L’éradication du tabagisme passe par l’élimination de son industrie
4 janvier 2025
Par: Comité national contre le tabagisme
Dernière mise à jour : 2 janvier 2025
Temps de lecture : 5 minutes
Un article publié dans la revue Tobacco Control estime que l’éradication du tabagisme est un objectif urgent et réalisable, à condition de considérer que celle-ci passe avant tout par l’élimination de l’industrie du tabac, décrit comme le principal agent pathogène de d’épidémie tabagique responsable de huit millions de décès annuels dans le monde[1].
Le secteur tabac, principal agent pathogène d’une épidémie industrielle
En termes épidémiologiques, l’éradication renvoie à l’élimination d’une maladie ou d’une épidémie jusqu’à la disparition de l’agent pathogène. De ce point de vue, le tabac étant considéré comme une épidémie industrielle, l’industrie du tabac peut être considérée comme un agent pathogène d’origine humaine, dont l’élimination est nécessaire pour parvenir à une éradication du tabac. Une autre conception du problème avance que certains produits du tabac seraient les principaux agents pathogènes, à commencer par les cigarettes. Toutefois, une telle approche centrée sur le produit, généralement promue par l’industrie du tabac, permet à cette dernière de se positionner comme un acteur légitime pouvant proposer des solutions crédibles au problème sanitaire posé, à travers le développement d’alternatives, qu’il s’agisse du filtre des cigarettes, des cigarettes « légères » ou encore du tabac à chauffer. Au-delà du fait que ces nouvelles générations de produits ne se traduisent pas par une réduction de leur nocivité, positionner le produit du tabac plutôt que son fabricant comme principal agent pathogène élude la responsabilité systémique de l’industrie du tabac dans la diffusion et le maintien de la dépendance tabagique, et dans les dégâts sanitaires, environnementaux, économique et sociaux qui en résultent. Autrement dit, l’interrogation sur les causes du tabagisme doit impérativement chercher à en en déterminer les facteurs structurels, c’est-à-dire les déterminants sociaux, culturels, mais également commerciaux de la santé, davantage que de considérer le tabagisme à travers le prisme de la responsabilité individuelle,
Industrialisation du tabac et colonisation en Australie : des dégâts sanitaires encore perceptibles
En Australie, l’éradication du tabagisme entre en cohérence avec les objectifs d’une reconquête de souveraineté par les populations autochtones. En effet, la colonisation de l’Australie par les européens s’est traduite par une industrialisation du tabac, ce dernier passant d’une plante sacrée à une culture de plantation à grande échelle, induisant une production de masse d’un produit modifié visant notamment à en augmenter l’addictivité. Au-delà de vider la signification spirituelle et culturelle originelle de la plante de tabac, la colonisation et l’industrialisation ont démultiplié les dégâts sanitaires auprès de la population autochtone. Encore aujourd’hui, les populations autochtones se caractérisent par des niveaux de tabagisme plus élevés que la moyenne nationale. Pour autant, une récente étude montre un soutien appuyé de ces dernières, en particulier des Maoris, en faveur d’une réglementation plus stricte du tabagisme et de l’industrie du tabac.
L’éradication du tabagisme, un objectif réalisable
En dépit d’une opposition virulente de l’industrie du tabac à la mise en place de politiques de santé publique, les auteurs estiment que l’éradication du tabagisme, y compris à l’échelle internationale, est un objectif réalisable. Le rôle avant-gardiste et de « brise-glace » de certains pays est à ce titre essentiel, pour démontrer que l’instauration de dispositions protectrices de la santé publique sont réalisables, en particulier du point de vue juridique. Ainsi, la promulgation de l’interdiction de la publicité pour les produits du tabac en 1973 par la Norvège s’est traduite, par la suite, par un effet de chaîne dans le monde entier, tout comme, plus récemment, l’adoption du paquet neutre en Australie dès 2012 a créé un précédent pour de nombreuses juridictions, notamment en France. Plusieurs mesures sont présentées par les auteurs comme pouvant participer à l’éradication du tabagisme :
- Une augmentation forte et continue de la taxation du tabac, et une affectation des recettes fiscales aux politiques de santé publique ;
- Une réduction du nombre de points de vente au détail pour les produits du tabac et de la nicotine ;
- Un renforcement de la réglementation des produits du tabac et de la nicotine, notamment une forte diminution de leur teneur en nicotine ;
- L’introduction d’une interdiction progressive de la vente de tabac, à partir d’une génération ;
- Le recours à des actions en justice au pénal contre l’industrie du tabac, ses dirigeants et membres des conseils d’administration, responsables des dégâts occasionnés par leur activité ;
- La dénormalisation l’industrie du tabac auprès des acteurs économiques, pouvant notamment se traduire par un retrait de cotation, et l’exclusion de l’industrie du tabac de certains investissements (éthiques, environnementaux, etc.) ;
- La dissolution et le démantèlement de l’industrie du tabac peut enfin être envisagée en fonction de la faisabilité juridique de chaque pays. Les auteurs soulignent également la possibilité de transférer la production, la distribution et la vente de tabac à une entité gouvernementale à but non lucratif, tout en mettant en place des garde-fous stricts pour contraindre à une diminution de la consommation tabagique.
FT
[1] Maddox R, Telford RM, Waa A, et al, Eradication of commercial tobacco related disease and death Tobacco Control Published Online First: 27 December 2024. doi: 10.1136/tc-2023-058547Comité national contre le tabagisme |