Mois sans tabac : utilisation du marketing social dans la lutte antitabac

En octobre 2016 a été lancée la première édition de Mois sans tabac, une campagne qui invite les fumeurs français à relever le défi d’arrêter de fumer pendant tout le mois de novembre. Cette campagne s’inspire de la campagne britannique Stoptober et utilise une nouvelle approche en France pour promouvoir le sevrage tabagique : le marketing social (technique incitant au changement de comportement). Les premiers éléments d’évaluation de la campagne suggèrent que Mois sans tabac a un impact positif sur les tentatives d’arrêt des fumeurs et que ces derniers sont plus enclins à recourir à une aide extérieure pour arrêter.

Qu’est-ce que le marketing social ?

Le marketing social est conçu pour créer un changement social, et contrairement au marketing traditionnel, ne bénéficie pas uniquement à une marque. Il sensibilise à un problème ou à une cause donnée et vise à convaincre un public de changer ses comportements au bénéfice de leur bien-être et de celui de la collectivité (Philip Kotler et Gerald Zaltman, 1971). Il se révèle particulièrement adapté pour déployer des programmes de prévention sur des problématiques de santé.

Le marketing social utilise des stratégies axées sur le consommateur et cherche à cerner au mieux le profil de chaque public cible (besoins, attentes, perceptions, réticences, milieu de vie, etc.) afin de comprendre ses besoins et lui fournir ainsi le soutien nécessaire pour changer de comportement.

Le produit, son placement/positionnement, le prix et la promotion représentent les éléments fondamentaux des interventions en marketing (les « 4P ») mais dans le domaine du marketing social, on parle des « 5C » (comportement, communication, coût, capacité d’accès et collaborateurs)

 

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Dans le cadre de Mois sans tabac :

Comportement : Le comportement que Mois sans tabac cherche à promouvoir est la tentative d’arrêt du tabac d’au moins 30 jours, au mois de novembre ;

Communication : l’utilisation des nombreux canaux pour la diffusion de la campagne (site internet, application, spot TV, affiches, etc.) et la conception de messages pertinents et adaptés aux cibles ;

Coût : Qui dans le contexte du marketing social est le frein ou la barrière à l’adoption du comportement recherché. Il faut donc minimiser les coûts d’adoption. Dans le cadre de Mois sans tabac, avoir une durée d’arrêt définie à 30 jours fait que le sevrage parait plus acceptable et accessible financièrement.

Capacité d’accès : Rendre accessibles les différents outils pour le fumeur (ici par le nombre important de partenaires et de canaux de diffusion) ; Les aides mises à disposition du fumeur sont gratuites (ou à très faible coût pour la ligne d’arrêt) et insistent sur les bénéfices à arrêter de fumer pour le fumeur ;

Collaborateurs : les nombreux partenaires comme les agences régionales de santé, les professionnels de santé, L’Assurance Maladie, les réseaux de structures ambassadrices présentes dans chaque région, etc.

Qu’est-ce que Mois sans tabac ?

La campagne Mois sans tabac, lancée par Santé publique France (SPF), s’intègre dans le premier programme national de réduction du tabagisme (PNRT)- devenu Programme national de lutte contre le tabac (PNLT) en 2018 – proposé par le gouvernement français pour réduire la consommation de tabac en France.  Ce dispositif s’inscrit dans le cadre d’une stratégie d’ensemble visant à prévenir l’entrée dans le tabagisme, aider les fumeurs à arrêter et inclure la dimension économique d’épidémie industrielle du tabagisme.

L’objectif de Mois sans tabac est d’inciter les fumeurs à arrêter de fumer pendant 30 jours. En effet, les études soulignent que les symptômes de sevrage liés à l’arrêt du tabac diminuent considérablement au cours de cette période, ce qui conduit à cinq fois plus de chances d’arrêter définitivement de fumer[1]. La campagne cible plus particulièrement les fumeurs âgés de 18 à 64 ans, car il s’agit de la sous-population dont la prévalence du tabagisme est la plus élevée en France. De même le programme s’adresse plus spécialement aux fumeurs à faible statut socio-économique, car les inégalités sociales de santé liées au tabagisme sont particulièrement présentes dans le pays.

