Au coeur de la stratégie des cigarettiers : le menthol
20 mai 2020
Par: communication@cnct.fr
Dernière mise à jour : 6 août 2024
Temps de lecture : 44 minutes
L’essentiel à retenir :
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Le menthol n’est pas seulement un arôme, mais un puissant addictif, facilitant l’initiation au tabagisme, réduisant les chances d’en sortir, et donnant au consommateur l’illusion d’une certaine innocuité.
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L’industrie du tabac a sciemment dissimulé les propriétés addictives et nocives du menthol, en vantant les produits mentholés comme moins dangereux pour la santé et moins
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L’industrie du tabac utilise le menthol comme produit d’appel pour les jeunes générations. Aux Etats-Unis, 81% des jeunes ayant consommé des produits du tabac déclarent avoir commencé avec des produits aromatisés.
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A travers des campagnes de publicités, le parrainage culturel, l’industrie du tabac cible encore massivement les femmes, les afro-américains, la communauté LGBT, et les minorités en général. Ainsi, aux Etats-Unis, près de 90% des fumeurs afro-américains consomment des produits du tabac mentholés, contre moins de 30% des fumeurs blancs. Cette segmentation participe à creuser les inégalités en matière de santé entre les groupes
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Les cigarettiers déploient un effort considérable pour retarder ou empêcher toute réglementation du menthol. La campagne de lobbying menée par l’industrie du tabac lors de la directive européenne sur les produits du tabac est l’une des plus massives dans l’histoire du droit européen. Elle a notamment permis aux cigarettiers de retarder de quatre ans l’interdiction de vente de cigarettes et tabac à rouler mentholés.
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Pour empêcher un transfert de consommation vers les cigares, les cigarillos, le tabac à chauffer ou les cigarettes électroniques, il est indispensable que cette réglementation qui interdit le menthol dans les cigarettes et tabacs à rouler soit étendue à tous ces produits qui attirent particulièrement les jeunes générations.
Le menthol : qu’est-ce que c’est ?
Le menthol (C10H20O), ou cyclohexanol-5-methyl-2-methylethyl, est le principal constituant de l’huile essentielle de menthe. Il est un moterpène naturel de la famille des alcools secondaires, naturellement présent dans les plantes mentholées[1], (Mentha piperita, Mentha avensis), produit aujourd’hui par centaines de tonnes à travers le monde. Le menthol est l’isomère le plus répandu dans la nature qui, parce qu’il est un stimulant des récepteurs du froid, produit la sensation caractéristique de fraîcheur lorsqu’il est appliqué localement sur les muqueuses ou sur la peau. Parmi ses nombreuses utilisations, le menthol est un analgésique topique léger, permettant de soulager des douleurs localisées, souvent du pharynx ou des muqueuses en général. Lorsqu’il est utilisé à forte dose, le menthol peut au contraire provoquer une sensation d’irritation et de chaleur[2]. Pour ces propriétés citées, le menthol est un produit qu’on retrouve massivement dans la médecine et dans les ingrédients pharmaceutiques, comme les pastilles pour la gorge ou les sirops contre la toux.Le menthol dans le tabac
Le menthol est utilisé par l’industrie du tabac depuis les années vingt. Si la concentration de menthol varie d’une cigarette à une autre, 90% des produits du tabac en vente dans le monde en contiennent, qu’ils soient présentés au consommateur comme mentholés ou non. Ainsi, même dans les produits du tabac dits non-mentholés, la dose de menthol, bien qu’imperceptible au goût, varie entre 0,01 et 0,03% du poids en tabac. En revanche, dans les produits vendus comme mentholés, le menthol représente entre 0,1% et 1% du poids du tabac. Le menthol peut être ajouté aux produits de différentes manières : soit directement dans le tabac, soit sur la feuille à l’intérieur du paquet de tabac, dans le filtre, ou sous forme d’une capsule insérée dans le filtre, que le consommateur peut clipser, afin d’en diffuser l’arôme[3].Des effets physiologiques multiples
En plus de son effet rafraîchissant et mentholé, de l’ordre de l’arôme, le menthol est utilisé par l’industrie du tabac pour les nombreux effets physiologiques qu’il provoque lorsqu’il est inhalé. Comme nous l’avons dit, la consommation de menthol conduit tout d’abord à une sensation rafraichissante et anesthésiante, permettant de masquer et de réduire les effets irritants de la fumée de tabac[4]. En d’autres termes, le menthol est un moyen pour l’industrie du tabac de rendre l’initiation au tabagisme plus aisée, en ce qu’elle adoucit le goût parfois âcre du tabac, diminuant l’aspect aversif des premières expériences tabagiques[5]. Le menthol provoque également une augmentation des capacités d’absorption transbuccales de la nicotine. En particulier, le menthol, en stimulant la production de salive, favorise la dissolution et l’absorption de la drogue dans la bouche. Le menthol a un impact majeur sur la respiration. Massivement employé comme décongestionnant nasal, le menthol modifie les perceptions des capacités respiratoires, par l’impression de libération qu’il provoque. Le menthol favorise également l’absorption nicotinique par les effets bronchodilatateurs qu’il induit. L’inhalation de menthol permet ainsi des aspirations plus profondes et plus prolongées de la fumée de tabac, conduisant à une augmentation de l’absorption des composants de la fumée au niveau des alvéoles pulmonaires vers le sang.Le menthol, un outil au service de l’addiction tabagique
