Au Sénégal, la protection contre le lobby du tabac demeure incomplète

2 décembre 2021

Par: Comité national contre le tabagisme

Dernière mise à jour : 2 décembre 2021

Temps de lecture : 5 minutes

Au Sénégal, la protection contre le lobby du tabac demeure incomplète

La Ligue sénégalaise contre le tabac (Listab) dénonce dans un rapport l’inertie du gouvernement et les ingérences de l’industrie du tabac pour freiner l’application des lois antitabac au Sénégal.

Le Sénégal s’est doté, le 28 mars 2014, d’une loi antitabac qui interdit en principe tout contact entre les autorités publiques et l’industrie du tabac. Plusieurs écarts des pouvoirs publics sénégalais vis-à-vis de cette loi, allant en faveur des intérêts de l’industrie viennent entacher l’engagement du pays en matière de lutte antitabac.

Une perméabilité aux arguments de l’industrie du tabac

Les importations de tabac ont ainsi été favorisées à deux titres. D’une part à travers le Code des Impôts, qui exonère de taxes l’importation de tabac et favorise de fait le commerce illicite de cigarettes vers d’autres pays africains, voire vers l’Europe. Il a en effet été montré, par exemple en Afrique du Sud, que les importations excédant la consommation intérieure ont surtout pour but d’alimenter non seulement le commerce transfrontalier, mais aussi les réseaux de contrebande. D’autre part, les voyageurs internationaux peuvent continuer à importer du tabac détaxé, à raison de 200 cigarettes, 50 cigares ou 250 g de tabac, ce qui réduit la portée des augmentations des produits du tabac.

Malgré la loi qui proscrit les contacts avec l’industrie du tabac et son ingérence dans les politiques publiques, le gouvernement a aussi autorisé Philip Morris International (PMI) à financer en 2018 à hauteur de 53 000 dollars US la construction de plusieurs salles de classe dans l’école primaire d’un village. Au cours de la crise sanitaire de 2020 liée à la COVID-19, il a par ailleurs perçu un milliard de francs CFA (1,5 millions d’euros) d’aide pour lutter contre la pandémie de la part de Mohamed Ould Bouamatou, un milliardaire mauritanien enrichi grâce à la vente de cigarettes[1].

Selon la Listab, les gestes apportés par l’industrie du tabac lui ont permis de différer la mise en œuvre de plusieurs mesures, comme l’apposition d’avertissements sanitaires sur les paquets de cigarettes ou l’augmentation de certaines taxes[2]. Le Sénégal reste pourtant plutôt bien noté par le Global Tobacco Industry Interference Index 2021 en termes de résistance aux ingérences de l’industrie du tabac, mais n’obtient qu’un score très insuffisant en raison d’un manque de transparence[3]. Un décret récent indique ainsi que l’État sénégalais a décidé d’adopter le système Codentify de traçabilité des produits de tabac, lequel est inspiré et piloté par l’industrie du tabac ; cet épisode suggère que des contacts ont bien lieu entre l’industrie et certains membres du gouvernement, et indique que les ministères de ce gouvernement ne se sont apparemment pas concertés sur ce sujet puisque les positions du Ministère de la Santé ne semblent pas avoir été entendues.

La taxation du tabac, un levier décisif des actions antitabac

La Ligue sénégalaise contre le tabac n’entend toutefois pas rester en spectatrice de ces agissements. Elle a par exemple organisé, le 18 novembre 2021 au sein du Ministère de la Santé, un atelier destiné aux professionnels des médias pour attirer leur attention et renforcer leurs compétences sur les questions de taxation du tabac[4]. L’association a aussi réclamé à cette occasion une augmentation de 225 francs CFA de la taxe ad valorem (valeur déclarée en devise locale) par paquet de cigarettes, afin de réduire de 10% la prévalence du tabagisme et de financer un fonds d’appui à la lutte antitabac. « Il nous faut des ressources pour pouvoir continuer à lutter car nous faisons face à des lobbys très puissants », a déclaré Djibril Wellé, secrétaire exécutif de la Listab, ajoutant que « dans le même temps, les recettes fiscales augmenteraient de plus de 18 milliards [de francs CFA] par an. » Il est en effet démontré qu’une forte taxation et des augmentations importantes du prix des produits du tabac sont les meilleurs moyens de réduire la prévalence tabagique tout en permettant un accroissement des revenus fiscaux.

Selon une étude menée en 2017-2018 par le Consortium pour la recherche économique et sociale (CRES), un think tank basé à Dakar, le coût total annuel du tabagisme pour le Sénégal est estimé à 122 milliards de francs CFA (186 millions d’euros), dont 74 milliards pour les seuls coûts de santé[5]. Ce coût est supporté à hauteur de 51 milliards par l’Etat et 71 milliards par les ménages.

Mots-clés : Sénégal, taxation, Listab, ingérence

©Génération Sans Tabac

MF


[1] Diatta V, La Listab dénonce l’indifférence de l’industrie du tabac, Enquête Plus, publié le 26 novembre 2021, consulté le 29 novembre 2021. [2] Ligue sénégalaise contre le tabac, Sénégal : indice d’interférence de l’industrie du tabac 2021, consulté le 29 novembre 2021. [3] Mary Assunta. Global Tobacco Industry Interference Index 2021. Global Center for Good Governance in Tobacco Control (GGTC). Bangkok, Thailand, Nov 2021. [4] Dieng MD, Les acteurs de la lutte anti-tabac exigent une augmentation de la taxe de 225 fcfa par paquet de cigarette, SenePlus, publié le 19 novembre 2021, consulté le 29 novembre 2021. [5] Consortium pour la recherche économique et sociale, La taxation : le meilleur levier pour lutter contre les méfaits des produits du tabac, juillet 2018, consulté le 29 novembre 2021. Comité National Contre le Tabagisme |

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