Interdire le filtre est le seul moyen pour réduire la pollution liée aux mégots

Selon une étude commandée[1] par la ministre néerlandaise de l’environnement Vivianne Heijnen, seule une interdiction totale des filtres de cigarettes permettrait de résoudre le problème de la pollution liée aux mégots. L’objectif de Mme Heijnen est de réduire la quantité de filtres jetés de 70 % d’ici 2026 aux Pays-Bas. Selon les résultats de l’étude, une réduction limitée à 15 % pourrait être obtenue avec les mesures actuellement en place ou les nouvelles mesures envisagées comme les campagnes nationales de sensibilisation des fumeurs ou le déploiement d’espaces sans tabac. De plus en plus de pays dans le monde se positionnent également en faveur de l’interdiction du filtre.

Cinq mesures possibles ont été examinées dans cette étude, mais aucune ne permet d’atteindre l’objectif de réduction proposé de 70 % d’ici 2026. Les politiques existantes conduisent à une réduction maximale d’environ 15% d’ici 2026, et les nouvelles mesures ne peuvent pas être introduites avant 2026, ou n’aboutiraient pas à un taux de réduction suffisant.

Le poids environnemental des mégots

Il existe peu de données quantitatives sur le nombre de filtres de cigarettes qui finissent dans la nature aux Pays-Bas, et les estimations à ce sujet varient. La fourchette oscille entre 0,2 et 7,1 milliards de mégots par an selon les études.

Dans le monde, on estime que 4,5 trillions de filtres de cigarettes sur les 5,5 trillions de cigarettes produites par l’industrie du tabac chaque année finissent jetés dans la nature. Ces filtres, qui contiennent de l’acétate de cellulose, mettent jusqu’à 12 ans à se décomposer. Chaque filtre peut polluer jusqu’à 500 litres d’eau. L’ensemble de ces filtres se retrouvent dans les milieux aquatiques et urbains et nuisent aux organismes marins, aux mammifères, aux oiseaux et aux plantes. Environ 40% du total des déchets collectés lors du nettoyage des océans dans le monde sont des mégots de cigarettes.

Les mégots sont des déchets hautement toxiques et il n’existe à ce jour aucune solution pérenne de recyclage pour ces déchets : même lorsqu’ils sont jetés dans des poubelles, les mégots sont incinérés. De plus, la présence des filtres ne s’accompagne pas d’une réduction des risques pour le fumeur. Ceux-ci ont été introduits par les fabricants essentiellement dans une optique marketing, en réponse aux inquiétudes des consommateurs pour leur santé. De surcroît, en masquant pour partie l’âcreté des produits, les filtres facilitent l’entrée dans le tabagisme.

Les mesures actuellement en place aux Pays-Bas sont insuffisantes

Deux stratégies existent dans le pays pour réduire les déchets liés à la consommation de tabac. En premier lieu, les mesures environnementales directes comme les filières de responsabilité élargie du producteur (REP) appliquées à l’industrie du tabac, en place depuis 2023 aux Pays-Bas. Selon le principe « pollueur-payeur », les producteurs sont ainsi tenus de financer un éco-organisme. A cet égard, les auteurs de l’étude rappellent qu’en matière de produits du tabac, il est ici nécessaire d’exclure les fabricants de tabac de la gouvernance du dispositif et ce, conformément aux obligations découlant du traité international, la Convention-Cadre de l’OMS pour la lutte antitabac qui proscrit toute interférence de l’industrie du tabac dans les politiques publiques.

Début juillet 2021, la directive sur les plastiques à usage unique (SUP) a été transposée aux Pays-Bas. Les filtres de cigarettes font partie de ces plastiques à usage unique visés par le texte. Les fabricants de tabac sont dorénavant tenus d’apposer un avertissement environnemental sur l’emballage pour indiquer que le produit contient du plastique, qu’il présente un risque pour l’environnement et qu’il doit être jeté dans la poubelle.

Les auteurs de l’étude doutent de l’efficacité de ces seules mesures, notamment dans leurs conditions actuelles de mise en œuvre.

Concernant les avertissements environnementaux sur les paquets, en 2020, la Commission européenne avait fait réaliser une étude sur l’efficacité de différents types d’avertissements environnementaux apposés sur les paquets de cigarettes. Cette étude montrait que parmi les avertissements sélectionnés, on ne notait pas de différence significative entre les groupes de personnes exposées à un paquet avec avertissement par rapport à un groupe de personnes non exposées.

Par ailleurs, si l’industrie du tabac a la charge de l’éco-organisme comme c’est le cas en France avec Alcome[2], le dispositif est non seulement contraire aux dispositions du traité ratifié par le pays, mais de surcroît apparaît en tant que telle contreproductif. L’intérêt de l’industrie du tabac n’est, en effet, en aucun cas de réduire le nombre de déchets. S’il lui est donné la possibilité de communiquer, sa stratégie sera d’améliorer son image à travers une communication dite d’entreprise socialement responsable, assimilée à de la publicité, et susceptible de renforcer son poids et son activité et par là même le problème majeur des déchets de ses produits.