Dans un long rapport comparant les conséquences sanitaires des cigarettes mentholées et non mentholées, la Food and Drug Administration (FDA) conclut que la consommation de menthol est corrélée à l’augmentation de la prévalence tabagique auprès des jeunes générations et des jeunes adultes, et est associée à une plus forte dépendance, réduisant les chances de sortie du tabagisme[6]. En effet, à différentes étapes de sa consommation, le menthol modifie le comportement du fumeur. D’abord, en édulcorant la fumée de tabac, le menthol facilite l’initiation. Le menthol est ensuite un « composant sensoriel de renforcement du comportement tabagique », facilitant la continuation de la consommation. En ralentissant le métabolisme de la nicotine et en agissant sur les récepteurs nicotiniques, le menthol permet de renforcer l’addiction du fumeur. Le ralentissement du métabolisme de la nicotine signifie que le taux de cette dernière dans l'organisme reste élevé plus longtemps, laissant plus de temps à la nicotine pour interagir avec les récepteurs nicotiniques à travers tout l’organisme[7]. En d’autres termes, la cigarette mentholée facilite l’entrée dans le tabagisme et en complique la sortie[8]. A ce titre, la durée qui sépare l’heure de réveil d’un fumeur et celle de sa première cigarette est un bon indicateur pour estimer son degré de dépendance au tabagisme. Ainsi, en 2004, une étude menée sur près de 1700 personnes montrait que 24,3% des fumeurs de cigarettes mentholées fumaient leur première cigarette dans les cinq premières minutes de leur journée, contre 19,9% des fumeurs de cigarettes non mentholées[9]. De la même manière, une étude rapportait en 2008 que, sur un panel de 1688 fumeurs, 55,3% des fumeurs de mentholées indiquaient se lever la nuit pour fumer, contre 44,9% des fumeurs de cigarettes non-mentholées[10].Une connaissance pointue des effets sensoriels du menthol par l’industrie du tabac
Les propriétés du menthol sont connues de longue date par l’industrie du tabac. Comme le rappelle une étude, les documents internes des cigarettiers démontrent que les recherches scientifiques entreprises par ces derniers leur ont permis de développer une connaissance extrêmement précise des effets du menthol sur le comportement et le degré d’addiction du fumeur[11]. Alors que l’industrie du tabac affirmait publiquement que le menthol n’était utilisé qu’en tant qu’additif aromatique, et qu’il n’avait aucune conséquence sur le consommateur, un document interne de RJ Reynolds datant de 1976 indique que la société savait, depuis déjà plus de trente ans, que le menthol, y compris lorsqu’il est inhalé à des niveaux imperceptibles pour le fumeur, permet de réduire l’âcreté et l’irritation provoquée par la fumée de tabac. Un autre document interne de RJ Reynolds résume cette idée :« La première réaction des fumeurs est généralement négative. Les premiers effets négatifs peuvent être atténués avec un faible niveau de menthol ».Par ailleurs, les études internes menées par l’industrie du tabac montrent que cette dernière s’est beaucoup intéressée aux effets sensoriels et physiologiques du menthol, permettant de rendre l’expérience tabagique plus agréable pour certains fumeurs. L’industrie du tabac a notamment rapidement découvert que le menthol interagissait en synergie avec la nicotine, et permettait notamment de compenser les produits du tabac avec de « faibles teneurs nicotiniques et de goudrons », de plus en plus proposés par l’industrie du tabac comme des solutions pour répondre aux inquiétudes des consommateurs quant à la nocivité du tabagisme pour la santé[12].
Menthol et santé : un imaginaire centenaire
On attribue classiquement l’invention de la cigarette mentholée à Lloyd « Spud » Hughes, dans les années 20, qui mélangeait secrètement à son tabac les cristaux de menthol destinés à soulager son asthme. Les premières cigarettes mentholées ont ainsi été promues dans les années trente en tant que remèdes ou alternatives plus sûres et moins irritantes que les cigarettes traditionnelles. Le menthol renvoyant par ailleurs à l’imaginaire pharmaceutique et de la médication, la stratégie initiale de l’industrie du tabac a été d’associer les produits mentholés à l’idée d’un tabagisme plus sain et moins dangereux. A ce moment, des marques comme Kool présentent la cigarette mentholée comme un produit de consommation occasionnel, destiné à soulager les maux de gorge provoqués par la fumée des cigarettes classiques[13]. Alors qu’il est aujourd’hui établi depuis longtemps que les produits du tabac mentholés ne possèdent non seulement aucune vertu sur le plan sanitaire, et sont à de nombreux égards plus dangereux que les cigarettes classiques, le menthol bénéficie encore aujourd’hui d’une perception altérée des risques réels encourus par le consommateur[14]. Dans son rapport de 2013 sur la cigarette mentholée, la Food and Drug Administration (FDA) allait dans le même sens : « Les propriétés rafraîchissantes et anesthésiantes du menthol […] et les preuves indiquant que les cigarettes mentholées sont commercialisées comme une alternative plus douce aux cigarettes non mentholées font que les cigarettes mentholées présentent probablement un risque pour la santé publique supérieur à celui des cigarettes non-mentholées ». L’apparition de nouvelles marques sur le marché américain comme Salem (1956), ou Newport (1957), marque un nouveau souffle dans les stratégies marketing développées par l’industrie du tabac à l’égard des produits mentholés. Tout en gardant les messages sanitaires évoqués plus haut en arrière-fond, les cigarettiers mettent désormais davantage l’accent sur les saveurs rafraîchissantes du menthol, qui cesse d’être un produit occasionnel pour devenir un objet de consommation quotidienne.La femme, première cible marketing des produits du tabac mentholés
