Les Philippines tiraillées entre la lutte antitabac et la collaboration avec les industriels
10 août 2023
Par: Comité national contre le tabagisme
Dernière mise à jour : 10 août 2023
Temps de lecture : 4 minutes
Alors que le Département du commerce et de l’industrie appelle les industriels du tabac chauffé à s’installer aux Philippines, le Département de la Santé soutient le renforcement de la législation antitabac dans la région des Western Visayas. Cette contradiction semble se jouer au détriment de la santé publique.
A l’issue de l’International Tobacco Agriculture Summit qui s’est tenu à Taguig City le 2 août 2023, le Sous-secrétaire du Département du commerce et de l’industrie (DTI), Ceferino Rodolfo, a lancé un appel aux industriels du tabac chauffé pour qu’ils installent leurs unités de production aux Philippines[1].
Cette invitation s’appuie sur deux arguments :
- Il est prévu que la demande locale de cigarettes se réduise de 25 % entre 2022 et 2027, passant de 49,6 milliards à 39,1 milliards de cigarettes, tandis que, selon une analyse d’Euromonitor, les ventes de tabac chauffé devraient augmenter de 511 % sur la même période.
- La production aux Philippines permettrait de bénéficier des accords de libre-échange de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE). Ces avantages douaniers permettent actuellement aux Philippines d’être un des principaux fournisseurs de la Corée du Sud, de la Thaïlande et du Myanmar en produits du tabac.
Ceferino Rodolfo a également annoncé que Philip Morris Fortune Tobacco, filiale locale de Philip Morris International (PMI), devrait implanter à Tanauan un site de production de son dispositif de tabac chauffé IQOS.
Des pathologies respiratoires et pulmonaires très présentes
En parallèle, le 3 août 2023, le Département de la Santé (DOH) de la région des Western Visayas réclamait auprès des Unités locales de gouvernement un renforcement de la législation antitabac, dans le cadre du Mois national du poumon qui se tient durant ce mois d’août[2]. En 2021, les maladies respiratoires et pulmonaires représentaient en effet trois décès sur dix et cinq pathologies majeures sur dix dans cette région.
Parmi les actions qui devraient être engagées le plus rapidement, le DOH de cette région vise notamment le respect de l’interdiction de fumer et de vapoter dans les lieux publics, et son extension, à l’extérieur, à 10 mètres des lieux de passage et de rassemblement. L’interdiction de vendre des produits du tabac à moins de 100 mètres d’un établissement scolaire et l’interdiction de la publicité, de la promotion et du parrainage pour les produits du tabac figurent aussi parmi les mesures jugées prioritaires.
Un choix en faveur des industriels du tabac, malgré l’article 5.3
L’opposition entre les ministères de la Santé et ceux de l’Industrie ou de l’Agriculture sur la question du tabac est récurrente dans de nombreux pays, en particulier dans ceux qui sont producteurs de tabac. Les autorités philippines n’échappent non seulement pas à cette contradiction, mais semblent avoir déjà tranché en faveur des industriels du tabac, comme le suggérait la loi sur les nouveaux produits du tabac et de la nicotine adoptée en avril 2022. Cette loi plaçait notamment les produits du tabac chauffé sous la responsabilité du DIT, ce que la sénatrice Pia Cayenato – l’une des rares voix à s’y opposer – avait dénoncé comme étant inapproprié.
Le choix gouvernemental de transférer le champ de compétence des produits de tabac chauffé vers le ministère de l’industrie traduit un faible intérêt pour la santé publique et fragilise la position du ministère de la santé au sein du gouvernement. Il place cependant le pays en porte-à-faux vis-à-vis de l’article 5.3 de la Convention-cadre pour la lutte antitabac (CCLAT), qui exige que les politiques publiques de santé ne soit pas influencées par l’industrie du tabac. En effet, cette obligation ne se limite pas au ministère de la Santé, mais englobe toute action gouvernementale ou publique qui toucherait au tabac, qu’il soit chauffé, mâché, inhalé ou fumé.
En France, la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) avait estimé que le tabac chauffé ne pouvait être considéré comme une alternative au tabac fumé, « les substances inhalées lors de son utilisation étant les mêmes que celles dans le tabac classique, même si les concentrations de substances toxiques sont moindres que dans le tabac fumé. »
Mots-clés : Philippines, tabac chauffé, IQOS, PMI, maladies respiratoires et pulmonaires, article 5.3.
©Génération Sans TabacMF
[1] Manila Rolls Out Red Carpet for HTP Makers, Tobacco Reporter, publié le 3 août 2023, consulté le 7 août 2023.
[2] Lena P, Comprehensive tobacco control ordinance urged in Western Visayas, Philippines News Agency, publié le 3 août 2023, consulté le 7 août 2023.
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