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Australie : comment les lobbies industriels perturbent le fonctionnement démocratique

Les pratiques d’influence et de lobbying de trois industries – charbon, jeux d’argent et tabac – ont été analysées dans un rapport du Centre juridique pour les droits humains australien, qui pointe les donations aux partis politiques et les campagnes de dénigrement comme de vrais problèmes démocratiques.

L’Australie se caractérise par la faiblesse de ses textes juridiques protégeant les décideurs politiques de la corruption. L’absence de plafond de financement pour les partis politiques et les nombreuses passerelles entre les mondes politiques et industriels comptent parmi les principales faiblesses des institutions.

Pour illustrer cette situation, un rapport du Centre juridique pour les droits humains (HRLC) met en perspective les pratiques de trois industries particulièrement actives dans l’influence des décideurs politiques, en révélant des méthodes parfois similaires : dons directs à différents partis politiques pour faire pression sur les décideurs, passerelles pour les décideurs politiques qui viennent de ces industries ou évoluent ensuite vers elles[1]. Lorsque ces leviers ne suffisent pas, des campagnes de pression ou de dénigrement peuvent être déployées en opposition à des projets de lois, le plus souvent menées sous couvert de groupes de façade. Les méthodes employées de l’industrie du tabac rejoignent, et parfois inspirent, celles utilisées par les industries du charbon et des jeux d’argent.

Les donations aux partis, entre financement et corruption

Le financement des partis politiques est, en Australie, ouvert sans discernement et sans comporter de plafond. Les entreprises ou autres donateurs peuvent ainsi verser les sommes de leur choix, et ne se privent pas de le rappeler aux décideurs politiques le moment venu, ce qui peut s’apparenter déjà à une forme de corruption. En provenance de l’industrie du tabac, deux majors, Philip Morris International (PMI) et British American Tobacco (BAT), sont particulièrement actives sur ce plan. Les dons peuvent être versés directement par ces entreprises, mais aussi par des groupes de façade comme l’Association des détaillants Australiens (ARA). Le financement simultané de plusieurs partis politiques permet aussi à l’industrie du tabac de surmonter les alternances politiques. Au point que certains partis, comme le Parti Travailliste ou le Parti Libéral ont annoncé, l’un en 2004, l’autre en 2014, qu’ils ne souhaitaient plus accepter de financements de l’industrie du tabac, même si ces derniers ont parfois pu se prolonger par le jeu des coalitions.

Parmi les partis politiques, certains, comme le Parti National, ont la préférence de l’industrie du tabac, en ce qu’ils tiennent un discours aux accents libertariens qui prône l’absence de réglementation et la liberté d’entreprendre. Associé au Parti Libéral à travers plusieurs épisodes de coalitions, le Parti National et ses élus ont ainsi pu participer, à partir de 2019, à une campagne de lobbying en faveur des produits de vapotage et de tabac chauffé. Cette campagne est intervenue alors que le gouvernement envisageait d’interdire la vente libre de ces produits ainsi que leur importation à titre personnel, et prévoyait de conditionner leur vente à une prescription médicale. La campagne fut financée par l’ARA, qui avait reçu d’importantes sommes à cet effet et a fondé une nouvelle structure, l’Association des détaillants Australiens de l’industrie du vapotage, laquelle s’est alliée avec l’association « Légalisons la vape en Australie », une émanation de la Australian Taxpayers Alliance, un groupe libertarien financé par BAT et l’industrie de la vape. A la demande de ces groupes, des sénateurs du Parti National ont mis sur pied une commission d’enquête sénatoriale remettant en cause la pertinence de l’interdiction d’importation à titre personnel et ont pu obtenir que celle-ci soit retirée du projet de loi, même s’ils n’ont pas pu empêcher les autres dispositions telles que la vente au détail et la nécessité d’une prescription de ces dispositifs par un médecin dans le cadre d’une aide au sevrage tabagique. L’opération n’a ici pas connu un succès complet, mais a tout de même obtenu une dérogation loin d’être négligeable.