Les femmes ont été la première cible marketing envisagée par l’industrie du tabac pour la consommation de produits mentholés. Ainsi, dès les années cinquante, les produits du tabac mentholés sont majoritairement consommés par des femmes, alors que le tabagisme est à cette époque une pratique essentiellement masculine. Dans un grand nombre de pays, les compagnies de tabac ont identifié les femmes comme un vecteur potentiel de croissance. En particulier, dans beaucoup de pays au sein desquels on observait une prévalence tabagique faible des femmes (due à la mauvaise image sociale du tabagisme féminin) l’industrie du tabac a massivement fait la promotion des produits mentholés. Ces derniers étaient perçus par les cigarettiers comme un élément clé d’initiation pour des millions de femmes à travers le monde[15]. L’exemple japonais est à ce titre une illustration particulièrement édifiante pour comprendre ce phénomène[16]. A partir de 1986, le Japon met fin au monopole d’Etat sur le tabac de la Japan Tobacco Industry pour ouvrir le marché à la concurrence étrangère. Les compagnies de tabac, en particulier américaines, vont déployer un effort publicitaire colossal pour s’implanter dans ce nouveau marché. Ainsi, sur les soixante milliards de yens dépensés en publicité pour le tabac au Japon en 1993, la moitié était du fait des entreprises non-japonaises. Très rapidement, l’industrie du tabac voit dans le menthol un outil marketing efficace pour s’adresser au marché féminin, jusque-là limité. Les cigarettiers vont ainsi développer des gammes de cigarettes menthol spécialement dédiées aux femmes, en leur donnant des attributs désignés comme féminins : cigarettes plus fines, moins irritantes, contenant des taux de goudrons plus faibles et donc présentées comme plus sûres pour la santé, et comme de véritables accessoires de modes[17]. Il s’agit alors de produits d’appel uniquement conçus pour faciliter l’initiation tabagique des jeunes filles : les études menées à ce sujet montrent qu’au fur et à mesure de leur consommation, la femme va progressivement se tourner vers des produits plus forts en nicotine et en goudrons, à des niveaux semblables à ceux des hommes. Encore une fois, les documents internes de l’industrie du tabac constituent une ressource précieuse pour comprendre et objectiver les stratégies de l’industrie : « Les femmes fumeuses de menthol sont généralement plus satisfaites des cigarettes mentholées que les hommes, car les cigarettes mentholées actuelles répondent à un plus large éventail de besoins pour celles-ci (en particulier les besoins psychologiques, comme la mode, ou l’expression de la féminité) » Au Japon, la croissance du menthol a ainsi systématiquement dépassé la croissance totale du marché local du tabac. La stratégie du menthol par les compagnies étrangères est par ailleurs couronnée de succès : dès 1992, 58% du marché des produits du tabac mentholés sont détenus par des entreprises étrangères. Celui-ci prend au fil des années une place de plus en plus considérable : si les produits mentholés ne constituent que 5% du marché total japonais en 1995, ils en représentent plus de 20% en 2008. Cet engouement pour la cigarette mentholée s’observe particulièrement chez les jeunes femmes japonaises : en 1996, 22,7% des adolescentes fumeuses consomment des produits mentholés, contre 8,2% des jeunes adolescents. Quatre ans plus tard seulement, la proportion atteint respectivement 48,1% pour les premières contre seulement 11,7 pour les seconds. Le menthol est en partie responsable de la hausse de la prévalence tabagique observée auprès de la population japonaise féminine à la fin du 20ème siècle. Entre 1995 et 2000, la part de japonaises fumeuses, âgées de 20 à 29 ans, a presque doublé, passant de 10% à 19% en l’espace de seulement cinq années. L’exemple nippon est un avertissement pour les politiques de santé publique pour anticiper et prévenir les stratégies prédatrices de l’industrie du tabac dans les marchés émergeants, ou au sein des pays caractérisés par une faible prévalence tabagique des femmes.L’afro-américanisation du menthol : un succès marketing, un désastre sanitaire
A partir des années 60, au moment de l’apogée des combats pour les droits civiques aux Etats-Unis, de Martin Luther King et de la « black pride », la marque Kool décide, la première, de s’engager dans une stratégie de marketing ethnique. Le cigarettier a agi comme un véritable catalyseur, un marqueur social et ethnique pour toute une catégorie de population. A tel point que ce marqueur est devenu un des éléments de l’imaginaire afro-américain de cette décennie. La stratégie est un succès commercial total : au début des années 70, 56% des jeunes adultes fumeurs noirs fument la marque Kool, considérée alors comme la « Marlboro des Noirs[18] ».Un produit associé à l’imaginaire culturel afro-américain