La deuxième stratégie pour réduire les déchets liés à la consommation de tabac sont la mise en place de politiques de lutte contre le tabagisme qui visent à réduire la consommation et donc ses déchets. Ces mesures en place aux Pays-Bas découlent de L’Accord national de prévention (2018) dont l’un des objectifs est de parvenir à une génération sans tabac d’ici 2040.

Parmi les mesures de santé publique figure une hausse des taxes sur les produits du tabac. Aux Pays-Bas les prix des produits du tabac seront ainsi augmentés progressivement à partir de 2023, pour atteindre 10 euros par paquet en 2024, grâce à de nouvelles augmentations des droits d’accises.

La deuxième mesure est la réduction du nombre de points de vente dans les années à venir. En 2022, tous les distributeurs automatiques ont été supprimés, et la vente de cigarettes a été interdite dans le secteur de l’hôtellerie. En 2023, la vente en ligne de tabac sera interdite et, en 2024, les produits du tabac ne pourront plus être vendus dans les supermarchés. Les mesures prévues jusqu’en 2024 entraîneront la suppression d’environ 12 000 points de vente sur les 16 000 actuels.

L’Institut national de la santé publique et de l’environnement a réalisé une analyse portant sur l’effet attendu de ces mesures. Cette analyse montre une baisse estimée du nombre de fumeurs de 14,8% entre 2022 et 2026. La réduction de la prévalence du tabagisme n’a cependant pas un effet univoque sur le nombre de mégots jetés dans la nature. En effet, l’ampleur de cette relation dépend de plusieurs facteurs. Il convient de prendre en compte également la consommation des fumeurs et la répartition des mégots jetés « correctement » et les autres. Les auteurs considèrent ainsi qu’une baisse d’environ 14,8% du nombre de mégots dans la nature pourrait tout au plus être atteinte. Les mesures de lutte contre le tabagisme sont donc efficaces pour réduire le nombre de mégots mais elles ne permettraient pas, à elles seules, d’atteindre l’objectif de 70 % fixé par la ministre de l’Environnement.

Un ensemble de nouvelles mesures envisagées pour réduire la pollution liée aux filtres

Dans cette étude, un inventaire a été fait des mesures possibles qui conduisent à une réduction de la pollution liée aux mégots. La sélection a concerné des mesures strictement environnementales susceptibles d’être mises en œuvre par le gouvernement néerlandais. Elles n’incluaient donc pas de mesures de lutte contre le tabagisme qui permettraient également, par une baisse de la consommation, de réduire les déchets liés au tabac. Pour chaque mesure environnementale stricto sensu, l’efficacité, le coût et la faisabilité juridiques ont été examinés.

Les mesures suivantes ont été incluses dans cette étude :

  • Un système de consigne sur les filtres ;
  • Une interdiction de fumer sur les plages ;
  • Des approches locales lors d’événements publics (sensibilisation, distribution de cendriers, espaces et événements sans tabac), ;
  • Une campagne de sensibilisation du grand public émanant du gouvernement ;
  • L’interdiction du filtre.

Selon les auteurs de l’étude, un système de consigne est théoriquement possible, mais il n’est actuellement mis en pratique nulle part. Les études de consommation montrent que seule une proportion limitée de fumeurs (28 %) déclare avoir l’intention de conserver et de rapporter les filtres. Les préoccupations importantes liées à ce système sont les considérations logistiques pour les points de dépôt lesquelles exigent des équipements, le respect de conditions d’hygiène pour le stockage. En outre, le dispositif confère potentiellement à l’industrie du tabac un rôle que les fabricants pourraient utiliser pour se promouvoir et améliorer leur image avec les conséquences à plus ou moins long terme délétères et contreproductives. Les auteurs craignent également que si la collecte des mégots se réalise dans les points de vente du tabac, l’argent des consignes entretienne la consommation du fumeur et le dissuade d’arrêter.

L’une des options possibles consiste à mettre en place des politiques spécifiques locales, en instaurant des espaces sans tabac : plages, lieux publics, rues… ou des événements sans tabac : festivals de musique, kermesses etc.

À l’échelle mondiale, de plus en plus de pays mettent en place des espaces sans tabac dans les lieux extérieurs pour réduire les jets de déchets. Sous l’impulsion d’un programme national visant à une Génération sans tabac d’ici 2040, les Pays-Bas ont connu ces deux dernières années une démultiplication des espaces sans tabac. À ce jour, 98 % des municipalités néerlandaises (344 sur 352) se sont dotées de multiples espaces sans tabac, alors qu’elles n’étaient jusqu’ici pas particulièrement impliquées dans la lutte antitabac[3]. Ces espaces sans tabac ont été en priorité déployés aux abords des écoles, des aires de jeux pour enfants et des installations sportives, mais aussi dans les abribus et les bâtiments municipaux. La municipalité de Noordwijk a actuellement lancé un projet pilote de zones sans tabac sur la plage. Les résultats de l’efficacité d’une telle zone sans tabac sont attendus pour l’automne 2023. Il sera de plus prochainement interdit de fumer sur les plages le long de la côte de la mer du Nord et de la mer des Wadden aux Pays-Bas. Une interdiction effective de fumer sur la plage devrait entraîner une réduction substantielle des filtres retrouvés dans le sable.