Mois sans tabac est organisé en trois temps :

  • Octobre est le temps principal de la communication autour du dispositif. L’objectif pendant cette période est de recruter aussi bien les fumeurs qui participeront au défi que les partenaires qui les soutiendront. Cette phase de préparation avant le sevrage permet également aux fumeurs de s’informer, de définir leur profil, de tester leur dépendance et de choisir leur stratégie d’arrêt.
  • Novembre est le mois de l’arrêt proprement dit. Il est également le temps des actions de proximité, individuelles et collectives, pour accompagner et soutenir la motivation des fumeurs engagés et ex-fumeurs.
  • Décembre vient conclure le dispositif. Si le défi est officiellement terminé, Santé publique France s’attache à encourager les participants à poursuivre leur sevrage, à continuer à utiliser les outils Tabac info service qui restent disponibles toute l’année.

L’intérêt du marketing social dans la lutte contre le tabagisme

En France, en 2020, plus de 3 personnes de 18-75 ans sur 10 ont déclaré fumer (31,8%) et un quart d’entre elles ont déclaré fumer quotidiennement (25,5%)[2]. La consommation de tabac est à l’origine de 75 000 décès chaque année dans le pays, faisant ainsi du tabac la première cause de mortalité prématurée évitable. Environ 60% des fumeurs souhaitent arrêter de fumer mais une minorité seulement y parvient sans aide extérieure. Il est donc primordial de leur proposer des aides à l’arrêt efficaces et éprouvées, notamment l’accompagnement par un professionnel de santé qui augmente de manière conséquente les chances d’arrêt.

Le marketing social part du postulat que les gens viennent de milieux différents et ont des idées et croyances différentes à des moments différents dans leur vie. Ils ne réagissent pas de la même manière face aux informations et ne se comportent pas tous de la même manière face à un enjeu social. Majoritairement, les efforts de lutte contre le tabagisme alertent sur les risques de l’usage du tabac et rappellent continuellement aux individus de ne pas commencer à fumer, d’arrêter de fumer et de ne pas recommencer à fumer. Cela passe par la mise en place de mesures éprouvées (hausse des taxes, interdiction de fumer…) et par des campagnes de prévention (Fumer tue, fumer provoque le cancer …).

Ces campagnes d’information ont cependant leurs limites, il est possible que l’individu ne se sente pas directement concerné, mettent les messages à distance ou que ces derniers passent inaperçus.  Même si un individu est conscient des risques sanitaires de certaines de ses actions (alcool, tabagisme, malbouffe) il ne va pas nécessairement modifier son comportement. Par exemple, parmi les fumeurs, certains minimisent les risques pour eux (je ne fume pas beaucoup), ne se sentent pas concernés (je suis jeune, j’arrêterai plus tard), d’autres peuvent comprendre les risques sans s’en soucier (il faut bien mourir de quelque chose), d’autres encore souhaitent arrêter mais n’y parviennent pas (besoin d’aide extérieure)[3]. Une campagne de marketing social souligne l’importance des facteurs sociaux et psychologiques et considère toutes ces croyances (et leurs actions connexes) comme faisant partie d’un continuum et elle adapte les stratégies en conséquence.