Pour s’adresser à ce nouveau marché en croissance, l’industrie du tabac a su positionner ses produits sous l’angle de la nouveauté, de la hype, de la jeunesse et de la santé[19]. Des marques comme Kool ont pu s’imposer à cette minorité grâce à des stratégies marketing efficaces et savamment orchestrées. Les cigarettiers ont ainsi cherché à s’attirer la sympathie de la communauté Noire en parrainant nombre d’événements culturels, en investissant des fonds dans les médias dédiés à la minorité Noire ou encore dans les quartiers populaires et afro-américains. La musique a été un outil particulièrement prisé par l’industrie du tabac pour s’adresser à la jeunesse afro-américaine. L’entreprise Brown & Williamson s’est à ce titre illustrée en proposant la première le Kool Jazz Festival dès 1975[20], le Kool City Jam dans les années 80, ou encore en lançant la campagne Kool Mixx au début des années 2000, proposant notamment des paquets mettant en scène des DJ, des rappeurs, ou encore des danseurs[21]. L’industrie du tabac n’a cessé d’accroitre son effort publicitaire en faveur du menthol, passant de 13 à 76% du total des dépenses entre 1998 et 2006. Cette intensification s’est fait particulièrement ressentir dans la presse afro-américaine : entre 1998 et 2002, le magazine Ebony, s’adressant à cette minorité, était 9,8 fois plus susceptible que People de contenir une publicité en faveur du menthol[22]. L’industrie du tabac devient dès lors un pilier caritatif des organisations culturelles, éducatives et politiques noires, tout en cherchant à se faire bien percevoir par la communauté afro-américaine par une politique ostensiblement progressiste. Dès la fin des années 50, un journal suprémaciste blanc appelle ainsi au boycott de Philip Morris pour avoir le mélange racial le plus élevé des grandes entreprises aux Etats-Unis, pour avoir embauché des Noirs dans des postes à responsabilité, ou encore pour avoir fait de la publicité dans la presse dédiée aux afro-américains. Il s’agit en fait d’appuyer l’idée d’une communauté de destin entre l’industrie du tabac et la minorité Noire américaine. En 1987, un article écrit par un responsable de RJ Reynolds dans le National Black Monitor va jusqu’à comparer l’oppression subie par les Noirs aux Etats-Unis à la « discrimination implacable », « transnationale » contre l’industrie du tabac et « 50 millions de simples citoyens qui fument »[23]. L’effort entrepris par les cigarettiers américains pour cibler leurs produits mentholés est si large et systématique que l’on qualifie le phénomène d’« afro-américanisation des cigarettes mentholées[24] ».Des pratiques commerciales agressives
Les politiques décrites ci-dessus sont doublées par une stratégie marketing et commerciale particulièrement agressive à l’encontre des afro-américains. Les nombreuses études menées sur le sujet montrent que les quartiers Noirs des Etats-Unis comptent une densité de détaillants supérieure à la moyenne nationale. De la même manière, un travail de recherche publié en 2010 soulignait le fait que l’on compte davantage de buralistes auprès des écoles fréquentées par les minorités et les populations précaires[25]. Les chercheurs, en étudiant les modes de commercialisation du tabac mentholé auprès des écoles ont constaté que pour chaque augmentation de 10% d’élèves afro-américains dans une école, le volume publicitaire pour les produits mentholés augmentait de 6% dans les environs directs de l’établissement[26]. Qualifiés de prédateurs, les cigarettiers ont été enfin pointés du doigt à plusieurs reprises pour proposer des produits du tabac moins chers et pour intensifier l’effort publicitaire en faveur du menthol au sein des quartiers afro-américains : une étude menée à Washington en 2013 montrait que ces derniers comptaient jusqu’à dix fois plus de publicités pour le tabac que les autres[27].Un ravage sanitaire
Les résultats de ce ciblage communautaire sont par ailleurs particulièrement éloquents. Une étude de 2013 menée en Californie montrait par exemple que les étudiants issus de la communauté afro-américaine étaient trois fois plus susceptibles que les autres d’identifier la marque Newport, leader dans les produits du tabac mentholés aux Etats-Unis[28]. De la même manière, presque 90% des fumeurs afro-américains fument des produits du tabac mentholés, contre moins de 30% des fumeurs blancs[29]. Le menthol est également prisé auprès des jeunes afro-américains (12-17 ans), puisque 70% des fumeurs de cette catégorie d’âge déclarent fumer des produits mentholés[30]. Les recherches menées en santé publique estiment qu’aux Etats-Unis, le menthol est l’une des causes explicatives des inégalités existantes entre blancs et noirs en termes de santé[31]. En effet, alors que la prévalence tabagique des afro-américains est sensiblement plus faible que celle observée auprès de l’ensemble de la population américaine, la communauté Noire serait proportionnellement davantage victime de maladies chroniques évitables attribuables au tabac. Les chiffres publiés par Truth Initiative en 2018 soulignent enfin que 45% des fumeurs Noirs déclareraient arrêter de fumer si les produits du tabac mentholés étaient interdits. [32]Le menthol comme produit d’appel : le ciblage des jeunes générations
