Tabac : les progrès mondiaux ralentissent, l’Europe en retard sur les objectifs de l’OMS
15 octobre 2025
Par: Comité national contre le tabagisme
Dernière mise à jour : 8 octobre 2025
Temps de lecture : 8 minutes
Malgré une baisse continue du tabagisme depuis vingt ans, le nouveau rapport mondial de l’Organisation mondiale de la Santé révèle un ralentissement du recul de la consommation de tabac, qui compromet la réalisation des objectifs fixés pour 2025. Si plusieurs régions du monde, notamment l’Afrique, les Amériques et l’Asie du Sud-Est, ont déjà atteint ou dépassé la cible de réduction de 30 %, d’autres — dont l’Europe — accusent un net retard. Le continent européen demeure aujourd’hui la région la plus consommatrice de tabac, en particulier chez les hommes, avec un rythme de déclin parmi les plus lents au monde[1].
Des résultats contrastés à l’échelle mondiale
Selon le rapport mondial de l’OMS sur les tendances du tabac 2000–2024 et projections 2025–2030, la proportion d’adultes consommant du tabac est passée de 33 % en 2000 à 19,5 % en 2024. Cette baisse demeure significative, mais le monde n’atteint pas encore la réduction relative de 30 % prévue pour 2025 : la prévalence actuelle reste légèrement au-dessus de la cible fixée à 18,3 %. À ce rythme, l’objectif ne devrait être atteint qu’en 2028.
L’analyse révèle des trajectoires régionales très contrastées. L’Afrique, les Amériques et l’Asie du Sud-Est figurent parmi les régions les plus dynamiques. En Afrique, la prévalence moyenne est tombée de 13,4 % en 2010 à 9,3 % en 2025, atteignant ainsi la cible mondiale. Dans les Amériques, elle a diminué de 21,3 % à 13,6 %, soit une réduction relative de 36 %, tandis que l’Asie du Sud-Est enregistre la plus forte baisse, de 37,7 % à 22,7 %, ce qui lui a permis d’atteindre la cible dès 2021.
À l’inverse, la région européenne, la Méditerranée orientale et le Pacifique occidental accusent un retard préoccupant, leurs progrès demeurant nettement inférieurs à la moyenne mondiale. En Europe, la prévalence atteint encore 23,8 % en 2025, soit une réduction relative de 19 % seulement par rapport à 2010. Dans la région du Moyen-Orient, la baisse reste limitée à 19 %, passant de 22 % à 17,8 %, tandis que la région du Pacifique occidental affiche la diminution la plus faible au monde, à 12 %, avec une prévalence moyenne de 22,7 % et jusqu’à 43 % chez les hommes.
Les écarts entre les sexes demeurent conséquents : 32,5 % des hommes âgées de plus de 15 ans fument encore, contre 6,6 % des femmes, un rapport de cinq pour un qui s’est accentué au fil des décennies. Le rapport souligne enfin que le nombre absolu de fumeurs reste considérable : 1,2 milliard de personnes consomment encore du tabac, dont près d’un milliard d’hommes. Cependant, les femmes demeurent une cible privilégiée du marketing de l’industrie du tabac, notamment dans les pays à revenu faible et intermédiaire où les taux de consommation féminine restent plus faibles. Aussi l’OMS appelle à la vigilance pour prévenir la remise en cause des progrès observés au cours des dernières décennies.
L’Europe, première région consommatrice de tabac
Avec près d’un quart de sa population adulte consommatrice de tabac, l’Europe demeure la région la plus touchée au monde. Le recul du tabagisme y reste lent et inégal : 30,8 % des hommes et 17,4 % des femmes fumaient encore en 2024. Dans plusieurs pays d’Europe de l’Est et du Sud-Est, la prévalence masculine dépasse 35 %, tandis que la consommation féminine demeure stable autour de 20 % en moyenne dans les pays d’Europe occidentale.
Cette situation reflète à la fois des politiques nationales hétérogènes et l’influence persistante de l’industrie du tabac, qui continue de freiner l’adoption de mesures fortes. Cette influence de l’industrie du tabac est d’autant plus prégnante que les fabricants réalisent des marges bénéficiaires particulièrement élevées dans ces pays. Dans de nombreux États membres, la hausse des taxes, l’interdiction complète de la publicité ou les espaces sans tabac restent peu ou pas appliqués, affaiblissant l’impact global des politiques publiques. Dans le cadre de la publication de son nouveau rapport mondial, l’OMS appelle les gouvernements à renforcer et accélérer la mise en œuvre des politiques de lutte antitabac. L’organisation souligne que, malgré les progrès réalisés, le ralentissement observé dans plusieurs pays compromet les objectifs globaux fixés et risque d’entraîner une hausse évitable des maladies et décès liés au tabac. Elle avertit que, « sans action renforcée, le ralentissement actuel se traduira directement par des décès évitables dans les années à venir ».
