France : plus de 200 influenceurs ont promu la nicotine sur Instagram depuis 2019
13 mars 2025
Par: Comité national contre le tabagisme
Dernière mise à jour : 12 mars 2025
Temps de lecture : 7 minutes

D’après un rapport de l’Alliance contre le tabac (ACT), ce sont au total 229 influenceurs qui, à travers 948 posts entre 2019 et 2024, ont mis en avant des dispositifs de vapotage et des sachets de nicotine auprès de la communauté francophone d'Instagram. Plus de 24 millions de personnes, surtout jeunes, ont été touchées par ces publications. Ces dernières concernent les marques de e-cigarettes Vuse (ex- Vype) et Blu, et les sachets de nicotine Velo[1].
Un phénomène publicitaire illicite qui cible les jeunes
Depuis la loi Evin de 1991, confortée par une jurisprudence constante, toute publicité, directe ou indirecte, en faveur des produits du tabac est interdite sur l’ensemble des supports. Ce cadre juridique a été transposé depuis 2016 aux dispositifs de vapotage, à l’exception d’une publicité strictement encadrée autorisée sur les lieux de vente. La loi n°2023-451 du 9 juin 2023 visant à encadrer l'influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux est venue rappeler que toute promotion des produits contenant de la nicotine par les influenceurs est illicite. Plusieurs décisions de justice récentes, résultant d’actions engagées par le Comité national contre le tabagisme, ont confirmé l’illégalité de la promotion des dispositifs de vapotage sur les canaux digitaux.
Alors que le tabagisme chute chez les adolescents français (15 % de fumeurs quotidiens chez les jeunes de 17 ans, soit -10 points en 5 ans), l’industrie du tabac a développé et mis de nouveaux produits à la nicotine sur le marché avec un ciblage des jeunes dans une optique de pérennisation de ses ventes. Dans cette perspective, l’ACT a procédé à un relevé entre 2019 et 2024 de 948 publications promotionnelles illégales qui ont touché plus de 24 millions de personnes. De nombreuses stratégies ont été repérées sur Instagram, réseau social qu’utilisent 80 % de la génération Z (née entre 1995 et 2012).
Une analyse corroborée par le CNCT[2], qui, tout au long de l’année 2024, a surveillé l’activité en ligne de vingt marques de produits du tabac et de la nicotine (tabac à chauffer, vapotage, sachets de nicotine, etc.), à travers une veille systématique de différents canaux de communication digitaux : réseaux sociaux (X, Facebook, Instagram), SMS et newsletters, sites internet. Au total, l’observatoire a permis de recenser 668 insertions publicitaires illégales pour la seule année 2024 ; il met également en exergue une progression des actions publicitaire vers les sachets de nicotine, qui représentent plus de 40% des insertions publicitaires relevées sur les réseaux sociaux cette année-là.
Jeux-concours, partenariats influenceurs, événements exclusifs…
L’enquête de l’ACT relève de nombreuses stratégies de l’industrie du tabac. Depuis 2019, 229 influenceurs ont promu des marques comme Vuse, Blu et VELO sans toujours indiquer que leurs publications étaient sponsorisées. Les industriels mènent aussi des campagnes d’échantillonnages, envoyant des produits gratuits à des nano et micro-influenceurs (1 000 à 20 000 abonnés), souvent issus des univers lifestyle, beauté ou tests de produits. Leur proximité avec leurs abonnés permet une promotion subtile et indirecte, même auprès de non-fumeurs, afin de recruter de nouveaux consommateurs et garantir la rentabilité de l’industrie.
De plus, l’ACT a recensé 214 publications -surtout depuis 2023-, émanant du seul fabricant British American Tobacco pour sa marque VELO. Ces publications aux visuels colorés et tons accrocheurs font la promotion de jeux-concours et proposent des lots attractifs (consoles, enceintes, casques audio), avec les hashtags #etçapicote et #VELOToujoursAvecVous. Ces posts ont permis d’atteindre 114 840 personnes selon l’ACT[3].
