Sachets de nicotine : une nouvelle source de pollution plastique
25 octobre 2025
Par: Comité national contre le tabagisme
Dernière mise à jour : 20 octobre 2025
Temps de lecture : 8 minutes
Une étude[1] de l’Agence danoise de protection de l’environnement (Miljøstyrelsen) met en lumière les conséquences écologiques croissantes liées à la consommation de sachets de nicotine. Selon les estimations des chercheurs du DTU Sustain, près de 5,3 millions de sachets seraient jetés dans la nature au Danemark chaque année, représentant environ 3,3 tonnes de déchets, dont une demi-tonne de matériaux de type plastique. Ces résultats soulignent l’émergence d’un nouveau type de pollution liée aux produits nicotiniques oraux, dont l’usage progresse rapidement chez les jeunes. Les sachets contiennent encore d’importantes quantités de nicotine après usage et pourraient présenter des risques pour la faune et l’environnement.
Le rapport repose sur une approche multidisciplinaire combinant des enquêtes de terrain, des analyses en laboratoire et une modélisation environnementale. Les chercheurs ont d’abord mené une enquête auprès d’une quarantaine d’utilisateurs danois âgés de 15 à 35 ans afin d’identifier les marques de sachets de nicotine les plus répandues, les durées d’utilisation et les modes de rejet de ces sachets après usage. Parallèlement, des analyses chimiques ont été réalisées sur plusieurs marques présentes sur le marché danois (VELO, Volt, ZoneX, Gritt, entre autres) pour déterminer la composition du matériau, le taux de nicotine et la présence d’autres substances. Enfin, les données issues de ces travaux ont permis d’estimer la quantité totale de sachets abandonnés dans la nature, sur la base de la consommation quotidienne moyenne et des comportements déclarés par les usagers. Les chercheurs ont également eu recours à la spectroscopie infrarouge (FTIR) pour identifier la nature exacte des matériaux et leur potentiel de dégradation dans l’environnement.
Des matériaux assimilables à des plastiques
Les résultats du rapport confirment que les sachets de nicotine ne sont pas de simples produits biodégradables, comme le suggèrent les fabricants. Les analyses menées par les chercheurs du DTU Sustain ont révélé que ces sachets sont majoritairement composés de fibres de cellulose régénérée, un matériau semi-synthétique dérivé de la cellulose naturelle du bois ou du coton. Ce procédé industriel modifie chimiquement la structure de la cellulose afin de la rendre plus résistante, flexible et apte à être façonnée sous forme de fibres non tissées. Pour assurer l’étanchéité et la fermeture du sachet, les fabricants y ajoutent un polymère thermoplastique, souvent à base de polyesters biodégradables, qui fond sous l’effet de la chaleur et soude les bords.
Les analyses spectroscopiques (FTIR) ont montré que la composition de ces matériaux présente une forte similarité avec celle des filtres de cigarettes en acétate de cellulose, l’un des principaux contributeurs à la pollution plastique mondiale. Si la cellulose est une matière d’origine naturelle et théoriquement biodégradable, sa transformation en fibres semi-synthétiques altère cette capacité : les liens chimiques créés lors du processus de régénération ralentissent considérablement la dégradation dans l’environnement.
Ainsi, les sachets de nicotine s’inscrivent dans une zone grise entre matière organique et plastique, ce qui rend leur classification complexe. Dans la pratique, leur comportement environnemental – résistance à la décomposition, persistance dans le milieu naturel, production potentielle de microplastiques lors de leur fragmentation – les rapproche des plastiques traditionnels. Les chercheurs soulignent qu’en conditions naturelles, leur dégradation pourrait nécessiter sur plusieurs années, voire plus d’une décennie, un constat similaire à celui observé pour les filtres de cigarettes.
Cette similitude interroge également la réglementation : bien que les sachets de nicotine ne contiennent pas de tabac, leur matériau et leur impact environnemental sont pour partie comparables à ceux des déchets de produits du tabac. Le rapport invite ainsi à intégrer ces nouveaux produits dans les politiques de prévention de la pollution plastique et dans les dispositifs de responsabilité élargie des producteurs (REP), à l’image de ce qui est désormais exigé pour les filtres de cigarettes dans le cadre de la directive européenne sur les plastiques à usage unique.
Des résidus de nicotine toxiques pour les animaux et les milieux aquatiques
L’étude danoise souligne que les sachets de nicotine conservent une quantité importante de nicotine après usage. Les analyses réalisées sur des produits de la marque VELO indiquent qu’en moyenne 63 % du contenu initial en nicotine demeurent présents dans les sachets jetés, ce qui représente une concentration suffisante pour provoquer des effets toxiques en cas d’ingestion accidentelle. Ce constat remet en question l’idée selon laquelle ces produits, dépourvus de tabac et présentés comme « propres » ou « modernes », seraient sans conséquence environnementale.