Si les produits du tabac mentholés n’ont pas étés conçus initialement pour les adolescents et les jeunes adultes, les cigarettiers ont rapidement compris l’intérêt que pouvait revêtir le menthol pour entraîner les jeunes générations dans le tabagisme, en réduisant les expériences initiales aversives, comme on a pu le mentionner plus haut. Ainsi, une étude menée en 1971 par Philip Morris montrait que les fumeurs de Newport King étaient en moyenne beaucoup plus jeunes que les fumeurs d’autres marques (24,8 ans pour les premiers contre 38 ans pour les seconds), démontrant que le menthol, même à de faibles concentrations, caractéristiques de cette marque, plaisaient particulièrement aux jeunes consommateurs[33]. Ces résultats vont donner le la aux stratégies marketing pour la plupart des compagnies de tabac : à partir des années 80, toutes les grandes compagnies de tabac vont proposer une gamme de cigarettes à faible dosage de menthol, afin de s’adresser spécifiquement à cette tranche d’âge[34]. Si les cigarettiers ont d’ailleurs systématiquement nié cibler les jeunes, les documents internes montrent que cette pratique est en réalité un élément structurel et endémique de la stratégie de l’industrie du tabac :« Créer une cigarette ostensiblement orientée vers les jeunes […] impliquerait un nom, un mélange, une saveur, et une technique de commercialisation particulières. Par exemple, une saveur qui rappellerait le goût du bonbon tout en donnant la satisfaction d’une cigarette ». « La première réaction des fumeurs est généralement négative. […] Les premiers négatifs peuvent être atténués avec un faible niveau de menthol. »Ce basculement général observé dans les années 80 s’explique aisément : on estime que neuf fumeurs sur dix ont commencé leur consommation tabagique avant l’âge de 18 ans[35]. Le recrutement de nouvelles générations de fumeurs devient ainsi un enjeu de survie économique pour l’industrie du tabac, qui doit en permanence remplacer les anciennes générations de fumeurs. Pour cibler les jeunes, une marque comme Newport n’a pas hésité, dans les années 90, à créer des publicités mettant en scène des situations enfantines et puériles, comme le montre l’image ci-dessus. Les produits du tabac aromatisés en général, et les produits du tabac mentholés en particulier, jouent le rôle de rabatteur auprès des jeunes générations, afin de les initier et les maintenir dans le tabagisme. On estime à ce titre qu’un adolescent s’initiant au tabagisme avec un produit aromatisé a trois fois plus de chance qu’un autre de devenir fumeur régulier. Dans une étude publiée en 2015 dans le Journal of American Medical Association, 81% des jeunes ayant consommé des produits du tabac déclaraient avoir commencé avec des produits aromatisés. La proportion de consommateurs de cigarettes mentholées est d’ailleurs significativement supérieure chez les 12-17 ans (54%) que chez les fumeurs adultes (32%). Deux tiers des adolescents consommateurs de mentholées affirment explicitement leur appétence pour le goût particulier que leur procurent ces produits[36]. Ainsi, les documents internes de l’industrie du tabac démontrent que cette dernière a développé une connaissance extrêmement précise de ses consommateurs, et mis en place des outils marketing particulièrement efficaces, ciblant ses messages selon une catégorisation ethnique, genrée, générationnelle et sexuelle (la communauté LGBT étant une des cibles prioritaires des produits du tabac mentholés[37] : on estime à ce titre que 71% des jeunes fumeurs issus de la communauté LGBT aux Etats-Unis consomment des produits mentholés[38]).
La législation sur le menthol : panorama
Les articles 9 et 10 de la Convention-Cadre de l’Organisation Mondiale de la Santé pour la Lutte AniTabac (CCLAT) abordent la question de la réglementation de la composition des produits du tabac et de l’information sur ces produits. Pour aider les pouvoirs publics à mettre ces articles en application, la Conférence des Parties a publié des directives partielles concernant la restriction et l’interdiction des ingrédients susceptibles d’améliorer la palatabilité des produits du tabac, à l’instar des sucres, des édulcorants, ou des agents aromatisants. Toutefois, comme le souligne un rapport de l’OMS, aucune recommandation n’a été encore émise pour le menthol[39]. Ces dernières années, un certain nombre d’Etats ont règlementé ou interdit l’usage d’additifs dans les produits du tabac, cherchant ainsi à diminuer l’attractivité de ces derniers, en particulier auprès des jeunes générations. Ainsi, alors que le menthol faisait exception à l’interdiction des agents aromatisants dans les produits du tabac, décidée par l’amendement du Tobacco Act canadien en 2009, cinq provinces ont toutefois promulgué l’inclusion du menthol dans cette nouvelle réglementation. De la même manière, l’Ethiopie a été l’un des premiers pays à interdire la vente et la distribution de produits du tabac aromatisés sans faire l’impasse sur le menthol, à l’exception toutefois du narguilé[40]. On peut également noter que l’Union européenne, qui interdit le menthol à partir du 20 mai 2020, a d’ores et déjà banni l’utilisation de menthol dans les capsules des cigarettes convertibles dès le 20 mai 2016. Toutefois, au-delà de ces quelques exemples, l’histoire de la réglementation montre une certaine tendance à l’exemption du menthol dans l’interdiction des produits du tabac aromatisé. Ainsi, en 2009, quand la Food and Drug Administration (FDA) bannit les « characterizing flavors » au niveau fédéral, le menthol n’est pas concerné par cette nouvelle réglementation, alors que plus de la moitié des fumeurs adolescents âgés de 12 à 17 consomment des produits du tabac mentholés, 85,8% des fumeurs afro-américains, 46% des fumeurs de la communauté hispanique, et 28,7% des fumeurs blancs[41]. La volonté de certains décideurs publiques de légiférer sur le menthol est confrontée à une opposition systématique de l’industrie du tabac. Et pour cause, les produits mentholés représentent environ 10% du marché total du tabac, et dépassent les 25% dans de nombreux pays clés comme les Philippines ou les Etats-Unis[42]. Par ailleurs, nous l’avons vu, le menthol revêt un enjeu de taille pour la survie économique des cigarettiers, puisqu’il permet d’attirer chaque année des millions de jeunes consommateurs. Les propriétés du menthol en font enfin un produit plus difficile à arrêter. Ainsi, le menthol semble ralentir considérablement la tendance générale de la baisse de la consommation tabagique : aux Etats-Unis par exemple, les ventes de cigarettes mentholées sont restées stables entre 2000 et 2005, malgré une baisse de 22% du total des paquets vendus pendant le même intervalle de temps[43].L’interférence de l’industrie
