Instrumentalisation de la Journée mondiale sans tabac au Maroc

27 mai 2023

Par: Comité national contre le tabagisme

Dernière mise à jour : 27 mai 2023

Temps de lecture : 5 minutes

Instrumentalisation de la Journée mondiale sans tabac au Maroc

Les propositions d’« experts » marocains réunis par le groupe Horizon Press reprennent en grande partie le discours des industriels du tabac sur la manière dont devrait s’organiser la lutte antitabac. Le cadre de la Journée mondiale sans tabac a été détourné à cet effet, alors que le Maroc accuse un net déficit en matière de lutte contre le tabagisme.

« Journée mondiale sans tabac : quelles résolutions scientifiques et réglementaires le Maroc devrait-il prendre ? » Tel était le thème d’une table ronde organisée le 18 mai 2023 à Casablanca par le Cercle des ÉCO du groupe Horizon Press, qui réunit des experts d’un secteur – ici, la médecine – pour évoquer des sujets économiques[1].

Un discours similaire à celui de l’industrie du tabac

Constatant que le coût économique du tabagisme au Maroc est évalué à 5 milliards de dirhams (450 millions d’euros) et que le nombre de fumeurs tend à stagner ou augmenter, les experts convoqués ont critiqué l’absence de politique contre le tabagisme au Maroc. Les rares mesures de protection de la population adoptées se limitent aux interdictions de fumer dans les lieux publics et de commercialiser des produits non homologués. Des dispositions qui semblent de plus très mal appliquées, puisque leurs décrets d’application n’auraient jamais été publiés.

Les experts convoqués par Horizon Press étaient étrangement unanimes sur la façon de remédier au tabagisme au Maroc et recommandaient tous de promouvoir l’usage des cigarettes électroniques et du tabac chauffé, présenté comme des « alternatives » au tabagisme, plutôt que l’arrêt du tabac. Ce discours paraît calqué sur celui que l’industrie du tabac emprunte à la réduction des risques et qu’elle utilise pour faire la publicité de ses nouveaux produits, qu’il s’agisse de tabac chauffé ou de sachets de nicotine. Horizon Press participe par ailleurs à la communication indirecte de Philip Morris International (PMI), en ayant par exemple invité Abla Benslimane, directrice des affaires externes de PMI Maroc, comme intervenante d’une autre table-ronde organisée par le Cercle des ECO et consacrée aux femmes chef d’entreprise, le 8 mars 2022[2].

Pour parer ce discours d’une aura scientifique, les industriels monnayent les services de professionnels de santé reconnus qui viennent crédibiliser des opérations à visée essentiellement commerciales. Le Pr David Khayat, ancien président de l’Institut National du Cancer (INCa) avait de cette manière participé en février 2020 à une conférence sur la réduction des risques organisée à Paris par Atlantic Santé et financée par Philip Morris International.

Un étrange et soudain intérêt pour la CCLAT

La principale nuance apportée par la table-ronde organisée à Casablanca réside dans une proposition visant à faire ratifier la Convention-cadre contre la lutte antitabac (CCLAT) par le Maroc, l’un des très rares pays à y avoir dérogé. Avancée par le Dr Fatima Mazzi, médecin en santé publique et membre de la commission des affaires sociales au Parlement[3], cette proposition ne fait habituellement pas partie des arguments défendus par l’industrie du tabac, laquelle cherche au contraire à faire disparaître la CCLAT. A l’approche de la prochaine Conférence des Parties (COP 10), qui réunit tous les deux ans les pays ayant ratifié la CCLAT et doit se tenir en novembre 2023, il serait cependant possible d’y voir une utilisation du Maroc pour déstabiliser la CCLAT et l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), cibles constantes de l’industrie du tabac.

Détournement des évènements antitabac au Maroc

Une des pratiques des industriels pour contrer les initiatives de l’OMS consiste à organiser un événement en apparence scientifique en amont d’un événement de la lutte contre le tabagisme. Le procédé a récemment été utilisé en Espagne, avec l’organisation à Madrid d’une conférence scientifique sur la réduction des risques, deux mois avant que ne se tienne dans la même ville la 9ème Conférence européenne Tabac ou Santé[4]. La première de ces conférences, dénoncée par le Ministère de la Santé espagnol et par l’OMS, s’était vue retirer le soutien de l’Université du roi Juan Carlos.

La Journée mondiale sans tabac fait pour sa part régulièrement l’objet de tentatives de détournement par les industriels du tabac et du vapotage pour communiquer sur leurs nouveaux produits ou organiser des contre-évènements. Les fabricants d’e-liquides de France Vapotage – une organisation émanant de l’industrie du tabac – ont ainsi organisé, depuis 2018, plusieurs éditions d’une Journée mondiale du vapotage auto-déclarée et située opportunément le 30 mai, veille de la Journée mondiale sans tabac[5]. De la même manière, la table ronde organisée par Horizon Press ressemble à s’y méprendre à un détournement de la Journée Mondiale sans tabac portée par l’OMS.

Mots-clés : Maroc, Journée mondiale sans tabac, Horizon Press, OMS.

©Génération Sans Tabac

MF

[1] Lutte contre le tabagisme : au Maroc, la cause stagne, Les ECO, publié le 22 mai 2023, consulté le 23 mai 2023.

[2] Le groupe Horizon Press célèbre la femme, Les ECO, publié le 7 mars 2022, consulté le 23 mai 2023.

[3] Une conférence sur la réduction des risques compromise à Madrid, Génération sans tabac, publié le 15 février 2023, consulté le 23 mai 2023.

[4] Appel à revoir le mode de lutte contre le tabagisme sur les plans scientifique, juridique et d'approche de sensibilisation, Libération (Maroc), publié le 21 mai 2023, consulté le 23 mai 2023.

[5] France Vapotage, Journée mondiale du vapotage : un 30 mai 2022 revendicatif, La Revue des tabacs, publié le 16 mai 2022, consulté le 23 mai 2022.

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