Plutôt que de se concentrer sur la seule information sur les risques du tabagisme, Mois sans tabac cherche à créer l’opportunité et l’environnement positif pour le fumeur qui souhaite arrêter. L’approche est incitative et sur la base du volontariat. La campagne adopte une approche positive et inclusive dans ses messages et cherche à faire de l’arrêt un comportement collectif de masse, espérant ainsi le normaliser et en faire un mouvement social. Cette démarche passe par des slogans mobilisateurs tels que « En novembre, on arrête ensemble ! », « Rejoignez, vous aussi, le défi » etc. Le programme associe des personnalités connues/appréciées, qui peuvent avoir un rôle de modèle, contribuant à en faire un succès populaire. L’utilisation des réseaux sociaux permet aux participants de se sentir socialement soutenus par d’autres fumeurs et de ne pas se sentir seuls dans leur démarche d’abandon du tabac. Les non-fumeurs sont également invités à participer à la campagne en apportant leur soutien à leurs proches.

 

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Mois sans tabac s’appuie sur différents relais : télévision, radio, affichage, internet, réseaux sociaux, des services gratuits d’accompagnement au sevrage tabagique (via la ligne téléphonique ’39 89′, un site internet dédié tabac-info-service.fr, une application de e-coaching, un kit d’arrêt qui comprend de nombreuses informations et outils pour vivre au mieux son sevrage). Par ailleurs des actions locales de sensibilisation et d’accompagnement au sevrage tabagique (encadrées par les agences régionales de santé) sont déployées dans les établissements de santé, pharmacies, les lieux de travail et autres sites. Ces dispositifs se révèlent particulièrement efficaces, car ils incitent les patients à engager le dialogue avec les professionnels de santé. Or l’aide d’un professionnel de santé augmente de 70% les chances d’arrêt. La pluralité des canaux utilisés et le déploiement en région permet ainsi de toucher l’ensemble des cibles visées.

L’impact de Mois sans tabac sur l’arrêt du tabac en France

La dernière étape consiste à évaluer l’impact de la campagne afin de voir si les objectifs fixés au début ont bien été atteints[4]. L’évaluation du dispositif Mois sans tabac repose sur les Baromètres de Santé publique France, qui sont des enquêtes répétées réalisées par téléphone auprès d’échantillons aléatoires de la population des personnes âgées de 18 à 75 ans et résidant en France.

En France, entre 2014 et 2019, la prévalence tabagique a diminué de près de 4 points (-11%), passant de 34,3% à 30,4%. Le tabagisme quotidien a quant à lui connu une baisse de 4,5 points (-16%) au cours de cette période, passant de 28,5% à 24%[5]. Cette baisse a été attribuée à un arsenal de mesures mis en place dans le pays ces dernières années : l’instauration du paquet neutre, l’interdiction des arômes, la hausse des prix, le remboursement des substituts nicotiniques, etc.

À ce jour, aucune étude n’évalue spécifiquement l’impact du dispositif Mois sans tabac sur cette baisse du tabagisme en France mais les premiers résultats attestent de son efficacité pour les tentatives d’arrêt. Une récente étude, publiée le 26 octobre 2021, indique ainsi que Mois sans tabac a permis de déclencher 1,8 million de tentatives d’arrêt entre 2016 et 2019[6]. Cela représente plus du double du nombre d’inscrits. Pour Santé publique France, « cela signifie que l’impact de l’opération va au-delà des seuls inscrits en ligne et qu’il est utile de disposer d’un outil de suivi de ses effets sur les tentatives d’arrêt réalisées par les fumeurs en population générale ».

Les éditions de 2018 et 2019 ont connu un franc succès avec plus de 440 000 inscriptions cumulées. Le taux de tentatives d’arrêt directement attribuables à l’opération a augmenté passant de 2,9% en 2016 et 2017, à 4,8% en 2018, avant de se stabiliser en 2019 (4,3%). Santé publique France explique le succès et la hausse importante du nombre de tentatives d’arrêt observée entre 2017 et 2018 par une large refonte des supports de communication, notamment la conception de nouveaux spots publicitaires diffusés à la télévision et une stratégie digitale renouvelée, associée à une hausse substantielle du budget d’achat d’espaces publicitaires[7]. Ces deux facteurs ont pu redonner de la visibilité et de l’intérêt à participer à l’opération pour les fumeurs.