D’autres situations de forte proximité avec l’industrie du tabac peuvent être observées, notamment lorsque des membres de cabinets ministériels, qu’ils soient travaillistes ou libéraux, sont ensuite engagés par des fabricants de tabac. Le rapport évoque plusieurs cas de ces transferts vers l’industrie, dont l’un des protagonistes, Chris Argent, s’est par exemple distingué en menant une campagne de dénigrement sur la question du paquet neutre et en montant un groupe de façade spécifique, l’Alliance des détaillants Australiens (AAR)[2].

Des campagnes de dénigrement très orchestrées

Les campagnes de dénigrement sont le terrain de prédilection des groupes de façade. Directement financés par les industriels du tabac, ces groupes ont surtout pour fonction d’apparaître en première ligne pour simuler un mouvement populaire et dissimuler les industriels dont ils servent les intérêts. Cette méthode est qualifiée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) d’ « astro-turfing ». Lors de sa première année d’exercice, en 2010, l’AAR a ainsi reçu pas moins de 9,2 millions de dollars australiens de trois majors du tabac, BAT, PMI et Japan Tobacco International (JTI) ; Imperial Tobacco a par ailleurs participé au financement des campagnes publicitaires.

Cette année-là est celle où le gouvernement travailliste avait annoncé son intention d’instaurer, pour la première fois au monde, un paquet neutre pour les produits du tabac. Bien déterminés à ce que cette réforme ne soit jamais adoptée, l’industrie du tabac a mis en scène, par l’intermédiaire de l’AAR, une importante campagne de dénigrement auprès du grand public, avec encarts dans la presse et spots TV aux heures de plus forte écoute. La campagne mettait en scène des détaillants expliquant pourquoi ce paquet neutre n’avait aucun sens et comment il allait mettre leur activité en péril. Elle n’a cependant pas rencontré le succès escompté et la réforme du paquet neutre fut tout de même adoptée.

Plus récemment, PMI a renouvelé l’exercice en parrainant des articles de presse aux apparences scientifiques pour promouvoir la vape comme une solution du sevrage tabagique, tout en contournant l’interdiction de publicité pour les produits de tabac.

Les propositions anti-corruption du HRLC

Ces campagnes de lobbying ont parfois des conséquences directes sur la vie politique elle-même. Si la réforme du paquet neutre a finalement abouti, l’industrie du charbon a de son côté obtenu, en 2010, le remplacement d’un premier ministre fédéral qui souhaitait imposer un nouveau système de taxes, tandis que l’industrie du jeu est parvenue à faire battre, aux élections de Tasmanie, une candidate porteuse d’un projet d’interdiction des machines à poker dans les pubs et les clubs.

Ces précédents ont montré la forte perméabilité de la classe politique australienne aux intérêts économiques de différentes industries. La réforme anti-corruption portée par l’actuel gouvernement australien semblant inappropriée et insuffisante pour remédier à cette situation. L’HRCL a émis ses propres propositions en matière de lois anti-corruption. Il suggère notamment de plafonner les dons aux partis politiques à 6000 dollars australiens, de plafonner les dépenses électorales et d’interdire les passerelles entre structures gouvernementales et industrie. Un débat qui promet d’être sensible à quelques mois des élections fédérales, prévues en mai 2022.

Mots-clés : Australie, corruption, groupes de façade, campagne de dénigrement, industrie du tabac, PMI, BAT, JTI

©Génération Sans Tabac

MF


[1] Selling Out: How powerful industries corrupt our democracy, Human Rights Law Centre, publié le 31 janvier 2022, consulté le 7 février 2022.

[2] Alliance of Australian Retailers, Tobacco Tactics, publié le 31 janvier 2020, consulté le 7 février 2022.

Comité National Contre le Tabagisme |

Publié le 8 février 2022