Métavers et NFT : une nouvelle opportunité marketing pour l’industrie du tabac
29 juillet 2025
Par: Comité national contre le tabagisme
Dernière mise à jour : 23 juillet 2025
Temps de lecture : 9 minutes
Alors que l’univers numérique se transforme sous l’impulsion du métavers, des NFT et de la réalité virtuelle, l’industrie du tabac investit ces nouveaux espaces à la recherche de consommateurs toujours plus jeunes. À travers des avatars qui fument dans des environnements virtuels et des événements parrainés dans des mondes immersifs, les cigarettiers continuent à s’emparer d’un territoire numérique peu contrôlé voire encore non réglementé.
Une enquête du Guardian[1] et un rapport de Vital Strategies[2] partagé à la Conférence mondiale sur le contrôle du tabac en juin 2025 à Dublin montrent comment des avatars qui fument, des événements parrainés dans des mondes virtuels ou des objets numériques à l’effigie des marques de tabac sont utilisés pour toucher un public jeune, souvent mineur, sans aucun contrôle.
Un terrain de jeu particulièrement exploité par les cigarettiers
Le métavers – défini comme un internet immersif en 3D où les utilisateurs interagissent via des avatars – attire déjà des millions d’utilisateurs. Selon les données citées par Vital Strategies, ce marché atteindra près de 4 milliards de dollars d’ici 2030, et pourrait concerner plus de 500 millions de personnes dans le monde d’ici 2040. Les premières utilisations du métavers par l’industrie du tabac ont été observées en Indonésie et en Inde. La marque Djarum a diffusé sur Instagram des visuels d’avatars fumant dans des fêtes virtuelles organisées dans le cadre de la campagne Iceperience, avec des paquets de cigarettes L.A. Ice visiblement placés sur les tables. En Inde, ITC a sponsorisé le tout premier mariage dans le métavers, mettant en avant ses produits alimentaires Fabelle et B Natural – extensions de marque issues d’un groupe dont le cœur d’activité est la fabrication de cigarettes.
Figure 1 - Un paquet de cigarettes Djarum LA, une marque indonésienne, est posé sur la table. Photographie : iceperience.id Instagram via Canary
Les NFT, ou jetons non fongibles[3], constituent une autre modalité de promotion émergente. Il s’agit d’actifs numériques uniques, généralement stockés sur une blockchain, qui permettent aux marques de proposer des objets virtuels à collectionner. Le rapport de Vital Strategies cite plusieurs initiatives dans ce domaine. Le groupe DS, producteur de tabac sans fumée en Inde, a développé un NFT pour célébrer son 93e anniversaire, à travers une mosaïque d’images à la gloire de ses fondateurs. Dans un registre plus international, le partenariat entre British American Tobacco et l’écurie McLaren en Formule 1 a donné lieu à la création de 22 NFT de pièces de voiture à collectionner, associés à des récompenses comme des sessions de coaching virtuel ou des compétitions e-sport.
Enfin, l’advergaming, c’est-à-dire l’intégration de la publicité dans des jeux en ligne conçus à des fins promotionnelles, représente une technique particulièrement efficace pour toucher les jeunes publics. Le rapport documente notamment un jeu mobile diffusé en Inde pour promouvoir les bonbons Pass Pass Pulse de la DS Group — marque appartenant à une entreprise également active dans le tabac. Dans ce jeu, les joueurs collectent des bonbons dans un univers ludique, tandis que le logo du groupe apparaît à l’écran, créant une association implicite entre la marque alimentaire et ses produits de tabac.
Des jeunes massivement exposés dans ces nouveaux environnements numériques
Le ciblage des enfants et des adolescents est au cœur des stratégies numériques de l’industrie du tabac. Dans le métavers, cette exposition est particulièrement problématique. Comme le souligne le Guardian, plus de la moitié des utilisateurs actifs de certaines plateformes de métavers ont moins de 13 ans. Le rapport de Vital Strategies confirme que « les enfants sont très susceptibles d’être exposés à du marketing du tabac et des produits du vapotage dans ces nouveaux espaces numériques, en raison du profil démographique des utilisateurs ». Sauf exceptions dans certains pays, ces pratiques publicitaires sont strictement interdites. Elles sont d’autant plus problématiques sur le plan de la santé publique qu’aucun mécanisme de vérification d’âge efficace n’est mis en place, et les avatars qui fument ou les environnements de marques parrainées ne sont accompagnés d’aucun avertissement sanitaire.
Cette exposition concerne également d’autres formats. Des vidéos de « vape tricks » sont largement diffusées sur TikTok ou Instagram par des influenceurs parrainés, parfois âgés d’à peine 16 ans. Une analyse menée par TERM[4] en Indonésie a révélé que des marques comme Vaporesso ou GeekVape incitaient activement les jeunes à créer du contenu promotionnel en échange de produits gratuits, de statuts VIP ou de rémunérations. De telles pratiques augmentent l’attractivité du vapotage en l’associant à la créativité, à la célébrité en ligne et à la communauté, en particulier auprès des mineurs.
