Philippines : le gouvernement a accepté le don de cliniques mobiles de Philip Morris
6 septembre 2024
Par: Comité national contre le tabagisme
Dernière mise à jour : 2 septembre 2024
Temps de lecture : 5 minutes

Le Département de la protection sociale et du développement (DSWD), une agence gouvernementale des Philippines, a accepté le don de trois cliniques mobiles du fabricant Philip Morris Fortune Tobacco Corp. (PMFTC). Cela va à l’encontre de la Convention-Cadre de l’OMS pour la lutte antitabac que les Philippines ont ratifiée en 2005.
Selon le dernier rapport sur les contributions sociales de Philip Morris International, l’entreprise indique avoir fait le don de cliniques mobiles au DSWD pour un montant de 572 141 dollars américains.
Des dons dans le cadre des activités de RSE[1] de Philip Morris
Au début de l'année, le PMFTC a fait don à l'agence gouvernementale de trois cliniques mobiles destinées à être utilisées dans le cadre d'opérations d'aide sociale et de réponse aux catastrophes. Le 1er août dernier, le gouvernement de Quezon City (Grand Manille), dans un message publié sur sa page officielle de son compte Facebook, a déclaré que le DSWD avait remis une clinique mobile à la ville. Cette dernière s’inscrit dans le cadre du programme « Lab pour tous : Laboratoryo, Konsulta at Gamot para sa lahat ! » de la première dame Liza Araneta-Marcos[2].

Sur les photos étaient réunis le secrétaire du département de la protection sociale Rex Gatchalian, le secrétaire d’Etat à la santé Teodoro Herbosa, le maire de Quezon, Joy Belmonte. Ils étaient accompagnés par le président-directeur général d'Eton Properties Philippines Inc., Kyle Tan, et le directeur des affaires extérieures de Philip Morris Philippines, Chita Herce. Le gouvernement de Quezon City a déclaré que la clinique mobile avait été offerte par le « Lucio Tan Group of Companies », ou LT Group. Philip Morris Philippines et Philip Morris International sont tous deux des filiales du groupe LT.
Cette opération n’est pas unique. L’industrie du tabac a renforcé ses activités de RSE dans les pays d’Asie du Sud Est depuis la pandémie de Covid 19. En 2020 et 2021, l’industrie du tabac a dépensé plus de 30 millions de dollars américains pour des activités de RSE aux Philippines. En 2018-2019, la somme était limitée à un peu plus de 5 millions. La plupart des dons de Philip Morris Philippines transitent par l'intermédiaire de sa société holding LT Group[3].
Des activités contraires aux dispositions nationales et internationales en matière de lutte antitabac
Le service juridique de la DSWD avait clairement indiqué que l’acceptation d’un don émanant d’une compagnie de tabac contrevenait à l’article 5.3 de la Convention-Cadre.

Le secrétaire de la DSWD s'est alors tourné vers le ministère de la justice en quête d’un autre avis juridique. Le nouvel avis publié le 6 juin 2024, indique que le DSWD, en tant qu'agence gouvernementale, n'est pas empêché d'accepter de tels dons, même si les lois et règlements en vigueur interdisent à ses fonctionnaires de le faire. Cette interprétation représente une lecture étroite et incorrecte de la valeur des textes nationaux et internationaux. Ces derniers, notamment la Convention-cadre de l'Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac (CCLAT de l’OMS) ratifiée par les Philippines sont conçus pour protéger la santé publique et l'intégrité de la gouvernance. L'avis du ministère de la Justice établit ainsi une distinction illogique entre les fonctionnaires et les agences gouvernementales qu'ils représentent. Cette interprétation est perçue comme dangereuse par les acteurs de santé dans la mesure où elle crée une faille dans laquelle l'industrie du tabac risque de s’engouffrer pour influencer indirectement la politique publique.
La CCLAT de l'OMS exige explicitement que les gouvernements protègent les politiques de santé publique des intérêts commerciaux et particuliers de l'industrie du tabac (article 5.3). Cette disposition et les directives d’application adoptées pour la mettre en œuvre ont été transposées aux Philippines dans un texte n°2010-01 émanant de la Commission de la fonction publique et du ministère de la santé (JMC) philippin. Ce texte vient en complément d’une législation de lutte contre la corruption et d’un code de déontologie à l’attention des fonctionnaires et employés. Il est ainsi interdit aux fonctionnaires d'accepter des cadeaux, des faveurs ou tout autre avantage de la part de l'industrie du tabac afin d'éviter toute influence indue sur l'élaboration des politiques publiques et de protéger les fonctionnaires des conflits d'intérêts. De plus, la Cour suprême des Philippines a reconnu que la CCLAT de l'OMS faisait partie du droit national et que le gouvernement avait l'obligation de mettre en œuvre le traité de bonne foi.
Pour Irene Patricia Reyes, responsable du programme de dénormalisation de l'industrie du tabac de l'Alliance pour le contrôle du tabac en Asie du Sud-Est (SEATCA), l'avis du ministère de la justice représente un recul important dans les efforts déployés par les Philippines pour protéger la santé publique et préserver l'intégrité de ses systèmes de gouvernance. Elle ajoute « Dans son interprétation, le ministère de la justice néglige l'esprit qui a animé l’adoption de ces mesures législatives et protectrices. Ces dernières sont destinées à prévenir toute forme d'influence indue réelle ou potentielle de l’industrie du tabac dans l’action publique »[4].
AE
[1] Responsabilité sociétale des entreprises
[2] Dexter Calbaza, DSWD hit for accepting tobacco firm’s donations, The Inquirer, publié le 12 août 2024, consulté le 2 septembre 2024
[3] Tobacco-related CSR activities, Southeast Asia Tobacco Control Alliance, consulté le 2 septembre 2024
[4] Irene Patricia Reyes, Tobacco companies’ donations to government undermine good governance, SEATCA, publié le 31 août 2024, consulté le 2 septembre 2024
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