La santé mondiale progresse, mais les jeunes restent exposés à de nouveaux risques

La dernière étude mondiale sur le fardeau des maladies (Global Burden of Disease 2023) révèle une amélioration générale de la santé mondiale après la pandémie de COVID-19, mais met en évidence une crise émergente chez les jeunes. Si l’espérance de vie revient globalement à son niveau d’avant-pandémie, les décès liés à la consommation de drogues, d’alcool, aux troubles mentaux et au suicide augmentent dans plusieurs régions. Les chercheurs appellent à renforcer la prévention face à ces risques comportementaux, aggravés par les inégalités socio-économiques et l’évolution des modes de vie. Ces dynamiques illustrent l’influence de ce que certains experts qualifient de déterminants commerciaux de la santé – l’ensemble des stratégies industrielles et économiques qui contribuent à la diffusion et à la consommation de produits tels que le tabac, l’alcool ou les aliments ultra-transformés.

L’étude Global Burden of Disease 2023 (GBD), menée par l’Institute for Health Metrics and Evaluation (IHME, Université de Washington) et publiée dans The Lancet, constitue la synthèse la plus complète sur la santé mondiale après la pandémie. Elle repose sur plus de 55 000 sources de données issues de registres d’état civil, recensements et enquêtes nationales, couvrant près de 300 causes de décès et de maladies. Les indicateurs utilisés – espérance de vie, années de vie perdues et années vécues avec incapacité – permettent d’évaluer l’évolution du fardeau sanitaire dans l’ensemble des 204 pays et territoires du monde, selon leur niveau de développement socio-démographique[1].

Des progrès notables mais des inégalités persistantes

Le Global Burden of Disease 2023 confirme une amélioration significative de la santé mondiale après la pandémie. Dans la plupart des pays, l’espérance de vie a retrouvé son niveau d’avant 2020, marquant une sortie de crise sanitaire à l’échelle planétaire. Les chercheurs observent un net recul de la mortalité due aux maladies infectieuses et un progrès continu dans la santé maternelle et infantile, en particulier la baisse des décès néonatals et des infections respiratoires aiguës, qui restent pourtant parmi les dix principales causes de perte de santé dans le monde.

Ce rebond global masque toutefois de profondes disparités entre régions. L’espérance de vie moyenne varie encore de plus de vingt ans selon le niveau de développement socio-démographique : elle atteint environ 83 ans dans les pays à revenu élevé contre 62 ans en Afrique subsaharienne. Ces écarts traduisent l’inégale répartition des ressources, des infrastructures de santé et de la prévention, mais aussi la persistance de contextes marqués par la pauvreté, les conflits ou la faiblesse des systèmes de soins.

Dans les pays à faible indice socio-démographique, la mortalité prématurée reste dominée par les maladies non transmissibles, notamment les maladies cardiovasculaires, les cancers, le diabète et les affections respiratoires chroniques. Le rapport souligne que, malgré les avancées enregistrées contre les maladies infectieuses, le poids des maladies chroniques s’alourdit dans les régions les moins dotées, où les politiques de prévention et de dépistage demeurent limitées.

Les chercheurs insistent également sur le rôle déterminant des facteurs de risque comportementaux et environnementaux. Le GBD 2023 identifie cinq causes majeures de perte de santé dans le monde : la pression artérielle élevée, la pollution de l’air (particules fines), le tabagisme, l’hyperglycémie et le surpoids. Pris ensemble, ces risques sont responsables de près de la moitié des années de vie perdues ou vécues avec incapacité chaque année à l’échelle mondiale. Si les pertes de santé associées à la plupart de ces risques ont diminué entre 2010 et 2023, celles liées à l’hyperglycémie et à l’indice de masse corporelle élevé continuent d’augmenter, témoignant de la progression rapide du diabète et de l’obésité dans toutes les régions.

Enfin, les auteurs alertent sur le ralentissement des financements internationaux pour la santé. Les coupes dans l’aide au développement risquent, selon eux, de compromettre les progrès réalisés dans la lutte contre les maladies infectieuses et d’accentuer les inégalités structurelles entre pays. Pour y remédier, le rapport plaide pour un renforcement durable de la prévention, de la surveillance épidémiologique et des systèmes de soins, conditions indispensables pour consolider les gains sanitaires et réduire les écarts d’espérance de vie entre régions du monde.