Les résidus de nicotine constituent en effet un risque direct pour les animaux domestiques et sauvages. Plusieurs cas d’intoxication de chiens ont été rapportés au Danemark après l’ingestion de sachets usagés laissés dans l’espace public. Selon les données toxicologiques citées par la Miljøstyrelsen, une dose de 46 à 91 mg de nicotine peut être létale pour un chien de sept kilos, alors que certaines marques contiennent jusqu’à 25 mg de nicotine par sachet avant usage. Les symptômes d’intoxication incluent vomissements, troubles neurologiques, convulsions et, dans les cas les plus graves, un arrêt respiratoire. Ces risques concernent également la faune sauvage, notamment les oiseaux et les petits mammifères, qui peuvent confondre ces résidus blancs et souples avec de la nourriture.
Au-delà du danger immédiat d’ingestion, la dispersion de la nicotine dans l’environnement pose un problème écologique plus large. La nicotine est un alcaloïde naturellement présent dans les plantes de tabac, historiquement utilisé comme insecticide en raison de sa toxicité pour les invertébrés. Dans les écosystèmes, elle peut affecter le système nerveux des insectes, crustacés et autres organismes aquatiques à de très faibles concentrations. Selon les données de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), la nicotine est classée comme toxique pour les organismes aquatiques avec des effets chroniques (catégorie 2), avec une concentration sans effet observé (NOEC) de 3 mg/L chez les poissons et une concentration d’effet chronique (LOEC) de 0,02 mg/L chez les daphnies (petits crustacés).
Si la nicotine est partiellement biodégradable, son relargage continu dans les sols et les eaux peut entraîner une exposition chronique pour les écosystèmes. L’accumulation progressive de ces résidus dans les zones urbaines, les rivières ou les systèmes d’évacuation des eaux pluviales pourrait donc contribuer à une contamination diffuse, dont les effets à long terme restent encore mal connus. Les chercheurs de la Miljøstyrelsen appellent à des études complémentaires pour évaluer la toxicité réelle et la vitesse de dégradation des sachets dans des conditions environnementales naturelles, ainsi qu’à la mise en place de campagnes de sensibilisation pour prévenir leur abandon dans la nature.
Un enjeu pour la gestion des déchets et la réglementation européenne
Au-delà de leur impact écologique direct, les sachets de nicotine soulèvent de nouvelles problématiques en matière de gestion des déchets. Comme le souligne la Miljøstyrelsen, ces produits sont généralement vendus dans de petites boîtes en plastique rigide, le plus souvent en polypropylène (PP), un matériau théoriquement recyclable. Ces boîtes comportent un compartiment principal contenant les sachets neufs et, sous le couvercle, un espace prévu pour y déposer les sachets usagés lorsque l’utilisateur ne dispose pas d’une poubelle à proximité. Si ce dispositif est présenté comme une solution pratique et « propre », il engendre en réalité une confusion dans les pratiques de tri : les consommateurs jettent fréquemment les boîtes sans les vider, ce qui empêche le recyclage du plastique et contamine les flux de déchets ménagers.
Les chercheurs rappellent que la présence de nicotine et d’autres substances chimiques dans les sachets usagés peut compromettre la qualité des matières recyclées. Lorsque les boîtes sont triées avec leur contenu, les sachets imbibés de résidus nicotiniques sont mélangés à la chaîne de recyclage, ce qui nécessite souvent l’élimination de la totalité du lot pour des raisons sanitaires. Dans le cas inverse, les boîtes jetées dans les ordures ménagères rejoignent les filières d’incinération, contribuant à l’augmentation du volume de déchets plastiques non recyclés.
Sur le plan réglementaire, la Miljøstyrelsen estime que les sachets de nicotine devraient être pris en compte dans les politiques européennes de lutte contre la pollution plastique, à l’instar des filtres de cigarettes. Ces derniers font désormais l’objet, au sein de la directive européenne sur les plastiques à usage unique (SUPD), d’un système de responsabilité élargie des producteurs (REP) imposant aux fabricants de financer la collecte, le nettoyage et la sensibilisation du public. Or, les sachets de nicotine, bien qu’ils ne contiennent pas de tabac, présentent des caractéristiques similaires en termes de composition, de persistance et de risques environnementaux.
AE
[1] Ny rapport: Millioner af nikotinposer smides i naturen, Agence danoise de protection de l’environnement, avril 2024, consulté le 20 octobre 2025
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