Les auteurs précisent que les approches spécifiques au niveau local peuvent avoir des impacts positifs à l’échelle nationale.

On retrouve cet exemple en France avec le dispositif Ville libre sans tabac qui entend donner une impulsion plus structurée à ce mouvement de mise en oeuvre de véritables politiques locales de lutte contre le tabagisme. Porté par l’association Grand Est sans tabac (GEST) et par le Comité national contre le tabagisme (CNCT), ce projet se situe explicitement dans la perspective d’une Génération sans tabac en France pour 2032. Il propose un ensemble de mesures pour réduire la consommation de produits du tabac et de la nicotine, protéger l’environnement et rendre les villes plus agréables.

L’interdiction du filtre, seule mesure réellement efficace mais difficile à mettre en place

Concernant l’interdiction pure et simple du filtre, aucun pays ou région dans le monde n’a introduit jusqu’à présent cette disposition. Il n’existe donc pas de données provenant de l’expérience d’autres pays permettant d’évaluer et de mesurer le comportement des fumeurs en cas d’interdiction. Les auteurs de cette étude s’accordent cependant sur le fait que l’interdiction des filtres serait le seul moyen efficace pour réduire substantiellement la présence de ces déchets toxiques notamment dans la nature.

La faisabilité juridique d’une interdiction aux Pays-Bas a été étudiée par des juristes du ministère de la Santé. Deux voies possibles ont été définies pour envisager une telle interdiction : à partir de la directive sur les produits du tabac (DPT), ou à partir de la directive sur les plastiques à usage unique (SUP). Selon ces derniers, sur le plan juridique, l’approche européenne est la plus appropriée et la prochaine occasion où une telle interdiction au niveau européen pourrait être envisagée est la révision de la directive SUP en 2026.

L’interdiction du filtre, une mesure portée à l’international

En 2022, la Californie a proposé un projet de loi visant à interdire les produits du vapotage à usage unique mais également les filtres des cigarettes qui s’est soldé par un échec pour plusieurs raisons :

  • En dépit de l’absence de données démontrant l’effet protecteur des filtres, la croyance que ceux-ci réduiraient les risques n’a pas permis une mobilisation des acteurs impliqués dans le domaine sanitaire ;
  • En outre, l’interdiction des produits à usage unique était considérée comme secondaire par rapport à l’objectif de parvenir à une génération sans tabac dans les dix prochaines années ;
  • Enfin, l’industrie du tabac a déployé d’importants moyens de lobbying pour bloquer l’introduction du projet de loi.

Le 2 mars 2022, 175 pays membres du Conseil des Nations unies pour l’environnement (CNUE) ont adopté une résolution visant à négocier un accord international pour mettre fin à la pollution plastique d’ici la fin de 2024. La résolution 5/14 de l’UNEA a mandaté un groupe de travail ouvert pour effectuer des travaux préparatoires avant les négociations du Comité intergouvernemental de négociation (CIN). La première session du CIN vise à élaborer un instrument international juridiquement contraignant sur la pollution plastique, y compris dans l’environnement marin. La France accueillera la deuxième session de négociations sur le traité international sur la pollution plastique au printemps 2023.

Plusieurs associations de lutte contre le tabagisme à travers le monde se sont engagées dans les négociations pour s’assurer que les filtres de cigarettes soient inclus dans toute liste de plastiques à usage unique à interdire. De plus, conformément à l’article 5.3 de la Convention-Cadre de l’OMS, ces associations ont aussi fait pression pour que l’industrie du tabac et d’autres acteurs privés qui ont un conflit d’intérêts inhérent ne soient pas représentés en tant que « parties prenantes » dans les négociations.

En France, le Comité national contre le tabagisme (CNCT) membre de la Stop Tobacco Pollution Alliance (STPA), s’est déjà positionné en faveur de l’interdiction des filtres et appelle les pouvoirs publics à agir en ce sens[4].

Mots-clés : filtres, interdiction, mégots, pollution, environnement, Pays-Bas

©Génération Sans Tabac

AE


[1] Rapport, Reduceren van sigarettenfilters in het zwerfafval, Studie naar de grootte van het probleem en analyse van mogelijke beleidsmaatregelen, CE Delft pour le ministère de l’écologie, décembre 2022, consulté le 28 février 2023

[2] Génération sans tabac, Alcome : pourquoi l’éco-organisme de lutte contre les mégots pose problème, publié le 17 mars 2022, consulté le 28 février 2023

[3] Génération sans tabac, Succès des espaces sans tabac aux Pays-Bas, publié le 23 novembre 2022, consulté le 28 février 2023

[4] CNCT, Le CNCT s’engage aux côtés de la Stop Tobacco Pollution Alliance pour mettre fin à la pollution plastique, publié le 23 février 2023, consulté le 28 février 2023

Comité national contre le tabagisme |

Publié le 6 mars 2023