Une crise silencieuse chez les jeunes

Parallèlement aux progrès enregistrés à l’échelle mondiale, le Global Burden of Disease 2023 met en lumière un constat alarmant : la santé des jeunes adultes s’est dégradée dans plusieurs régions du monde. Alors que la mortalité recule globalement pour la plupart des classes d’âge, certaines catégories de jeunes voient leurs taux de décès stagner, voire augmenter. Cette tendance, particulièrement marquée en Amérique du Nord et en Europe de l’Est, contraste avec les progrès observés dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, où la mortalité infantile et les maladies infectieuses continuent de reculer.

Les chercheurs de l’IHME soulignent que les décès liés à la consommation de drogues, d’alcool et au suicide ont connu une hausse significative au cours de la dernière décennie. Dans plusieurs pays à revenu élevé, ces causes figurent désormais parmi les principales sources de mortalité chez les 15–24 ans. L’étude identifie une détérioration spécifique du bien-être psychique des jeunes générations, aggravée par la précarité sociale, la détérioration des conditions de vie, l’instabilité climatique et l’exposition croissante à des comportements addictifs. Ces facteurs interagissent pour former ce que le rapport qualifie de « crise émergente de la jeunesse », marquée par une accumulation de risques sociaux et sanitaires qui menacent les progrès accomplis en matière de santé publique.

Le rapport révèle également que la situation varie fortement selon les régions. En Afrique subsaharienne, les nouvelles méthodes d’analyse du GBD ont permis de corriger des sous-estimations importantes : la mortalité féminine chez les 15–29 ans s’avère 61 % plus élevée que ce que les précédentes éditions du rapport indiquaient. Ce résultat s’explique notamment par une meilleure prise en compte des décès liés aux violences interpersonnelles, aux complications obstétricales et aux maladies chroniques non diagnostiquées. Dans les pays à revenu élevé, à l’inverse, les jeunes femmes présentent des taux de mortalité plus faibles mais davantage de pertes d’années de vie en bonne santé liées aux troubles mentaux, à l’anxiété et à la dépression.

Aux États-Unis et au Canada, le GBD note une augmentation des décès chez les enfants âgés de 5 à 14 ans et une remontée du taux de mortalité chez les jeunes de 15 à 24 ans depuis 2010, rompant avec la tendance à la baisse observée depuis trois décennies. Les chercheurs y voient un signal préoccupant d’une fragilisation des politiques de santé publique à destination des jeunes et d’un recul de la prévention face aux addictions et aux troubles psychiques.

Ces dynamiques convergentes traduisent un malaise global : les jeunes générations, confrontées à des contextes socio-économiques et environnementaux instables, cumulent des vulnérabilités nouvelles, que les systèmes de santé peinent à appréhender. Pour les auteurs du rapport, il s’agit d’un tournant majeur dans les tendances de la santé mondiale, qui appelle à repenser les politiques de prévention, d’éducation et de soutien psychologique, afin de limiter la progression des conduites à risque et de mieux protéger la santé mentale des jeunes.

Le tabac demeure un facteur majeur de perte de santé

Le tabagisme figure toujours parmi les principaux facteurs de risque mondiaux de décès prématuré et de mauvaise santé, aux côtés de l’hypertension, de la pollution de l’air, de l’hyperglycémie et du surpoids. Ces cinq risques représentent, selon le GBD, près de la moitié des années de vie perdues ou vécues avec incapacité dans le monde.

Le rapport rappelle que le tabac contribue directement à la charge des maladies non transmissibles, qui dominent désormais la mortalité mondiale. Si les pertes de santé liées à certains risques – comme la pollution atmosphérique ou l’hypertension – ont diminué depuis 2010, celles attribuables au tabagisme demeurent stables et continuent de peser lourdement sur les populations, notamment dans les pays à faible revenu.

Pour les auteurs, la réduction durable du tabagisme reste essentielle pour prévenir les décès prématurés et améliorer la santé mondiale. Agir sur les principaux déterminants comportementaux, dont le tabac, permettrait de prévenir une part considérable de la mortalité évitable et de consolider les gains enregistrés depuis la pandémie.

Au-delà des comportements individuels, ces résultats s’inscrivent dans une réflexion plus large sur les déterminants commerciaux de la santé, c’est-à-dire l’influence exercée par les acteurs économiques sur les modes de consommation et les environnements de santé. La disponibilité, la publicité et la diversification de produits tels que le tabac, l’alcool ou les aliments ultra-transformés contribuent à façonner les comportements de risque observés dans la population. Sans aborder directement ces enjeux, le GBD 2023 montre que les principaux facteurs de perte de santé sont étroitement liés à des dynamiques économiques et sociales globales. Cette lecture élargie du fardeau sanitaire souligne l’importance d’intégrer la régulation des environnements commerciaux dans les politiques de prévention à long terme.

©Génération Sans Tabac

AE