Publicité du tabac : des progrès inégaux en Asie du Sud-Est
6 mai 2025
Par: Comité national contre le tabagisme
Dernière mise à jour : 2 mai 2025
Temps de lecture : 8 minutes
Le SEATCA TAPS Index 2024[1] analyse la mise en œuvre de l’article 13 de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (CCLAT) consacré à l’interdiction de toute publicité et promotion pour le tabac dans dix pays de l’ASEAN. Malgré des avancées, les efforts restent fragmentés et de nombreux gouvernements peinent à interdire de manière globale la publicité, la promotion et le parrainage (TAPS) pour les produits du tabac et les dispositifs électroniques de délivrance de nicotine. L’étude appelle à renforcer les législations, notamment face aux nouveaux formats numériques et aux stratégies indirectes de l’industrie[2].
Le TAPS Index 2024 repose sur un questionnaire détaillé rempli par des partenaires nationaux dans chaque pays de l’ASEAN, complété par le suivi régulier des activités de l’industrie du tabac mené par SEATCA. Les données portent sur l’état des législations et leur mise en œuvre effective dans dix États : Brunei, Cambodge, Indonésie, Laos, Malaisie, Myanmar, Philippines, Singapour, Thaïlande et Vietnam. L’analyse intègre également la réglementation des nouveaux produits de la nicotine, en croissance rapide dans la région.
L’évaluation s’aligne sur les lignes directrices de l’article 13 de la CCLAT et de ses compléments adoptés lors de la COP10[3] en février 2024. Ces textes recommandent une interdiction complète de toutes les formes de publicité, directe ou indirecte, y compris via les médias numériques, ou les placements de produits, de même que toutes les pratiques promotionnelles ou le parrainage notamment d’événements culturels ou sportifs, ainsi que les activités de mécénat et de responsabilité sociétale d’entreprise (RSE).
L’article 13 de la CCLAT : un pilier essentiel de la lutte antitabac
L’article 13 engage les Parties à interdire toutes les formes de publicité, promotion et parrainage du tabac dans un délai de cinq ans après la ratification par le pays. Les lignes directrices précisent que cette interdiction doit s’appliquer à tous les canaux — médias traditionnels et numériques, vente au détail, parrainage, CSR, et au marketing transfrontalier. À la COP10, des orientations spécifiques ont été adoptées pour lutter contre la publicité transfrontalière et dans les médias de divertissement, reflétant les nouveaux défis posés par les plateformes numériques.
Des résultats inégaux et des failles réglementaires persistantes
L’analyse comparative des dix pays de l’ASEAN montre une situation contrastée en matière de lutte contre la publicité, la promotion et le parrainage des produits du tabac, avec des écarts notables entre les législations en vigueur et leur mise en œuvre effective.
Le Laos est le seul pays à avoir instauré une interdiction véritablement complète de toutes les formes de publicité, tant pour les produits du tabac traditionnels que pour les dispositifs de vapotage. Toutefois, des défis subsistent en matière d’application, notamment dans les zones rurales ou à faibles ressources.
Des pays comme la Thaïlande, Singapour et, dans une moindre mesure, le Myanmar, disposent de cadres législatifs proches de l’interdiction complète. La Thaïlande, pionnière en la matière, a été le premier pays asiatique à interdire l’exposition des produits du tabac au point de vente dès 2005. Singapour s’est aussi illustré par des mesures rigoureuses, notamment l’interdiction de vente en ligne et l’adoption de l’emballage neutre. Le Myanmar, bien que doté d’un cadre législatif avancé, rencontre des difficultés importantes d’application, limitant l’efficacité réelle de ses lois.
En revanche, l’Indonésie, qui n’a pas ratifié la CCLAT, et les Philippines, pourtant Partie à la Convention, apparaissent comme les pays les plus permissifs de la région. En Indonésie, la publicité pour les produits du tabac reste autorisée dans certains médias, et les initiatives locales en matière de réglementation sont souvent contrecarrées par le manque d’harmonisation nationale. Aux Philippines, des lacunes persistantes dans la loi permettent encore la publicité sur les lieux de vente et la distribution d’échantillons ou de réductions, y compris pour les produits du vapotage. Ces insuffisances sont aggravées par une application laxiste et une forte implication de l’industrie dans des actions de parrainage et de communication en lien avec ses activités de « responsabilité sociale ».