Enfin, les cigarettiers s'associent à des événements musicaux et culturels pour se positionner dans le lifestyle des jeunes. En janvier-février 2020, Blu a invité 52 influenceurs à des événements populaires, dont des personnalités suivies par un large public jeune, utilisant souvent le hashtag #Myblucommunity. De même, VELO a collaboré avec la Drag Queen @Catherinepinotnoir au Festival de Cannes et lors de la clôture hivernale de la Folie Douce des Arcs, ciblant ainsi un public jeune et connecté à travers des figures influentes. Une présence en 2019-2020 qui a été dénoncée par le CNCT dans ses observatoires, qui a relevé comment l’industrie offre des places de concerts ou d’événements sportifs à des influenceurs en échange de publications de posts et de vidéos sur leurs produits[4].
L’ACT demande sans plus attendre une interdiction de ces pratiques
Marion Catellin, directrice de l’ACT, a commenté : « Il est inadmissible que l’industrie du tabac continue de contourner la loi pour promouvoir ses produits sur les réseaux sociaux, en toute impunité. Leur objectif n’est pas de créer un "monde sans fumée", mais bien d’attirer les jeunes et de les rendre dépendants à la nicotine […] Face à une industrie prête à tout pour étendre encore son marché néfaste de l’addiction à la nicotine, il est nécessaire d’adopter des mesures radicales pour endiguer ses stratégies de séduction. La décision récente du gouvernement d’interdire les sachets de nicotine et toutes les futures innovations contenant cette drogue doit entrer en vigueur le plus tôt possible. »
L'ACT demande ainsi aux pouvoirs publics de prendre des mesures pour mettre un terme à la promotion illégale des produits de vapotage et de nicotine, comme interdire la commercialisation des produits de nicotine à usage oral (sachets, billes) et toute publicité ou promotion associée, en accélérant la mise en place du décret d'interdiction après le délai de 3 mois suivant la notification du gouvernement à l'UE le 25 février 2025. L’Alliance demande également renforcer l'application de l'interdiction de publicité et de promotion des produits de vapotage et de nicotine inscrite dans le code de la santé publique et la loi n°2023-451 et d’augmenter les sanctions pour non-respect de ces dispositions, actuellement limitées à 100 000 € d'amende pour la publicité des produits de vapotage et 300 000 € et 2 ans de prison pour la violation de la loi du 9 juin 2023.
Certaines mesures concrètes sont déjà en action, comme les pouches qui sont visées par le gouvernement[5]. Fin février, le ministre de la Santé Yannick Neuder a annoncé un projet de décret interdisant leur production, importation et distribution en métropole et outre-mer, en raison de leur toxicité, de la caractère addictif et attractif, selon une étude conjointe de l'INC et du CNCT[6]. Par ailleurs, l'interdiction des "puffs", cigarettes électroniques jetables populaires chez les jeunes, est entrée en vigueur le 25 février après l'adoption de la loi au Parlement.
AD
[1] France Info, Tabac : plus de 200 influenceurs ont fait la promotion des vapes ou sachets de nicotine sur Instagram depuis 2019, dénonce l'Alliance contre le tabac, publié le 11 mars 2025, consulté le 11 mars 2025
[2] Comité national contre le tabagisme, Nouveaux produits du tabac et de la nicotine 2025, 28 pages, publié le 25 février 2025, consulté le 11 mars 2025
[3] Alliance contre le tabac, Comment l’industrie du tabac utilise les réseaux sociaux pour séduire les ados – Décryptage, 11 mars 2025, 12 pages
[4] Comité national contre le tabagisme, Nouveaux produits du tabac et de la nicotine – Évolution du marché à travers le phénomène publicitaire en France 2020-2022, 40 pages, publié le 10 février 2023, consulté le 11 mars 2025
[5] France Bleu, Santé : 229 influenceurs ont fait la promotion des vapes ou des sachets de nicotine depuis 2019, une pratique illégale, publié le 11 mars 2025, consulté le 11 mars 2025
[6] Comité national contre le tabagisme, Le CNCT demande l’interdiction des sachets de nicotine, vendus illégalement en France et dépose une plainte, publié le 29 mai 2024, consulté le 11 mars 2025