cougard M-J, Tabac : Altria et Philip Morris International renoncent à se marier à nouveau, Les Echos, publié le 25 septembre 2019, consulté le 21 avril 2023.
[19] États-Unis : les fabricants cherchent à se partager le marché du tabac chauffé, Génération sans tabac, publié le 16 novembre 2022, consulté le 21 avril 2023.
[20] Mali : accord stratégique, Le Monde du Tabac, publié le 12 septembre 2017, consulté le 21 avril 2023.
[21] Building leading brands, PMI, consulté le 21 avril 2023.