Pour comprendre les stratégies mobilisées par l’industrie du tabac pour lutter contre les politiques publiques proposant l’interdiction de vente des produits mentholés, il est intéressant d’analyser celles-ci à la lumière de la taxonomie élaborée par Anna B. Gilmore[44]. Toute forme de réglementation étant considérée comme contraire aux intérêts de l’industrie du tabac et de ses alliés, ces derniers vont s’y opposer en cherchant à atteindre l’un de ces six objectifs : défaire la législation proposée, la reporter, l’affaiblir, la verrouiller, la renverser, ou ne pas en respecter les dispositions. Pour se faire, les cigarettiers vont ici déployer un certain nombre de stratégies discursives et instrumentales, parmi lesquelles :L’exagération des coûts potentiels et le démenti des bénéfices
Pour empêcher la mise en place de l’interdiction du menthol, l’industrie du tabac va successivement surévaluer les coûts qu’engendrerait une telle mesure, tout en en niant ou en en minimisant les bénéfices. Si l’on prend l’exemple du Chili, la loi nationale confère au Ministère de la Santé l’autorité de restreindre ou d’interdire des substances dans la composition des produits du tabac, si celles-ci sont susceptibles d’en augmenter la nocivité ou le caractère addictif[45]. Conformément à cette disposition légale, le Ministre de la Santé a cherché en 2013 à interdire la vente de produits mentholés au sein du marché chilien. La réponse des cigarettiers ne s’est pas faite attendre : Carlos Lopez, alors directeur des affaires institutionnelles de British American Tobacco, interpelle le Ministre dans une lettre ouverte[46], mentionnant le fait qu’il n’existait pas à ce jour de preuves scientifiques démontrant que les produits du tabac mentholés étaient plus nocifs et plus addictifs que les produits du tabac non-mentholés. Pourtant, deux ans auparavant, un rapport de l’organisme de contrôle Tobacco Products Scientific Advisory Committee (TPSAC) concluait que : « retirer les produits du tabac mentholés serait bénéfique pour la santé publique »[47]. La stratégie est donc double : en même temps qu’elle permet de verrouiller une mesure légale de régulation, elle minimise les risques sanitaires des produits du tabac mentholés. Dans la même idée, à la suite de la décision du Sénat d’interdire le menthol en 2015, BAT a produit un communiqué mentionnant que la mesure « affecterait des milliers de Chiliens responsables, qui travaillaient en toute légalité depuis plus de cent ans »[48]. Aux Etats-Unis, des porte-paroles de l'industrie ont estimé que les ventes de menthol sur le marché noir représenteraient un manque à gagner fiscal de « plusieurs milliards de dollars », et conduiraient à « la perte de plus de 500 000 emplois d’américains »[49].La mobilisation de tierces-parties
L’industrie du tabac va mobiliser des intermédiaires présentés comme légitimes et indépendants, afin de relayer ses prises de position. Les cigarettiers vont notamment s’associer avec des groupes présentant des « intérêts communs greffés », c’est-à-dire des groupes dont les intérêts convergeants avec l’industrie du tabac sont non-commerciaux. Nous l’avons vu plus haut, les associations afro-américaines sont aux Etats-Unis un exemple de ce type de groupes. Comme le souligne Anna B. Gilmore, les « incitations financières sont le principal mécanisme de recrutement » de ces groupes de soutien. C’est d’ailleurs ce que montre le Center for Responsive Politics : en 2014, la moitié des membres démocrates issus de la communauté afro-américaine du Congrès avaient reçu un soutien financier de la part de Lorillard, contre seulement un membre sur 38 pour les démocrates non afro-américains[50]. Les organisations de santé américaines pointent du doigt la difficulté de légiférer sur le menthol sans un large soutien des organisations afro-américaines, dont certaines acceptent l’argent des cigarettiers depuis des décennies, à l’instar de la National Black Chamber of Commerce, du Congress of Racial Equality, de la National Black Law Enforcement Executives (NOBLE), ou de la National Black Police Association (NBPA), qui s’opposent toutes activement à l’interdiction du menthol.La gestion de l’information sur le menthol par l’industrie du tabac
