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Royaume-Uni : les cigarettiers font pression pour participer à l’élaboration de la politique antitabac

Les quatre principales multinationales du tabac proposent au gouvernement britannique d’être associés à la définition de la nouvelle politique de lutte contre le tabagisme, où les cigarettes électroniques devraient être mises à l’honneur. Il s’agit surtout pour elles d’une nouvelle tentative de placer leurs produits de tabac chauffé et leurs sachets de nicotine. 

La France et le Royaume-Uni affichaient tous les deux une prévalence tabagique d’environ 30% au début des années 2000. Vingt ans plus tard, la France compte encore 24% de fumeurs quotidiens, quand le Royaume-Uni n’en présente plus qu’un peu plus de la moitié (13%) après avoir engagé bien plus tôt une politique structurée et coordonnée, malgré l’opposition farouche des industriels du tabac. Partant de ce constat, les analyses sur la conduite à tenir divergent.

Les cigarettiers cherchent à promouvoir leurs produits de tabac chauffé

Les quatre principales multinationales du tabac – Philip Morris International (PMI), British American Tobacco (BAT), Japan Tobacco International (JTI) et Imperial Brands – ont spontanément, et avec insistance, proposé leur aide au gouvernement britannique pour relancer cette baisse de la prévalence tabagique. Déclarant vouloir eux aussi la disparition du tabac et l’avènement d’une Génération sans tabac au Royaume-Uni à l’horizon 2030, leur propos est avant tout d’inclure les produits de tabac chauffé et les pouches (sachets de nicotine à glisser entre la lèvre et la gencive, sur le modèle des snus) aux côtés des cigarettes électroniques dans les prochains protocoles de recommandations pour l’arrêt du tabac[1].

Kingsley Wheaton, responsable du marketing chez BAT, estime ainsi que son entreprise « va jouer un rôle crucial en aidant les fumeurs adultes du Royaume-Uni à passer à des alternatives moins risquées ». Grégoire Verdeaux, vice-président de PMI, argumente pour sa part que « l’industrie du tabac en sait beaucoup sur les consommateurs et a de nombreuses connaissances à partager avec les gouvernements sur la façon de pousser les fumeurs de cigarettes à essayer quelque chose d’autre ». La concentration sur les produits du tabac et de la nicotine supposément moins nocifs tend cependant à occulter la nocivité des usages duels de tabac et de cigarette électronique, cet usage duel concernant au Royaume-Uni 30,5% des vapoteurs et 17% des fumeurs[2]. De même, la focalisation de l’attention sur les fumeurs adultes éprouvant des difficultés à arrêter de fumer conduit à négliger la diffusion des produits de la nicotine chez les non-fumeurs et favorise la renormalisation du tabac.

Un programme de lutte antitabac à la recherche d’un second souffle

Les représentants de la société civile estiment quant à eux que le gouvernement a baissé la garde depuis quelques années sur le front du tabagisme. « Le budget de la lutte contre le tabagisme a été amputé d’un tiers depuis 2015. Ça n’a pas de sens », confie Deborah Arnott, directrice de Action for Smoking and Heath (ASH). « Nous étions ravis lorsque le gouvernement a annoncé l’objectif sans tabac de 2030 », poursuit-elle, « mais depuis trois ans, il n’y a eu aucun plan, aucun investissement et, en suivant cette tendance, aucune chance de succès ». « Les entreprises du tabac font partie du problème, pas de la solution », a précisé de son côté Sarah Woolnough, directrice de Asthma and Lung UK, « elles ne devraient pas être autorisées à s’exprimer lorsqu’il s’agit de la santé de la nation ».

Javed Khan, récemment nommé à la tête d’une mission sur le tabagisme par le ministre de la Santé, recadre les souhaits des industriels en les renvoyant à leur responsabilité de fabricant : « La vraie question à laquelle il faut répondre est : les contribuables doivent-ils payer les conséquences de produits industriels mortels ? Ou devons-nous nous tourner vers les producteurs et leur dire qu’ils en sont responsables ? » Une étude publiée en 2021 dans le British Medical Journal concluait quant à elle que les produits de tabac chauffé « ont le même potentiel addictif que les cigarettes ; ils devraient être réglementés en tant que produits du tabac, avec des messages sanitaires similaires à ceux des cigarettes et en interdisant d’en faire la publicité »[3].

La prochaine étape majeure du programme britannique devrait être l’instauration d’une taxe sur les profits des produits du tabac (estimés à 67 pences par paquet de cigarettes) afin de financer la lutte contre le tabagisme.

Un exemple de connivence entre acteurs politiques et industriels

Les efforts de lobbying des industriels du tabac sur les décideurs politiques conduisent à interroger en permanence les mécanismes de ce jeu d’influence. Les passerelles entre le monde politique et celui des affaires en sont un rouage-clé : en intégrant l’équipe d’un cigarettier, un acteur politique peut mettre à profit son carnet d’adresses et sa connaissance des processus institutionnels. Très actif sur les terrains de la communication et du développement des marchés, Grégoire Verdeaux incarne ici un cas d’école de la connivence entre les acteurs politiques et industriels.

Après avoir été conseiller Europe de Michel Baroin lorsque celui-ci était ministre des Affaires étrangères et de la Commission Européenne, puis chef-adjoint du cabinet de l’Elysée auprès de Nicolas Sarkozy, Grégoire Verdeaux a exercé chez EDF comme directeur de la politique européenne, puis chez Vodafone comme directeur de la politique internationale. Il rejoint en 2020 le cabinet de lobbying Hering Schuppener Consulting, renommé depuis Finsbury Glover Hering, avant de devenir vice-président des opérations extérieures de Philip Morris International le 1er septembre 2021[4].

André Calantzopoulos, directeur général de PMI à l’époque, l’accueillait en ces termes : « L’éventail des expériences de Grégoire, du travail pour les parlements et gouvernements nationaux et européens, l’ONU, l’OMS, ainsi que des entreprises privées en pleine transformation, lui a donné une compréhension unique de la manière dont les décisions politiques sont prises. Cela fait de lui un candidat idéal pour nous rejoindre chez PMI et aider à adapter l’environnement réglementaire applicable aux produits à risque réduit… »[5]. Adapter la société aux produits du tabac et de la nicotine plutôt que l’inverse, la logique du cigarettier est ici exprimée sans détour et justifie, pour les acteurs publics et de santé, une observance stricte du principe de protection des politiques publiques à l’égard du lobby du tabac, comme le stipule l’article 5.3 de la Convention-cadre pour la lutte antitabac (CCLAT).

Mots-clés : Royaume-Uni, lobbying, tabac chauffé, ASH

©Génération Sans Tabac

MF


[1] Gil O, Britain decides if Big Tobacco should help it kick the habit, The Daily Telegraph, publié le 24 avril 2022, consulté le 25 avril 2022.

[2] Action on Smoking and Health, ASH Factsheet: Use of Electronic Cigarettes (Vapourisers) among Adults in Great Britain, ASH, 2017.

[3] Berlin I, Jacot-Sadowski I, Humair JP, Cornuz J, International expert consensus on electronic nicotine delivery systems and heated tobacco products: a Delphi survey, BMJ Open 2021;11:e045724. doi:10.1136/bmjopen-2020-045724.

[4] Grégoire Verdeaux: the friend who manages the treasure, Democracy Center for Transparency, non daté, consulté le 25 avril 2022.

[5]  PMI – Un nouveau vice-président des affaires extérieures : Grégoire Verdeaux, La Revue des tabacs, publié le 24 août 2021, consulté le 25 avril 2022.

Comité national contre le tabagisme |

Publié le 26 avril 2022