L’industrie du tabac investit massivement les réseaux sociaux pour faire de la publicité et diffuser de fausses informations
26 juillet 2023
Par: Comité national contre le tabagisme
Dernière mise à jour : 26 juillet 2023
Temps de lecture : 8 minutes
Une méta-analyse[1] de l’organisme américain Truth Initiative montre que l'industrie du tabac utilise les réseaux sociaux pour faire de la publicité pour ses nouveaux produits du tabac et de la nicotine, contourner les restrictions en place aux États-Unis sur les produits aromatisés et diffuser des informations erronées sur la nicotine.
Les réglementations et politiques actuelles en matière de publicité pour les produits du tabac et de la nicotine sont confrontés à l’évolution rapide des médias sociaux mais aussi à la mise sur le marché de nouveaux produits. Selon les auteurs de l’analyse, cette situation permet à l'industrie du tabac de tirer parti de la zone grise existante pour diffuser des informations erronées et recruter de nouveaux consommateurs. Les recherches montrent que l'exposition à des contenus sur le tabac et sur les produits connexes dans les médias sociaux double les risques de ces produits chez les jeunes par rapport à ceux qui n'y sont pas exposés.
L'exposition à des contenus de vapotage sur les médias sociaux est associée à la fois à une perception plus faible des risques et à une probabilité accrue d'initiation et d'utilisation habituelle des produits de vapotage[2]-[3].
Une désinformation en ligne importante
Les médias sociaux sont un outil puissant permettant à l'industrie du tabac de diffuser des informations erronées sur la dangerosité de ses produits. Cette présence sur les réseaux sociaux est de nature à affaiblir le soutien du public à l’égard des politiques antitabac conçues pour protéger la santé publique.
Bien que le public ait toujours une perception négative de l'industrie du tabac, Truth Initiative craint que l'industrie du tabac profite de la désinformation scientifique, en essor depuis la pandémie de COVID-19 sur les médias sociaux, pour modifier subtilement ces perceptions[4].
Des recherches réalisées par l’organisation ont montré que de nombreuses informations erronées sur le rôle prétendument « protecteur » potentiel de la nicotine contre le COVID-19 sont diffusées sur les réseaux sociaux alors même que les données scientifiques démontrent le contraire et une surreprésentation des fumeurs parmi les victimes de la pandémie. Les tweets soutenant la désinformation selon laquelle la nicotine a un effet protecteur contre le COVID-19 ont circulé 20 fois plus souvent que ceux qui réfutaient ces affirmations.
Les chercheurs ont également constaté que la croyance en des affirmations trompeuses sur la nicotine, en particulier en ce qui concerne le COVID-19, était liée à des convictions plus positives à l'égard de l'industrie du tabac.
Les informations trompeuses diffusées par les médias sociaux peuvent contribuer à la confusion du public sur les risques pour la santé posés par la nicotine et les nouveaux produits du tabac et de la nicotine, en particulier chez les jeunes. Une étude distincte a révélé que les jeunes adultes n'étaient que peu conscients des dangers de la nicotine, nombre d'entre eux pensant à tort que la nicotine n'est pas plus nocive qu'une tasse de café ou qu'elle n'entraîne une dépendance que lorsqu'elle est fumée à partir d'une cigarette manufacturée[5].
Les réseaux sociaux utilisés pour faire la promotion des nouveaux produits du tabac et du vapotage
L’industrie du tabac promeut ses nouveaux produits du tabac et du vapotage sur plusieurs canaux en ligne, s’adaptant aux publics ciblés et aux plateformes actuellement tendance. Une étude[6] a documenté le marketing autour du tabac chauffé sur Twitter entre 2016 et 2021. Elle a montré que sur cette période, le nombre de messages Twitter sur les nouveaux produits du tabac chauffés comme IQOS, Ploom et Glo a doublé et la majorité des tweets commerciaux (ceux émanant des fabricants de tabac) ont été remplacés par des messages organiques (de particuliers non liés à l’industrie du tabac). Les tweets organiques étaient presque 3 fois plus nombreux que les tweets commerciaux en 2021 qu’en 2016, ce qui suggère qu'une première poussée de marketing par des comptes commerciaux a saturé la conversation autour des produits du tabac chauffés sur Twitter, sensibilisé au produit et généré avec succès des posts organiques et du contenu de bouche-à-oreille.
Les pics de conversations dans les médias sociaux ont coïncidé avec des informations sur les décisions réglementaires concernant les produits, notamment lorsque la FDA a approuvé la vente d'IQOS aux États-Unis ou lorsque la FDA a approuvé la commercialisation de l'IQOS en tant que produit à risque modifié. En utilisant Twitter pour faire la promotion du tabac chauffé, les industriels du tabac cherchent avant tout à cibler les décideurs politiques et journalistes pour influer sur les politiques de santé publique et à se positionner comme des acteurs de confiance.
