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Des documents internes interrogent le rôle de British American Tobacco dans la contrebande en Iran

Une récente étude des documents internes de British American Tobacco (BAT) montre que le fabricant pourrait être impliqué dans le commerce illicite de ses produits en Iran, en dépit de ses déclarations publiques de s’engager contre la contrebande et la contrefaçon. Selon les auteurs, les différentes preuves ou condamnations du fabricant dans le commerce illicite de plusieurs pays (Corée du Nord, Cuba, Russie, Myanmar) pourraient indiquer que ces pratiques ne sont pas des incidents ponctuels et isolés, mais relèvent d’une stratégie plus large[1].

Le commerce illicite utilisé par les fabricants pour pénétrer le marché iranien

Différentes recherches au début des années 2000 ont montré que l’industrie du tabac s’appuyait sur le commerce illicite pour s’installer sur le marché iranien, malgré les sanctions internationales contre le pays et les différentes restrictions commerciales. La littérature consacrée au commerce illicite souligne par ailleurs que le commerce illicite est régulièrement mobilisé par les fabricants comme moyen d’implantation dans certains marchés, comme cela a pu être le cas, notamment dans les anciens pays communistes.

En 2000, l’autorité nationale du tabac en Iran a signé un accord avec quatre fabricants de tabac, dont British American Tobacco, afin de lever les interdictions d’importations, et leur permettre de produire légalement leurs produits, dans l’objectif de réduire le commerce illicite. Depuis lors, peu d’informations sont disponibles quant aux stratégies commerciales des fabricants en Iran, à leurs relations avec les autorités locales ou sur la persistance ou non de leurs activités illicites. Ces années marquent toutefois un fort dynamisme pour BAT, qui voit presque doubler sa part du marché en Iran entre 2009 et 2015, passant de 17,8% à 33,4%. Bien que l’Organisation des nations unies ait levé en 2016 les sanctions contre le pays, le gouvernement étatsunien les a réintroduites dès 2018-2019, tandis que le gouvernement iranien interdisait à nouveau l’importation de cigarettes étrangères. De ce fait, en 2021, British American Tobacco a été contraint de céder sa filiale en Iran.

La majorité des produits illicites en circulation viennent des usines des cigarettiers

Les chercheurs ont pu s’appuyer sur plus de 15 000 documents internes et inédits de British American Tobacco, divulgués par un ancien employé du cigarettier. Ceux-ci montrent que malgré la signature du fabricant d’un accord avec les autorités iraniennes au début des années 2000, les produits de British American Tobacco ont continuent de faire l’objet d’une contrebande. Ainsi, en 2009, les produits de BAT auraient représenté 6,7% du marché illicite en Iran, selon les propres estimations du fabricant, qui pourrait en sous-évaluer l’ampleur. Un rapport interne note par ailleurs que les produits des fabricants constituent la grande majorité du commerce illicite en Iran, tandis que la contrefaçon est limitée à 3% du marché illicite. Les chercheurs rappellent à ce sujet que cette réalité contredit les déclarations des cigarettiers concernant l’ampleur de la contrefaçon. La surestimation de cette dernière leur permet de fait  de détourner l’attention de leur propre responsabilité dans l’organisation ou la facilitation du commerce illicite.

La forte présence des produits des fabricants dans le commerce illicite iranien ne concerne pas uniquement British American Tobacco, mais d’autres cigarettiers, à l’instar de KT&G, ou encore de Philip Morris International (PMI). En effet, en 2010, un document interne de British American Tobacco estimait que ces deux fabricants avaient la part la plus élevée dans le commerce illicite en Iran, et que PMI « n’a aucune présence licite sur le marché », et que « tous leurs produits sont passés en contrebande ».

L’instrumentalisation de la lutte contre le commerce illicite pour affaiblir la concurrence

En parallèle, les documents internes permettent de documenter une vaste stratégie d’ « engagement » de l’entreprise contre le commerce illicite. Malgré la ratification de l’Iran à la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (CCLAT) en 2006, qui contraint le pays de protéger ses politiques publiques contre l’influence de l’industrie du tabac, les documents internes de BAT montre que la compagnie développe un « engagement systématique continu » avec le gouvernement iranien, le ministère du commerce, le département de lutte contre la contrebande, des responsables de police, ou encore les Douanes. Le fabricant a également fait pression pour concentrer les efforts de lutte contre le commerce illicite sur les produits concurrents. Les chercheurs notent enfin que cet engagement contre le commerce illicite, en plus de cibler les acteurs concurrents, est conçu dans une stratégie de réputation auprès des pouvoirs publics. Bien que le rôle de BAT dans cette décision soit incertain, l’intensification de l’engagement de British American Tobacco dans la lutte contre le commerce illicite a été suivi de réductions de taxes sur les produits du tabac.

Du retour des sanctions à la vente de la filiale de BAT

British American Tobacco a ainsi su tirer profit de son engagement public contre le commerce illicite, avec des concurrents affaiblis, des relations nouées avec les pouvoirs publics iraniens, et une réduction des taxes sur les produits du tabac. Ces dernières années, BAT est ainsi devenu le deuxième acteur en termes de part de marché en Iran, totalisant en 2020, 11,4 milliards de cigarettes vendues dans le pays, pour un chiffre d’affaires de 170 millions de livres sterling et un bénéfice de 60 millions. Toutefois, le contexte géopolitique crée un « environnement commercial très complexe ». Le retour des sanctions américaines contre le pays à partir de 2018 et 2019 exposent en effet le fabricant à des coûts financiers importants. Ainsi, en 2019, l’entreprise annonce céder sa filiale iranienne, en raison des risques pesant sur British American Tobacco.

Un appel à une enquête approfondie pour vérifier une éventuelle implication dans le commerce illicite

Dans leurs conclusions, les auteurs notent que les antécédents de British American Tobacco dans d’autres pays, notamment le contournement des sanctions du fabricant en Corée du Nord, devraient amener les autorités à conduire une enquête plus approfondie pour déterminer si des pratiques illicites persistent ou non. Les relations étroites avec les pouvoirs publics iraniens, le faible contrôle de la chaîne d’approvisionnement, la multitude de distributeurs locaux participent à créer un environnement favorable à une implication dans le commerce illicite. Les documents internes permettent de montrer que British American Tobacco n’est a minima pas en mesure de sécuriser sa chaîne d’approvisionnement, et pose la question d’une éventuelle implication dans le commerce illicite.

Mots-clés : Iran, Commerce illicite, British American Tobacco

©Génération Sans Tabac

FT


[1] Gomis, B, Gallagher, AWA, Alebshehy, R and Rowell, A. 2024. Sanctions and Illicit Trade: British American Tobacco’s Activities in Iran (2000–2014). Journal of Illicit Economies and Development, 5(1): pp. 34–46. DOI: https:// doi.org/10.31389/jied.223

Comité national contre le tabagisme |

Publié le 2 février 2024