Les six éditions de Mois sans tabac ont enregistré plus d’un million d’inscriptions au total, dont près de 113 000 en 2021. Une étude de Santé publique France [8], reposant sur les données du Baromètre de Santé publique France 2017, a évalué la première année du dispositif.  Un an après l’opération, environ 6% à 10% des anciens fumeurs étaient toujours abstinents, contre des taux relevés dans la littérature atteignant habituellement 3 à 5% pour ce qui concerne les tentatives d’arrêts sans aide extérieure. Les fumeurs interrogés (ayant fait une tentative d’arrêt en lien avec Mois sans tabac) mentionnaient aussi plus souvent avoir utilisé une aide (majoritairement des cigarette électronique (27 %) et les substituts nicotiniques (18 %)) pour arrêter de fumer (67 % contre 43 % pour les arrêts non liés à MST).

Les données des prochaines éditions du Baromètre santé permettront de compléter le suivi des indicateurs d’évaluation du dispositif Mois sans tabac.

Pour aller plus loin : Gallopel-Morvan K. (EHESP), Nguyen Thanh V. et Arwidson P. (Santé publique France), G. Hastings (Université de Stirling) « Marketing social. De la compréhension des publics au changement de comportement » (2019). Presses de l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique, 194 pages »

Le site de Mois sans tabac

Santé Publique France

©Génération Sans Tabac

AE

(Merci à Justine Avenel-Roux, Romain Guignard et Viet Nguyen-Thanh de Santé Publique France pour leur relecture)

 


[1] West R, Stapleton J. Clinical and public health significance of treatments to aid smoking cessation. European Respiratory Review. 2008;17(110):199-204

[2] Pasquereau A, Andler R, Guignard R, Soullier N, Gautier A, Richard JB, Nguyen-Thanh V. Consommation de tabac parmi les adultes en 2020 : résultats du Baromètre de Santé publique France. Bull Epidémiol Hebd. 2021;(8):132-9. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2021/8/2021_8_1.html

[3] Gallopel-Morvan K. (EHESP), Nguyen Thanh V. et Arwidson P. (Santé publique France), G. Hastings (Université de Stirling) « Marketing social. De la compréhension des publics au changement de comportement » (2019). Presses de l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique, 194 pages »

[4] Gallopel-Morvan, Karine, et al. « Évaluer une campagne de marketing social : l’exemple de Mois sans tabac », , Marketing social. De la compréhension des publics au changement de comportement, sous la direction de Gallopel-Morvan Karine, et al. Presses de l’EHESP, 2019, pp. 151-168.

[5] Pasquereau  A, Andler  R, Arwidson  P, Guignard  R, NguyenThanh  V.  Consommation de tabac parmi les  adultes  : bilan de cinq années de programme national contre le tabagisme, 2014-2019. Bull Epidémiol Hebd. 2020;(14):273-81

[6] Guignard R, Gautier A, Andler R, Soullier N, Nguyen-Thanh V. Tentatives d’arrêt du tabac pendant l’opération Mois sans tabac (2016-2019) : résultats des Baromètres santé de Santé publique France. Bull Epidémiol Hebd. 2021

[7] Guignard R, Gautier A, Andler R, Soullier N, Nguyen-Thanh V. Tentatives d’arrêt du tabac pendant l’opération Mois sans tabac (2016-2019) : résultats des Baromètres santé de Santé publique France. Bull Epidémiol Hebd. 2021;(16):284-9. http:// beh.santepubliquefrance.fr/beh/2021/16/2021_16_1.html

[8] Guignard R, Andler R, Richard JB, Pasquereau A, Quatremère G, Nguyen‑Thanh V. Efficacité de Mois sans tabac 2016 et suivi à 1 an des individus ayant fait une tentative d’arrêt, à partir du Baromètre de Santé publique France 2017. Saint‑Maurice : Santé publique France ; octobre 2019. Synthèse 19 p.

Comité National Contre le Tabagisme |

Publié le 23 décembre 2021