Imposer les filtres « biodégradables » : derrière une fausse solution, le lobby de l’industrie du tabac
11 février 2025
Par: Comité national contre le tabagisme
Dernière mise à jour : 17 mars 2025
Temps de lecture : 6 minutes
Une campagne britannique souhaite contraindre les fabricants de tabac à remplacer les filtres des cigarettes par des filtres « biodégradables ». La mesure, soutenue par différents députés, et ayant fait l’objet d’un dépôt d’amendement, apparaît toutefois comme une fausse solution au problème sanitaire et environnemental que constitue le filtre. Surtout, la campagne semble être étroitement liée à une opération de lobbying de l’industrie du tabac elle-même.
La campagne « Plastic free butt » alerte sur le danger environnemental que représentent les mégots de cigarette. En effet, selon un rapport publié par l'association Keep Britain Tidy, les mégots de cigarettes sont les déchets les plus jetés dans le Royaume-Uni, et seulement une minorité d’entre eux finissent à la poubelle (13%)[1]. Or, ces mégots, essentiellement composés d’un filtre plastique, s’avèrent par nature non-biodégradables, et des déchets particulièrement polluants, notamment pour les cours d’eau, mers et océans. Au total, près de quatre millions de mégots sont ainsi jetés chaque jour au Royaume-Uni.
Un soutien parlementaire et dans l’opinion publique
En conséquence, la campagne Plastic free butt affirme vouloir obliger les fabricants de tabac à tourner la page des filtres en plastique, et généraliser l’introduction des filtres « biodégradables », développés par l’entreprise Greenbutts. Dans cette perspective, un amendement a été déposé par la députée Caroline Dinenage, et soutenu par des parlementaires issus d’obédiences diverses, à l’instar de Mary Glindon (parti travailliste) et Danny Chambers (libéral démocrate). La proposition semble par ailleurs être soutenue par une large partie de la population, comme le montre un sondage réalisé par Whitestone Insight pour le compte de la campagne, indiquant que 86% des Britanniques estiment que les fabricants de cigarettes devraient être contraints de remplacer les plastiques utilisés dans les mégots par des alternatives entièrement biodégradables.
Pourquoi le filtre « biodégradable » n’est pas une solution pour l’environnement ?
Si le replacement des filtres plastiques par des filtres biodégradables peut sembler a priori être une mesure de bon sens, différentes organisations de santé publique et environnementales, s’appuyant sur la littérature scientifique, soulignent le caractère contreproductif d’une telle mesure. D’abord, la plupart des plastiques dits « biodégradables » ne le sont que dans des conditions spécifiques et cumulatives, rarement retrouvées dans l’environnement (température supérieure à 50°, fort taux d’humidité, présence de certains micro-organismes). Ainsi, ces filtres ne sont réellement biodégradables que dans des conditions industrielles, très peu reproduites dans la nature, et encore moins dans un environnement aquatique. Par ailleurs, les filtres de produits du tabac, qu’ils soient ou non composés de plastiques, deviennent des déchets hautement toxiques dès lors qu’ils ont été consommés, et libèrent des milliers de produits chimiques extrêmement nocifs, à l’instar de métaux lourds ou de substances radioactives (polonium). Par ailleurs, l’appellation « biodégradable » de cette nouvelle génération de filtres pourrait encourager le consommateur à penser que les mégots peuvent être jetés sans incidence pour l’environnement.
L’absence d’intérêt sanitaire des filtres
Au-delà de l’aspect environnemental, l’absence d’intérêt sanitaire du filtre est aujourd’hui un fait largement documenté par la littérature scientifique. En effet, le filtre est une innovation de l’industrie du tabac, conduisant le fumeur à prendre des bouffées plus profondes et plus prolongées, augmentant de fait l’addictivité et la toxicité du tabac. De cette façon, non seulement le filtre n’entraîne aucune réduction des risques pour le fumeur, mais sa généralisation s’est traduite par une augmentation des adénocarcinomes pulmonaires, une tumeur pulmonaire maligne responsable de près de 30% des cancers du poumon. Commercialisé comme un outil de réduction des risques, le filtre tend à brouiller la perception des fumeurs des dangers réels que fait peser le tabagisme sur leur santé. Ainsi, le filtre facilite l’initiation tabagique (en réduisant le caractère âcre et désagréable de la première expérience), et en dissuade l’arrêt. Les récentes études menées sur le sujet montrent que les cigarettes comportant un filtre sont encore perçues comme étant moins dangereuses, notamment par les jeunes générations. Pour l’ensemble de ces raisons, de nombreuses organisations de lutte contre le tabagisme, tout comme des associations environnementales, appellent les pouvoirs publics à interdire l’ensemble des filtres pour les produits du tabac, qu’ils soient en plastique ou présentés comme biodégradables.
Greenbutts, une entreprise directement liée à l’industrie du tabac
L’interdiction du filtre pourrait se traduire par une forte dénormalisation de l’ensemble des produits du tabac, et par une diminution de la prévalence tabagique en particulier chez les jeunes. De ce fait, l’industrie du tabac, anticipant l’adoption d’une telle mesure à moyen ou à long terme, cherche à développer des pseudo-solutions pour maintenir l’attractivité de ses produits, dont le développement des filtres « biodégradables » fait partie. Ainsi, la campagne « Plastic free butt », sous couvert de responsabilité environnementale, propose de remplacer les filtres plastique par des filtres «biodégradables », produits par l’entreprise Greenbutts. Or, une rapide recherche sur le site de la compagnie indique que Luis Sanches, le directeur stratégique de Greenbutts, a « occupé plusieurs postes de direction au cours de sa longue carrière au sein de British American Tobacco (BAT) » et a été vice-président senior du département recherche et développement chez Reynolds American[2]. De la même manière, le conseiller de Greenbutts, Peter Dobson, ancien chef de produit chez British American Tobacco pour les marques Dunhill et Pall Mall, est présenté sur le site internet comme un « gourou » sensoriel. Enfin, Dan Kriznic, également conseiller de Greenbutts, est par ailleurs le fondateur de High Standard Capital, une société de conseil en fusions et acquisitions, ayant « participé à des transactions de plus de 500 millions de dollars, principalement axées sur les grandes entreprises du tabac ». A la lecture de ces éléments, il apparaît que la proposition, se présentant comme une mesure contraignante pour les fabricants, semble davantage être une opération de lobbying directement ou indirectement organisée par l’industrie du tabac, en vue de neutraliser le risque réglementaire d’une interdiction totale des filtres, tout en faisant valoir sa responsabilité sociale et environnementale.
©Génération Sans TabacFT
[1] The Independant, This British invention could stop the world’s biggest cause of plastic pollution, 06/02/2025, (consulté le 10/02/2025)
[2] Greenbutts, Cigarette butts are the single greatest source of ocean trash, (consulté le 10/02/2025)
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