Dans plusieurs pays comme le Cambodge, le Vietnam ou la Malaisie, les législations interdisent certaines formes de publicité, notamment à la télévision ou dans la presse écrite, mais n'encadrent pas ou que très partiellement les contenus diffusés sur les réseaux sociaux, les placements de produits, ou les pratiques de « brand stretching ». Ces angles morts juridiques sont largement exploités par les industriels pour maintenir une présence visuelle constante de leurs marques, en particulier auprès des jeunes.
La visibilité des produits dans les lieux de vente reste autorisée dans de nombreux pays, renforçant l’attractivité des produits du tabac et des produits du vapotage dans l’espace fréquenté par le public. Dans certains cas, les produits sont exposés à hauteur d’enfant ou à proximité de bonbons et de jouets. Les interdictions sont souvent partielles, comme au Cambodge ou au Vietnam, où l’affichage est limité à un seul paquet par marque, mais reste légal.
Enfin, l’analyse souligne que, bien que la plupart des pays de l’ASEAN imposent des avertissements sanitaires illustrés sur les emballages de cigarettes, seuls la Thaïlande, Singapour et bientôt le Laos ont adopté l’emballage neutre. Les autres pays autorisent encore les conditionnements attractifs avec le recours aux couleurs, aux formes, et aux matériaux susceptibles de séduire les consommateurs actuels ou potentiels.
Le rapport révèle également l’insuffisance des mesures contre les publicités transfrontalières et la publicité en ligne. Peu de pays disposent d’outils pour surveiller ou sanctionner les contenus promus sur Internet ou les plateformes internationales. L’absence de coordination régionale permet aux industriels de contourner les restrictions en exploitant les plateformes de commerce électronique et les réseaux sociaux.
Renforcer la réglementation face aux nouvelles stratégies de l’industrie
Face aux lacunes identifiées, la SEATCA formule un ensemble de recommandations en cohérence avec les directives de l’article 13 de la CCLAT et les décisions adoptées lors de la COP10. Ces recommandations insistent sur la nécessité de passer d’approches fragmentaires ou partielles à des interdictions complètes, sans exception, couvrant tous les produits du tabac et de la nicotine, y compris les dispositifs de vapotage et ce, quel que soit le support concerné.
Les pays sont invités à renforcer leurs cadres législatifs afin de couvrir l’ensemble des canaux de communication, des supports de vente, des formes de promotion, ainsi que les actions indirectes menées sous couvert de mécénat ou de responsabilité sociétale. Une attention particulière doit être portée à la réglementation des environnements numériques, où les stratégies d’influence se sont massivement déplacées.
La vente et la publicité en ligne doivent faire l’objet d’une interdiction explicite, et des mécanismes de surveillance numérique doivent être mis en place pour détecter et faire retirer les contenus illégaux.
Les États sont également encouragés à interdire l’exposition des produits du tabac et du vapotage sur les lieux de vente via la suppression des étals et l’interdiction de la publicité sur place. Sont également recommandés d’imposer des emballages neutres et de bannir toute promotion telles que les réductions, cadeaux ou concours incitatrices à la consommation.
Le rapport insiste sur la nécessité de mettre un terme aux activités de parrainage, aux initiatives dites de responsabilité sociétale, et aux dons des entreprises du tabac, qui constituent une forme d’ingérence dans les politiques de santé publique. Ces actions, souvent destinées à améliorer l’image des industriels ou à gagner l’accès à des cercles décisionnels en vue d’infléchir les politiques publiques, sont en contradiction directe avec l’article 5.3 de la CCLAT. Ce dernier prévoit en effet que les pays protègent leur politique publique de lutte antitabac de toute interférence de l’industrie du tabac.
Enfin, la SEATCA appelle à renforcer la coopération régionale entre pays de l’ASEAN afin de mieux contrôler la publicité transfrontalière et d’harmoniser les politiques. Cela passe par le partage d’outils de surveillance, le développement de sanctions coordonnées, et l’adoption de stratégies communes face aux mutations du marketing en ligne.
AE
[1] Communiqué, ASEAN governments still playing catch-up on banning tobacco advertising and promotions, SEATCA, publié le 25 avril 2025, consulté le 30 avril 2024
[2] Southeast Asia Tobacco Control Alliance. (2024). SEATCA Tobacco Advertising, Promotion and Sponsorship Index: Implementation of Article 13 of the WHO Framework Convention on Tobacco Control in ASEAN Countries, 2024. Bangkok: Southeast Asia Tobacco Control Alliance.
[3] Generation sans tabac, Conférence des Parties pour la lutte antitabac : décisions sur l’environnement, la publicité et les droits humains, publié le 20 février, consulté le 30 avril 2024
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