Les produits du vapotage sont quant à eux davantage promus sur des réseaux plus visuels comme Instagram et les marques utilisent des influenceurs pour en faire la publicité. Selon une étude de 2023 de Truth, les influenceurs faisant la promotion des produits du vapotage font rarement état d’une quelconque collaboration avec une marque. Ils incluaient rarement des étiquettes d'avertissement sanitaire sur le potentiel addictif de la nicotine, et présentaient même des images de dessins animés attrayantes pour les jeunes[7]. Des constats similaires ont été relevés par le CNCT qui en fait état dans un rapport publié en février 2023[8] lequel indique que les principaux industriels du tabac ont utilisé des influenceurs de 2019 à 2021 en France pour faire la promotion des produits du vapotage sur Instagram. Les publicités soulignaient la disponibilité des arômes mentholés pour le vapotage, à la suite de l’interdiction du menthol dans les cigarettes traditionnelles et le tabac à rouler dans l’Union européenne en mai 2020. Les influenceurs relevés ne faisaient pas état de leur collaboration dans les publications.
Les réseaux sociaux utilisés pour contourner l’interdiction des arômes
Après que la FDA a retiré du marché les cigarettes électroniques aromatisées à cartouche en 2020 aux États-Unis, l'industrie du tabac a immédiatement orienté son marketing sur les médias sociaux pour promouvoir d'autres produits de vapotage aromatisés non couverts par cette interdiction, notamment les cigarettes électroniques jetables aromatisées, dont la popularité a grimpé en flèche.
Les recherches de Truth ont montré que plus de 40 % des posts Instagram des vendeurs de produits de vapotage faisaient la promotion de produits aromatisés, tandis que plus de 2 000 posts mentionnaient ouvertement des alternatives aux produits aromatisés soumis à restriction ou des stratégies visant à échapper aux restrictions de vente d'arômes mises en œuvre en 2020.
Selon une autre étude de Truth publiée dans l’International Journal of Environmental Research and Public Health[9], de nombreux utilisateurs de cigarettes électroniques se sont tournés vers les médias sociaux et en particulier le réseau Reddit pour contourner l’interdiction de la vente des arômes. Les chercheurs ont identifié plus de 166 000 messages et commentaires entre mai 2019 et mai 2020 sur le subreddit r/JUUL (cigarette électronique très populaire aux États-Unis en 2018-2019). En utilisant des filtres par mots-clés, ils ont accédé à des discussions portant spécifiquement sur les cigarettes électroniques aromatisées et sur les stratégies de contournement des restrictions concernant les arômes. Sur les 166 000 messages et commentaires, 33 000 ont été identifiés comme étant pertinents pour les arômes, tandis que 7 500 correspondaient à des discussions explicites sur la façon d’échapper à la politique de la FDA.
Mots-clés : Truth Initiative, réseaux sociaux, marketing digital, nicotine, désinformation, Twitter, Instagram, Reddit, vapotage, tabac chauffé
©Génération Sans TabacAE
[1] Industry influencer: how tobacco content is infiltrating social media, Truth Initiative, publié le 20 juillet 2023, consulté le 24 juillet
[2] Pike JR, Tan N, Miller S, Cappelli C, Xie B, Stacy AW. The effect of e-cigarette commercials on youth smoking: a prospective study. Am J Health Behav. (2019) 43:1103–18. doi: 10.5993/AJHB.43.6.8
[3] Papaleontiou L, Agaku IT, Filippidis FT. Effects of exposure to tobacco and electronic cigarette advertisements on tobacco use: an analysis of the 2015 national youth tobacco survey. J Adolesc Health Off Publ Soc Adolesc Med. (2020) 66:64–71. doi: 10.1016/j.jadohealth.2019.05.022
[4] Silver N, Kierstead E, Kostygina G, Tran H, Briggs J, Emery S, Schillo B. The Influence of Provaping "Gatewatchers" on the Dissemination of COVID-19 Misinformation on Twitter: Analysis of Twitter Discourse Regarding Nicotine and the COVID-19 Pandemic. J Med Internet Res. 2022 Sep 22;24(9):e40331. doi: 10.2196/40331. PMID: 36070451; PMCID: PMC9506503.
[5] Silver NA, Kierstead EC, Briggs J, Schillo B. Charming e-cigarette users with distorted science: a survey examining social media platform use, nicotine-related misinformation and attitudes towards the tobacco industry. BMJ Open. 2022 Jun 1;12(6):e057027. doi: 10.1136/bmjopen-2021-057027. PMID: 35649587; PMCID: PMC9160585.
[6] Twitter marketing on new heated tobacco products transforms into word-of-mouth conversations, Truth Initiative, publié le 15 décembre 2022, consulté le 24 juillet 2023
[7] Silver Nathan A., Bertrand Adrian, Kucherlapaty Padmini, Schillo Barbara A., Examining influencer compliance with advertising regulations in branded vaping content on Instagram, Frontiers in Public Health, Volume 10, 2023, DOI=10.3389/fpubh.2022.1001115
[8] CNCT, Nouveaux produits du tabac et de la nicotine, Évolution du marché à travers le phénomène publicitaire en France 2020 – 2022, publié le 13 février 2023, consulté le 24 juillet 2023
[9] Silver, N.; Kucherlapaty, P.; Kostygina, G.; Tran, H.; Feng, M.; Emery, S.; Schillo, B. Discussions of Flavored ENDS Sales Restrictions: Themes Related to Circumventing Policies on Reddit. Int. J. Environ. Res. Public Health 2022, 19, 7668. https://doi.org/10.3390/ijerph19137668
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