Les cigarettiers, pour empêcher ou retarder une mesure comme l’interdiction du menthol, vont produire et amplifier un certain nombre d’informations plus ou moins avérées. De cette façon, aux Etats-Unis, les opposants à la réglementation ont avancé l’idée selon laquelle une interdiction du menthol conduirait à l’augmentation de la contrebande et du marché noir, qui, selon le Center for Regulatory Effectiveness, serait plus dangereuse pour la santé que les produits mentholés eux-mêmes. L’argument de la contrebande est une ritournelle de l’industrie du tabac depuis longtemps contredite par les études indépendantes. Dans sa taxonomie, Anna B. Gilmore note par ailleurs que les politiques publiques antitabac profitent toujours aux groupes « imméritants », ici les trafiquants, tandis que les effets négatifs sont toujours supportés par des acteurs « méritants » (les « 500 000 emplois » aux Etats-Unis, ou les « milliers de Chiliens responsables ». La NBPA a lancé une campagne contre l’interdiction des produits mentholés, conduisant à la publication de plus de 36 000 commentaires sur le site internet de la FDA, mentionnant notamment que « l'interdiction des cigarettes au menthol entraînera un profilage supplémentaire, des arrestations et des problèmes au sein de la communauté afro-américaine » [51]. Toujours selon la chercheuse, des « universitaires cooptés sont embauchés pour élaborer et diffuser des critiques des éléments de preuves fournis par le monde de la santé publique ». La contestation des éléments de preuves scientifiques fait en effet partie des stratégies privilégiées de l’industrie du tabac. Des porte-paroles de l'industrie ont par exemple attaqué la justification scientifique de l'interdiction du menthol, arguant que la recherche sur l'usage de la cigarette mentholée et de l'initiation au tabac est limitée par des problèmes de mesure. De cette façon, l’entreprise de tabac Lorillard a pu contester l’ensemble du rapport produit par le TPSAC sur la dangerosité du menthol. Selon le cigarettier : « les méthodes du TPSAC ne sont ni transparentes ni fondées sur des preuves. Les méthodes du TPSAC pour parvenir à ses conclusions ne peuvent être reproduites et de nombreuses conclusions ne sont pas scientifiquement pertinentes »[52]. L’industrie du tabac cherche enfin à décrédibiliser et isoler les acteurs militant contre l’exemption dont bénéficie le menthol aux Etats-Unis. Ainsi, alors que sept anciens dirigeants de la Health and Human Services appelaient à une uniformisation de la législation sur les arômes des produits du tabac, afin de protéger la jeunesse Noire, le cigarettier Lorillard a directement répliqué dans la presse afro-américaine : « Certains militants autoproclamés ont proposé une interdiction législative des cigarettes mentholées dans un effort malavisé pour forcer les gens d'arrêter de fumer en limitant leurs choix », a averti une annonce. L’industriel ajoute, ailleurs: « L'histoire des afro-Américains dans ce pays a été celle de la lutte contre les limitations paternalistes et pour les libertés ».Dissuader par la menace légale et financière
Comme le souligne Anna Gilmore, l’industrie du tabac va multiplier le nombre de litiges à l’encontre des pouvoirs publics, en vertu de juridictions nationales ou d’accords commerciaux. Cette pratique a une fonction dissuasive, destinée à augmenter la perception des coûts de la santé publique auprès des décideurs politiques. Ce « refroidissement réglementaire » permet ainsi de tuer dans l’œuf un certain nombre de mesures antitabac. Ainsi, en 2013, la ville de Providence agissant pour l’industrie du tabac, dans l’Etat de Rhode Island, a réussi à contester deux ordonnances : une interdisant la vente de produits du tabac aromatisés (hors cigarettes), et une interdisant des opérations de promotion du tabac. L'industrie a fait valoir que ces ordonnances étaient préemptées par les lois fédérales et étatiques, et qu’elles violaient le Premier Amendement[53]. La menace financière est également un outil employé par les cigarettiers. Elle peut être de différente nature : désinvestissement financier, retenue des investissements publicitaires pour les médias, demandes d’indemnisation. Ainsi, en 2015, après avoir dénoncé la loi chilienne contre le menthol « anticonstitutionnelle et arbitraire », British American Tobacco a entamé un processus de désinvestissement dans le pays, en licenciant 20% de ses salariés employés au Chili[54].En Europe
Au sein de l’Union européenne, la directive sur les produits du tabac (TPD) établit les règles en matière de fabrication, de présentation, et de vente du tabac et de ses produits dérivés. Entrée en vigueur en mai 2014, la directive est applicable dans les Etats membres de l’Union européenne depuis le 20 mai 2016. Cette directive a notamment permis d’autoriser les Etats membres à interdire la vente en ligne de produits du tabac, à introduire un système d’identification et de traçabilité dans toute l’Union européenne, à interdire les éléments « publicitaires et trompeurs » sur les produits du tabac ou les cigarettes électroniques, à systématiser l’apposition d’avertissements sanitaires sur 65% des faces avant et arrière des paquets de cigarettes et du tabac à rouler, ou encore, à interdire les cigarettes et le tabac à rouler contenant des « arômes caractérisants[55] », permettant de « faciliter l’initiation à la consommation de tabac ou avoir une incidence sur les habitudes de consommation » [56]. Le menthol, dont « le volume des ventes à l’échelle de l’Union représente 3 % ou plus dans une catégorie de produits déterminée », a bénéficié d’un délai pour son retrait du marché européen, pour « accorder aux consommateurs le temps nécessaire pour passer à d’autres produits ». Ce délai a en réalité été obtenu par le Parlement européen à la suite d’une campagne de lobbying massive de la part de l’industrie du tabac. Selon une étude menée par Tobacco Control en 2016 sur le sujet, le cigarettier Philip Morris International (PMI) a à lui-seul embauché plus de 160 lobbyistes et dépensé plus de 1,25 