L’entrisme de l’industrie du tabac dans le monde médical

11 janvier 2025

Par: Comité national contre le tabagisme

Dernière mise à jour : 7 janvier 2025

Temps de lecture : 6 minutes

L’entrisme de l’industrie du tabac dans le monde médical

En 2024, Philip Morris International (PMI) a fait les gros titres en finançant des cours de formation médicale continue (FMC) axés sur la réduction des risques. Ces cours, destinés aux professionnels de la santé, présentaient des alternatives telles que les e-cigarettes et les produits du tabac chauffés comme des options plus sûres que le tabagisme traditionnel.

Alors que PMI affirme que ce type d’initiative est destinée à éduquer et à lutter contre les idées fausses sur la réduction des risques, les experts affirment qu'il s'agit d'une stratégie calculée pour promouvoir les intérêts commerciaux de l'entreprise sous le couvert de l'éducation scientifique.

Une histoire d'influence et de changements stratégiques

Cette initiative du fabricant n'est pas un cas isolé, mais plutôt l'aboutissement de décennies d'efforts de l'industrie du tabac pour façonner le discours scientifique et réglementaire. Depuis des décennies, PMI et d'autres fabricants de tabac ont cherché à influencer l'opinion publique, l'élaboration des politiques publiques et même la recherche scientifique. Qu'il s'agisse de parrainer des symposiums scientifiques et des conférences médicales ou de cibler les journalistes et les décideurs politiques avec des messages sur mesure, l'industrie utilise depuis longtemps la désinformation comme outil pour maintenir sa position dominante sur le marché.

Aux Etats-Unis, l'introduction de la loi sur la prévention du tabagisme familial et la lutte contre le tabac en 2009 a marqué un tournant, en donnant à la FDA l'autorité sur les produits du tabac et en créant un cadre réglementaire pour les produits à « risque modifié ». Le fabricant PMI a profité de ce cadre pour lancer de nouveaux produits, affirmant qu'ils étaient moins nocifs tout en échappant à une réglementation stricte. Toutefois, ces affirmations reposent souvent sur des comparaisons avec les cigarettes traditionnelles et négligent les preuves émergentes des risques associés aux e-cigarettes et au tabac chauffé.

La controverse Medscape

En mars 2024, Medscape[1], une importante plateforme de formation médicale à but lucratif, a proposé des cours de formation médicale continue parrainés par PMI aux États-Unis. Ces cours, axés sur la réduction des risques, constituaient le premier cas de parrainage direct de formation médicale continue par l'industrie du tabac dans le pays. Le cigarettier a justifié sa participation en déclarant sur son site web que de nombreux professionnels de la santé sont « mal informés » sur les avantages potentiels des nouveaux produits du tabac et de la nicotine. Toutefois, le contenu de ces cours reflétait étroitement le discours marketing du cigarettier, présentant souvent leurs produits (tabac chauffé, cigarettes électroniques et les produits oraux comme le snus et les sachets de nicotine) comme des alternatives sûres tout en omettant l'importance du sevrage tabagique.

Un exemple notable du matériel de cours indiquait aux professionnels de santé de recommander les e-cigarettes aux patients fumeurs préoccupés par le cancer du poumon, sans leur suggérer d'arrêter complètement le tabac. De telles omissions ont suscité de vives critiques de la part des experts en santé publique, qui y voient une tentative délibérée de normaliser l'utilisation des produits à base de nicotine sous le couvert de la réduction des risques.

À la suite des vives critiques émises par ces experts et par les professionnels du monde médical, Medscape a retiré les cours et s'est engagé à ne plus accepter à l’avenir de financement de l'industrie du tabac. Cependant, les efforts de PMI ne se limitent pas aux États-Unis. Des cours similaires ont été proposés en Afrique du Sud, en Arabie saoudite et dans d'autres pays du Golfe par l'intermédiaire de prestataires locaux. Le recours par l'industrie du tabac à des intermédiaires, tels que la Foundation for a Smoke-Free World (rebaptisée Global Action to End Smoking en 2024), complique encore les efforts visant à prévenir ces initiatives d’incursion. Les organisations, financées par le fabricant, se présentent souvent comme des entités indépendantes tout en promouvant les messages de l'industrie.

Le rôle des organismes d'accréditation et l’absence de règles spécifiques d’exclusion

L'incursion de PMI dans le domaine de la formation médicale a mis en évidence une vulnérabilité et une faille majeure de la formation professionnelle dans le domaine de la lutte antitabac.

L'Accreditation Council for Continuing Medical Education (ACCME), qui a certifié les cours de Medscape, n'a pas adopté de règles internes interdisant les formations financées par l'industrie du tabac et de la nicotine. Cette lacune a permis à Philip Morris d'exploiter les systèmes de formation professionnelle pour légitimer son discours et influencer les pratiques cliniques. Les défenseurs de la santé publique réclament désormais une réglementation plus stricte afin d'empêcher l'accréditation des formations financées par l'industrie[2].

D’une manière générale, alors que l'industrie continue d'adapter ses stratégies pour promouvoir de nouveaux produits, il est impératif, selon les acteurs de santé, que les décideurs politiques, les éducateurs et les professionnels de la santé restent vigilants. L'interdiction du financement de l'industrie du tabac dans l'enseignement médical et le renforcement des mécanismes de contrôle sont des mesures essentielles pour garantir que les intérêts de la santé publique ne soient pas mis à mal.

Les nouveaux produits du tabac et de la nicotine ne sont pas une solution efficace à la réduction du tabagisme

Les experts rappellent également que des études indépendantes remettent de plus en plus en question la sécurité et l'efficacité des « alternatives » promues par l’industrie du tabac. Des études ont montré que les produits du tabac chauffés, bien qu'ils soient commercialisés comme étant « sans fumée », libèrent toujours des toxines nocives. Les e-cigarettes, souvent présentées comme une alternative plus sûre, ont été associées à des troubles respiratoires, à des problèmes cardiovasculaires et à un risque accru de dépendance chez les jeunes utilisateurs. Les produits du tabac à usage oral, tels que le snus, ont été associés à des risques accrus de cancer de la bouche.

Les experts en santé publique soulignent enfin qu'une véritable réduction des risques doit d’abord intégrer l'arrêt du tabac comme une priorité.

©Génération Sans Tabac

AE


[1] Génération sans tabac, Philip Morris finance des cours sur l’arrêt du tabac sur le site médical Medscape, publié le 12 avril 2024, consulté le 7 janvier 2025

[2] Ling PM, Glantz SA Historical and political context for Philip Morris International’s continuing medical education courses on harm reduction Tobacco Control Published Online First: 03 January 2025. doi: 10.1136/tc-2024-059015

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