Les effets sont déjà documentés. Des recherches citées dans le rapport montrent que l’exposition à ces contenus parrainés, notamment par des influenceurs, accroît la probabilité d’initiation chez les jeunes non-consommateurs. Contrairement à la publicité traditionnelle, le marketing dans ces environnements repose sur une interaction directe et une forte personnalisation, ce qui renforce encore son impact comportemental.
Un cadre réglementaire parfois insuffisant mais essentiellement contourné car difficile à contrôler
Dans la plupart des pays, la publicité pour le tabac est strictement encadrée, voire interdite quel que soit le support, y compris ces plateformes d’activités virtuelles. Dans certains pays, les réglementations nécessitent d’être complétées mais l’enjeu réside essentiellement dans le contrôle pour l’application des textes en vigueur. Le métavers, les NFT, les environnements de réalité virtuelle, ou les systèmes de messagerie privée échappent souvent aux mécanismes traditionnels de contrôle. L’industrie du tabac exploite pleinement cette difficulté pour diffuser ses marques, ses produits ou ses valeurs.
Le rapport de Vital Strategies met en évidence plusieurs techniques utilisées par l’industrie du tabac pour contourner les interdictions publicitaires en vigueur. En Inde, certaines entreprises commercialisent des produits alimentaires ou des confiseries sous des marques très proches — voire identiques — à celles de leurs produits de tabac. Ce procédé, connu sous le nom de publicité de substitution ou brand stretching, vise à maintenir la notoriété des marques de tabac malgré les restrictions sur leur promotion directe.
Cette stratégie ne se limite pas à l’alimentation. Elle s’observe également dans la vente de vêtements ou d’accessoires siglés, le parrainage de concerts et de festivals, ou encore la création de contenus sur des plateformes de streaming. Ces pratiques, déjà largement utilisées dans le passé, permettent à l’industrie de rester présente dans l’espace public, en s’associant à des univers culturels ou de loisirs prisés par les jeunes.
En parallèle, le rapport relève que des produits du tabac, y compris des dispositifs de vapotage, continuent d’être promus et vendus via des comptes sur les réseaux sociaux comme Instagram ou des applications de messagerie privée comme WhatsApp, y compris dans des pays où la vente en ligne de ces produits est formellement interdite. Par ces pratiques de contournement des réglementations nationales les fabricants profitent, là encore, de la difficulté à surveiller les échanges dans des environnements numériques privés ou transfrontaliers.
Vers une vigilance accrue concernant ces environnements numériques
Face au maintien voire au développement de la promotion du tabac et produits du vapotage dans ces espaces numériques peu contrôlés, plusieurs pistes d’action sont rappelées aux autorités de santé publique. Il apparaît nécessaire de vérifier en premier lieu que la législation en vigueur dans chaque pays intègre bien ce type de support dans le champ de l’interdit de toute publicité pour ces produits.
Le renforcement des dispositifs de veille numérique constitue cependant le levier essentiel pour que la législation en vigueur soit effective. Des outils tels que le système TERM permettent de documenter ces évolutions, de repérer les campagnes problématiques et de fournir des éléments de preuve utiles aux décideurs et dans le cas de poursuites.
De plus, dans un contexte où les frontières juridiques sont souvent difficiles à appliquer aux environnements numériques, une coopération renforcée entre États, institutions internationales et acteurs de la société civile est indispensable. Cette coordination permettrait d’appliquer plus aisément la réglementation en vigueur et de limiter les disparités de traitement entre territoires.
AE
[1] Kat Lay, Smoking avatars and online games: how big tobacco targets young people in the metaverse, The Guardian, publié le 22 juillet 2025, consulté le jour-même [2] Vital Strategies. The Next Frontier in Tobacco Marketing: The Metaverse, NFTs, Advergames and More. New York, NY; 2023. Available from: termcommunity.com/the-next-frontier-in-tobacco-marketing [3] Un NFT est un objet numérique unique (comme une image, une vidéo ou une musique), que l’on peut acheter, vendre ou collectionner, et qui est accompagné d’un certificat numérique prouvant qui en est le propriétaire. Cet objet ne peut pas être dupliqué, car sa propriété est enregistrée de façon sécurisée sur la blockchain. [4] Le Tobacco Enforcement and Reporting Movement (TERM) est un système de veille numérique développé par l’organisation Vital Strategies, conçu pour surveiller et analyser les stratégies de marketing de l’industrie du tabac sur les plateformes en ligne. Comité national contre le tabagisme |