millions d’euros pour miner la directive sur les produits du tabac, contre seulement cinq défenseurs de la santé publique. L’industrie du tabac a également eu massivement recours à des tierces-parties pour défendre ses intérêts, à l’instar de l’Association européenne des cultivateurs de tabac, la Fédération européenne de l’alimentation, les Syndicats de l’agriculture et du tourisme, ou encore la Fédération européenne des transformateurs de tabac, actifs sur les questions de la composition des produits du tabac[57]. Comme le montre l’étude, la campagne menée par les cigarettiers a cherché à déplacer le curseur du débat, en se focalisant sur les impacts économiques supposés de la directive plutôt que sur les conséquences sanitaires du statu quo. Selon les documents internes publiés par The Observer, la stratégie de l’industrie du tabac consistait à « retarder » ou à « modifier[58] » la directive, et que le menthol soit exclu de la liste des arômes caractérisants établi par la TPD[59].La stratégie des cigarettiers et de leurs alliés après l’interdiction du menthol
A la suite de la propagation de la pandémie de COVID-19, et des mesures de confinement décrétées sur le territoire français, la Confédération européenne des Détaillants de Tabac (CEDT), notamment coprésidée par Philippe Coy (président actuel de la Confédération des Buralistes), a adressé un courrier à la Direction Générale de la Santé de la Commission européenne, afin d’obtenir d’elle un délai supplémentaire avant la mise en place de l’interdiction de vente de cigarettes et de tabac à rouler mentholés, prétextant que les baisses de vente de l’industrie du tabac ne permettraient pas aux buralistes d’écouler leurs stocks[60].Face à l’interdiction de vente de cigarettes et de tabac à rouler mentholés, les compagnies de tabac ont redoublé de créativité pour contourner la réglementation : au début de l’année 2020, Imperial Brands a commencé à vendre des bandes de carton pouvant être insérées dans les paquets de cigarettes ou les blagues de tabac à rouler, afin de conférer à ceux-ci un arôme mentholé. Rival Japan Tobacco a, quant à lui, introduit sur le marché des cigarillos à capsule mentholée, ces derniers n’étant pas concernés par la directive de 2014[61]. Les cigares bénéficient en effet d’une réglementation beaucoup moins contraignante que les cigarettes classiques et le tabac à rouler. La loi sur le paquet neutre ne s’applique pas sur eux, ni celle sur les arômes, et les conditionnements inférieurs à vingt unités sont autorisés à la vente, quand on sait que les petits formats, moins chers, sont davantage susceptibles d’être achetés par les plus jeunes. En France, la définition légale des cigares est à ce jour insuffisante, et permet ainsi à l’industrie du tabac de vendre des produits qui s’apparentent en réalité de plus en plus à des cigarettes classiques, sapant de fait une partie des avancées faites en matière de réglementation. De la même manière, la fiscalité sur les cigares et cigarillos est nettement plus avantageuse. Comme le rappelait déjà le Comité National Contre le Tabagisme en 2014, considérant que le profil de consommation de ces produits renvoie plutôt à des catégories socioéconomiques favorisées, les cigares, par leur faible taxation, constituent en soi une niche fiscale payée par la collectivité. La législation sur les cigarettes électroniques est également insuffisante : ces produits, exemptés de l’interdiction du menthol, sont massivement investis par l’industrie du tabac pour devenir des produits d’appel séduisants pour les jeunes générations. Au lieu d’être considérées comme des outils de sevrage, celles-ci sont au contraire présentées comme des alternatives plus sûres que la cigarette traditionnelle. Or, la présence de nicotine dans les cigarettes électroniques fait de ces dernières un objet de consommation addictogène et dangereux, et donc à éloigner des jeunes générations. A l’occasion de la Journée Mondiale Sans Tabac, prévue le 31 mai, centrée sur l'utilisation du tabac et de la nicotine chez les jeunes et la manipulation des industriels du tabac, il est important de rappeler la nécessité d’étendre la législation en vigueur des cigarettes et du tabac à rouler sur l’ensemble des produits de l’industrie du tabac, afin que ces produits ne jouent plus le rôle de Cheval de Troie ou de passerelle vers le tabagisme, qu’il s’agisse des cigares, des cigarillos, du tabac à chauffer ou encore des cigarettes électroniques. ©Génération Sans TabacEn France, jusqu’en mai 2016, la publicité pour les produits du tabac sur le lieu de venté était autorisée, sous réserve d’un certain nombre de critères (les affichettes, en format 60X80 , devaient se tenir à une présentation épurée du produit, en ne mentionnant que la dénomination du produit, sa composition, ses caractéristiques et conditions de vente, à l’exception du prix, le nom et l’adresse du fabricant et, le cas échéant, du distributeur, ni d’autre représentation graphique ou photographique que celle du produit, de son emballage et de l’emblème de la marque). Les industriels ont déployé leur créativité pour contourner ces contraintes formelles. Comme le montrent ces images, les affichettes servent de véritable écrin publicitaire pour mettre en avant les produits, en évoquant les propriétés rafraîchissantes du menthol. La sémantique des deux affichettes renvoie en effet à l’univers symbolique du froid, et fait un rappel évident aux bonbons et aux chewing-gum mentholés, potentiellement susceptibles d’attirer les plus jeunes