Ce rappel intervient dans un contexte européen marqué par la révision en cours de la directive sur la fiscalité du tabac, un texte stratégique visant à harmoniser les niveaux de taxation entre États membres et à mieux intégrer les considérations de santé publique dans la politique fiscale. Cette révision, actuellement débattue au sein du Conseil de l’UE, pourrait permettre d’accroître la convergence des prix du tabac et de réduire les écarts qui alimentent encore le commerce transfrontalier. Plusieurs États membres soutiennent une approche ambitieuse intégrant une hausse des droits d’accise sur les produits du tabac, tandis que d’autres, invoquant des arguments économiques, freinent les discussions. Pour l’OMS, une harmonisation ascendante des taxes reste l’un des leviers les plus efficaces pour accélérer la baisse du tabagisme sur le continent.
Un appel mondial à accélérer la lutte antitabac
Le nouveau rapport de l’OMS s’accompagne d’un constat partagé par plusieurs experts, notamment ceux de The Union[2], auteurs d’une récente analyse publiée dans le blog du British Medical Journal. Selon eux, la mise en œuvre du traité mondial de lutte antitabac (CCLAT) tend à s’essouffler : si les politiques adoptées au cours des vingt dernières années ont permis une baisse historique du tabagisme, leur rythme d’application et leur niveau d’ambition se sont affaiblis dans de nombreux pays. Ce ralentissement coïncide avec le déploiement d’une nouvelle stratégie globale de l’industrie du tabac visant à reconquérir et diversifier ses marchés, notamment à travers la promotion de nouveaux produits nicotiniques et le repositionnement de son discours autour de la « réduction des risques ».
Face à cette situation, ils appellent les États à raviver leur engagement et à renforcer la mise en œuvre des dispositions du traité. L’organisation souligne la nécessité de compléter les obligations déjà existantes, en particulier celles qui demeurent insuffisamment appliquées : la fiscalité dissuasive, les interdictions complètes de publicité, de promotion et de parrainage, et la protection des politiques publiques à l’égard de l’ingérence de l’industrie du tabac, conformément à l’article 5.3 de la CCLAT.
Ils encouragent également les gouvernements à aller au-delà des dispositions du traité définies au début des années 2000, comme le permet l’article 2.1. Cette mise en œuvre de nouvelles mesures en lien avec l’évolution de la connaissance scientifique et de l’épidémie dans les Parties inclut notamment le renforcement des restrictions sur la commercialisation, la réglementation des nouveaux produits du tabac et de la nicotine et la mise en place de politiques de réduction de la dépendance à la nicotine. Elles intègrent également le principe de l’interdiction de la vente générationnelle. Les recommandations formulées par les experts de The Union convergent avec celles de l’OMS : seule une approche forte, proactive et intégrée permettra de maintenir la dynamique mondiale de réduction du tabagisme.
L’organisation appelle enfin à un financement plus soutenu des programmes antitabac, en particulier dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, où le manque de ressources humaines et techniques entrave encore l’application des lois. Elle insiste également sur la nécessité d’un soutien international renforcé, par le partage d’expertises et de bonnes pratiques entre les États parties au traité.
Cet appel vise à éviter que les progrès accomplis depuis vingt ans ne se figent ou ne s’inversent. L’OMS rappelle que la lutte antitabac doit rester une priorité centrale des politiques de santé publique et de développement durable. La pleine mise en œuvre de la CCLAT demeure essentielle pour réduire la mortalité prématurée liée aux maladies non transmissibles d’ici 2030 et contribuer à réduire le poids des maladies non transmissibles qui mettent en péril les systèmes de soins.
AE
[1] Communiqué, WHO tobacco trends report: 1 in 5 adults still addicted to tobacco, OMS, publié le 6 octobre 2025, consulté le jour-même
[2] Les Hagen, Garima Bhatt, Rakesh Gupta, Sonu Goel, Opinder Preet Kaur Gill & Tara Singh Bam, Report Reveals that Tobacco Control Treaty Progress is Slipping , BMJ Blog, publié le 7 octobre 2025, consulté le jour-même
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